«L’acquittement de Laurent Gbagbo ne doit pas faire oublier la responsabilité de la France»
Côte-d’Ivoire
La Cour pénale internationale a confirmé ce mercredi l’acquittement de l’ancien président ivoirien. Son principal conseiller, le Français Bernard Houdin (1), commente une décision «historique» qui sanctionne à ses yeux une manipulation judiciaire impliquant la France.
par Maria Malagardis publié le 31 mars 2021 à 19h15
Cette fois, Laurent Gbagbo est vraiment libre. Déjà acquitté depuis le 15 janvier 2019 et libéré un mois plus tard, l’ancien président ivoirien, qui vit pour l’instant en Belgique, peut désormais envisager de rentrer chez lui, dans son pays. Une page se tourne à la Cour pénale internationale (CPI), comme en Côte-d’Ivoire. Celle qui, à la suite des violences post-électorales de 2010-2011, avait conduit à poursuivre Gbagbo pour crimes contre l’humanité. Arrêté le 11 avril 2011, à l’issue de trois mois de combats entre les deux camps rivaux, celui de Gbagbo contre celui d’Alassane Ouattara, son rival, toujours au pouvoir à Abidjan, le président déchu avait été envoyé sept mois plus tard à La Haye, où siège la CPI. Il avait été jugé à partir de janvier 2016 au côté de son ancien ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé, transféré à la CPI en mars 2014.
Le procès a été marqué par les défaillances du bureau du procureur, dont les charges se sont effondrées les unes après les autres. Après le premier acquittement, la procureure Fatou Bensouda avait cependant fait appel. Une ultime démarche rejetée mercredi, qui sanctionne l’échec cinglant de l’accusation dans le premier procès mondial visant un ancien chef d’Etat devant la CPI. La confirmation de l’acquittement marque aussi un tournant pour la Côte-d’Ivoire.
Dix ans jour pour jour après l’entrée des forces rebelles d’Alassane Ouattara dans Abidjan, le 31 mars 2011, l’acquittement définitif pour les deux accusés, prononcé ce mercredi, sonne comme une revanche pour son rival. Et conduit à s’interroger sur les coulisses de la crise, comme le souligne Bernard Houdin, un Français qui a grandi et longtemps vécu en Côte-d’Ivoire et est devenu en 2007 le conseiller du président Gbagbo.
Avez-vous été surpris par le verdict ?
Non, j’ai toujours su qu’il était innocent. Mais là, c’est «tako kélé», comme on dit en dioula, «un coup KO» ! Ce mercredi, le juge a vraiment démoli tout l’argumentaire de l’accusation qui, pendant le procès, avait présenté trois fausses vidéos, 82 témoins si peu crédibles que la procureure a renoncé d’elle-même à en présenter d’autres. Dans toute cette affaire, on a assisté en réalité à un scandaleux montage juridique et politique.
A l’époque de l’envoi de Gbagbo à La Haye, la Côte-d’Ivoire n’avait même pas signé le Statut de Rome [d’adhésion à la CPI, ndlr], elle ne le fera qu’en 2013. Deux ans plus tôt, Gbagbo ne pouvait donc en principe être remis à cette instance par simple décision de la Côte-d’Ivoire. Depuis 2017, on sait, grâce aux échanges de mails à l’époque entre la délégation française à l’ONU et Luis Moreno Ocampo [premier procureur de la CPI entre 2003 et 2012], révélés par Mediapart, comment s’est négocié un véritable montage pour transférer Gbagbo à La Haye. En liaison avec Ouattara à Abidjan. La confirmation de l’acquittement ne doit pas faire oublier la responsabilité de la France dans toute cette affaire.
Quel rôle précis a joué la France ?
Lorsque au lendemain des élections de 2010, Ouattara revendique la victoire avec le soutien du président de la Commission électorale qui notamment trafique le taux de participation, la crise post-électorale commence. Il y aura des affrontements. Mais ce sont les forces françaises qui joueront un rôle décisif en faisant intrusion dans la résidence présidentielle pour arrêter Gbagbo le 11 avril 2011. Sarkozy l’a même reconnu dans un livre d’entretiens avec des journalistes (2), dans lequel il déclare sans détour : «On a sorti Gbagbo, on a installé Ouattara.»
Pourquoi la France aurait-elle été si hostile à Gbagbo ?
Depuis son élection en 2000, Gbagbo n’a jamais été accepté par la France, alors que c’est peut-être le président le plus francophile qu’ait connu la Côte-d’Ivoire. Dès 2002, une tentative de coup d’Etat se solde par la scission du pays en deux. Les rebelles dirigés par Ouattara s’installent au nord et sont soutenus par le président burkinabé de l’époque, Blaise Compaoré. Lequel est le relais de la France dans la région. C’est dans la suite de cette partition du pays qu’a eu lieu l’affaire du bombardement de Bouaké dans lequel sont morts des militaires français, et dont le procès a démarré cette semaine. Le rejet de Gbagbo est symptomatique d’une politique africaine dominée par les réseaux de la Françafrique. On manipule sans scrupule les résultats électoraux pour s’assurer du maintien au pouvoir de présidents perçus comme des alliés. Gbagbo lui, avait été un opposant et appartient à l’Internationale socialiste. Le cercle autour de Chirac ne lui faisait pas confiance puis lui sera complètement hostile.
L’acquittement de Gbagbo signifie-t-il à vos yeux que son camp n’a aucune responsabilité dans la crise post-électorale qui a fait au moins 3 000 morts en trois mois ?
Gbagbo lui-même a toujours dit qu’on ne sortait pas d’une guerre en habits de gala. Bien sûr, il y a eu des massacres de chaque côté, c’était une guerre. Mais il y a aussi les crimes de guerre, c’est-à-dire des crimes délibérés sur les civils en particulier. Ces à propos de ceux-là, entre autres, que Gbagbo a été acquitté. Il reste à déterminer qui est responsable des massacres tels que celui de Duékoué, un Oradour-sur-Glane ivoirien. Si trois enquêteurs de la CPI sont actuellement à Abidjan, c’est peut-être, enfin, pour faire éclater la vérité.
La prochaine étape, c’est le retour de Gbagbo en Côte-d’Ivoire ?
Ouattara est pris à son propre jeu. Il a toujours dit qu’il fallait attendre le verdict de la CPI. Mais le juge à La Haye a bien souligné aujourd’hui qu’il fallait désormais préparer le voyage, «en toute sécurité», et là où ils le souhaitent, des deux ex-accusés, désormais définitivement innocentés.
(1) Dernier ouvrage paru : Gbagbo, un homme, un destin, Bernard Houdin, Editions Max Milo, 2019.
(2) Ça reste entre nous, hein ? Entretiens avec Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel, 2014, Flammarion.