L’âme slave en deuil
Pour l’heure, l’enquête privilégie trois pistes principales – une défaillance technique, une erreur de pilotage et un attentat. Comme le juge un expert russe, une situation extrémale aurait pu se produire à bord de l’appareil.
Le crash au large de la mer Noire tout de suite après le décollage aurait pu être provoqué par une situation extrême survenue au bord de l’appareil, considère Vitaly Andreïev, ex-responsable au Centre de gestion du trafic aérien de Russie. « Après le décollage et une brève durée de vol — deux minutes — l’avion a perdu tout contact et n’a envoyé aucun signal de détresse. Ceci peut témoigner de l’avènement d’une situation d’urgence à bord : soit un facteur qui a agi de l’extérieur, soit un obstacle rencontré, ce qui est peu probable », estime l’expert riche de 47 ans d’expérience dans l’aviation. Selon lui, le Tu-154 est un appareil très sûr. « Il n’existe pas de miracles et ils ne tombent pas sans raison », a-t-il souligné. « Dans mon expérience, j’ai déjà vu des Tu-154 atterrir avec trois moteurs en panne », explique-t-il. Selon lui, une panne constatée à bord de l’appareil n’aurait pas empêché l’équipage d’envoyer un signal de détresse. « Ceci signifie qu’une situation extrême est advenue. La pratique montre qu’il pourrait s’agir d’un détournement de l’avion », a expliqué M. Andreïev, avant de conclure que les boîtes noires permettront de répondre à toutes les questions avec 99,99% de précision. Le monde politique présente ses profondes condoléances suite au crash du Tu-154 © REUTERS/ Maxim Shemetov Le monde politique présente ses profondes condoléances suite au crash du Tu-154 L’avion militaire Tu-154, qui se dirigeait vers la base aérienne russe de Hmeimim, près de Lattaquié, dans l’ouest de la Syrie, et qui s’est abîmé ce matin en mer Noire, transportait 92 personnes, dont huit membres d’équipage et 84 passagers, des soldats russes, des chanteurs des Chœurs de l’Armée rouge (Ensemble Alexandrov) et neuf journalistes. Les chaînes de télévision Perviy Kanal, NTV et Zvezda ont confirmé la présence de leurs employés à bord du Tu-154 sinistré.
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Ce que les commissions de révision, les livres d’histoire, les lois et les tribunaux n’auraient jamais pu accomplir, la musique et la spiritualité l’ont fait, tout naturellement. Ce que recelait le chœur Alexandrov, c’était le patrimoine le plus inaliénable de toutes les Russies. «Ceci est à nous!», pouvaient se dire tous les Russes, de tous les bords et opinions. «On pourra nous envahir, on pourra plagier nos chants, mais on ne pourra jamais nous les enlever!» Les airs russes, qui ont tant marqué la musique universelle, plongent leurs racines dans le chant de l’humanité première. Ils sont classiques et populaires, solennels et gaillards, amoureux et martiaux, débridés et funèbres. Ils sont toute la vie! C’est pourquoi le chœur Alexandrov pouvait enchaîner l’hymne national et Daft Punk sans faute de goût.
La diplomatie secrète de l’âme slave
Parmi mes amis et parents serbes, la consternation est tout aussi profonde. La disparition de ce grand chœur le même jour évoque un autre martyre collectif qui est dans toutes les mémoires: l’exécution de tous les lycéens de la ville de Kragujevac par les Allemands, le 21 octobre 1941, parmi des milliers d’autres otages. La grande poétesse Desanka Maksimović en a tiré un poème bouleversant que tous les Serbes connaissent, le Conte sanglant : «Cela se passait dans une contrée de paysans/dans les montagnes des Balkans./Y mourut en martyr/tout un régiment d’étudiants/en un seul jour.»
A l’époque où la Russie regardait impuissante la destruction de la Serbie sous les bombes de l’OTAN et le dépeçage du Kosovo par les bandits anglo-saxons aidés des mafias albanaises, les reprises de vieux hymnes serbes par les chœurs de l’Armée rouge portaient un message de fraternité qui consolait les cœurs et maintenait la foi dans une alliance que les rapports de force avaient enterrée. C’était une diplomatie clandestine qui empruntait les canaux chiffrés de l’âme slave. Le clin d’œil était parfaitement compris: «Leur temps passera, et nous nous retrouverons!»
«Leur» temps est en train de passer, en effet, et ce n’est pas sans pleurs ni grincements de dents. Si cet invraisemblable accident n’est pas qu’une blague du hasard, si quelqu’un a vraiment voulu frapper la Russie, il a visé juste. Il a frappé au cœur. Juste en-dessous du président ou du patriarche.
Et pourtant il ne pouvait viser plus faux! Le chœur de l’armée n’a rien inventé. Il n’était que la plus belle voix de la Russie éternelle, une voix qui se reconstruira avec le temps. Ce coup au chœur ne fera que renforcer l’esprit de bravade de ce peuple magnifique et dément. Ses chants lui confèrent un cœur immense qui se rit de la mort. Et chaque Russe est tombé dedans tout petit, comme Obélix dans son chaudron de potion magique.