Le 11 avril 2011, tel qu’il a été vécu par Germain Séhoué

Comment lui annoncer la nouvelle ? par Germain Séhoué, journaliste

Cela ne sert à rien d’en parler. Surtout pas à maman. Elle piquerait une crise. Je la connais. Déjà que des personnes bien portantes ne se remettent pas encore de la charge émotionnelle. Comment cela a-t-il pu arriver ? Je n’en crois pas mes yeux ! Je n’en crois pas mes oreilles ! La tante ne parle pas. Elle ne semble pas pouvoir parler. Elle est silencieuse. La tête entre les mains. Seules les larmes descendent, ruisselant sur son visage crispé. De temps en temps, ses épaules tressautent. Puis un sanglot déchire le silence du salon. Maman elle, est loin, dans une chambre où nous ne voulons pas la déranger. On ne veut pas l’assommer avec les images de la télé. On ne veut pas lui donner une commotion.

Nous avons la chance, tout de même ! La bombe lacrymogène lancée dehors, a atterri dans la cour voisine. Un bébé est mort. Le ballet des hélicos au-dessus de nos têtes est devenu source d’inquiétude. Sait-on jamais ? Un de ces engins pourrait être abattu et s’écraser sur nos toits. Et nous serions perdus.

La guerre est une horrible chose ! Et ce qui vient de se passer est grave. Cette image est insoutenable. Comment en parler à la maman ? Sa santé est préoccupante. A cause de l’embargo sur les produits pharmaceutiques décrété par l’Union européenne, elle n’a plus ses médicaments pour continuer son traitement. Il ne faut donc pas la secouer. Ni par une information malheureuse ni par une image choquante. Or, elle ne supporterait pas ce qui vient de se produire. Et nous ne voulons pas un cadavre sur les bras. Comment pourrions-nous gérer pareille situation dans ce quartier à risques ? Avec les balles qui sifflent dehors, des assaillants sans nationalité, armés jusqu’aux dents, faire les courses mortuaires d’un être cher, ce n’est pas évident.

Ce pays est devenu autre chose ! Écoutez dehors : des rafales. Des pleurs. Des jeunes gens. Ceux qui ont la chance sont simplement bastonnés. Les autres sont exécutés. Et c’est dans ça, moi, je vais traîner mes narines dans les rues, alors que les gens me connaissent pour mon engagement ! Non ! Et cette image me rend plus fragile. Je me sens désormais « orphelin ». Et la tante doit cesser de pleurer. Nous devons réorganiser notre vie. Que devons-nous faire pour vivre puisque les banques sont fermées ? Le peu de jetons que nous y avons est bloqué. Que faire quand on a des enfants si petits ? Il faut casser la tirelire de maman et revisiter les porte-monnaie de madame. La tante doit cesser de pleurer.

Mais je n’arrive pas à comprendre ça. Donc l’Union européenne fait de la politique ? Dans notre pays ? Au point de priver les populations d’un Etat de médicaments ? Et les nationaux réfléchis acceptent cela aussi ? Au compte de qui et de quoi pourra-t-on alors ranger les morts provoqués par cet embargo sur les médicaments ? Je n’arrive pas à comprendre. Et les banques aussi font de la politique ? La politique en confisquant notre argent ?

Une sorte de brigandage ? Confisquer notre argent contre un poste électif… C’est grave ! Bref ! Ces gens sont cruels ! Or donc, c’est à cause de notre cacao ? A peine ont-ils réussi leur coup qu’ils chargent un cargo de cacao en direction des Etats-Unis. C’était donc pour cela que Hillary Clinton, la Secrétaire d’Etat, en voulait au régime ? Elle avait sur le dos les chocolatiers américains et voulait se servir goulument dans la production ivoirienne ? Ce monde, c’est la jungle ! La Corée du Nord a raison de sécuriser son développement. N’importe qui peut venir faire la loi chez vous parce qu’il est plus fort que vous.

Quand pourrions-nous sortir de cette situation ? Quand ? Je n’en sais rien et j’en suis meurtri. Encore plus affligé de devoir expliquer quelque chose à maman. Lui annoncer que son idole, le Président Laurent Gbagbo, a été arrêté par les soldats français et remis aux rebelles. Et que ces hommes de Ouattara l’ont emmené vers une destination pour l’instant inconnue. Comment dire ça à maman ? La tante doit cesser de pleurer. Nous avons beaucoup de défis à relever.

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