La tragédie du dernier tsar de Russie.
Il y a 101 ans, la nuit du 17 juillet 1918, Nicolas II, le dernier tsar de toutes les Russies, et sa famille étaient exécutés sommairement dans une maison de l’Oural, dans le plus grand secret. Une mort tragique, une famille maudite dans une Russie en pleine révolution. A travers quelques épisodes les plus marquants de sa vie, nous vous proposons de mieux connaître le dernier des Romanovs. Récit.
Un règne tumultueux, annonciateur d’un grand malheur.
A la mort du tsar Alexandre III, son fils Nicolas II, âgé de 26 ans, n’est pas prêt à assumer la charge d’un empire, agité depuis un demi-siècle et en profonde mutation sociale, politique et industrielle. « Je ne suis point préparé à être tsar. Je n’ai jamais souhaité le devenir,* » s’exclame-t-il quelques heures après la mort de son père. Le jour de son couronnement inaugure un règne tumultueux et malheureux. « Pas en raison de la chute de la lourde chaîne impériale de ses épaules – incident qu’il se refuse à considérer comme un mauvais présage, mais parce que la fête populaire traditionnellement organisée à cette occasion va virer à la catastrophe.* »
En mai 1896, les cérémonies du sacre à Moscou sont ensanglantées par la tragédie de Khodynka. Sur le terrain vague ceint par des cabanes de bois, cinq cent mille personnes se rassemblent pour recevoir les cadeaux sélectionnés par le Tsar : un saucisson, des noisettes, des raisins secs, des figues et un gobelet en métal émaillé. Très rapidement, la foule s’agite, puis c’est la panique.
1.389 femmes, enfants, hommes y laissent la vie, écrasés, piétinés, étouffés par la masse. Convié le soir même par le marquis de Montebello, ambassadeur de France, Nicolas II n’écoute pas son cœur qui l’incite à décliner l’invitation au bal. « Et si la France revenait sur son alliance avec la Russie sous prétexte de cet affront ? » Au moment de danser le quadrille, le chagrin l’étreint mais il est déjà trop tard. Les réels coupables de la mauvaise organisation ne sont pas punis. Le peuple russe n’est pas dupe. « De ce jour, son crédit auprès des Russes est entamé. »
Mal conseillé, il enchaîne les décisions douteuses. Inexpérimenté et intimidé, sur les instances de son entourage et principalement de ses oncles, il refuse les réformes et les compromis. Après la déroute de l’armée russe au Japon et de multiples échecs militaires, les grèves et protestations s’emparent de la capitale moscovite. L’empereur déclenche contre lui une haine féroce. Les russes ne veulent pas financer une guerre perdue d’avance, ils ont faim.
Le dimanche 9 janvier 1905 fait définitivement plonger le règne du tsar dans la torpeur. Entre 50.000 et 100.000 ouvriers et habitants de la capitale, sous la conduite du pope Gapone (socialiste), convergent vers le palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg pour une marche pacifique de supplique. Les oriflammes orthodoxes côtoient les portraits du « Petit père ».
Nicolas II a déjà pris la fuite à Tsarkoïe Selo. Ce qui aurait pu terminer dans la paix tourne au cauchemar. Malgré les sommations des officiers du régiment, la foule refuse de se disperser et continue d’avancer. La cavalerie charge, sabre au clair avant d’ouvrir le feu. Le « dimanche sanglant » brise définitivement l’attachement du peuple au tsar. « Si, en proie à des hésitations, tu ne te montres pas au peuple, si tu laisses couler le sang des innocents, tu briseras le lien moral entre lui et toi. » lançait le pope Gapone, la veille du massacre. L’écrivain Ossip Mandelstam le crucifie dans un texte prophétique : « Chaque bonnet d’enfant, chaque gantelet, chaque châle de femme abandonné piteusement ce jour-là sur la neige de Saint-Pétersbourg rappelait à chacun que le tsar devait mourir, que le tsar mourrait… »
De son côté, Nicolas II note dans son journal à la date du 9 janvier : « À Saint-Pétersbourg, de graves émeutes ont eu lieu. Beaucoup de gens ont été blessés et tués. Oh mon Dieu, que c’est douloureux ! Maman est venue chez nous de la ville aujourd’hui. Nous avons pris le petit-déjeuner avec tout le monde, puis nous nous sommes promenés avec Micha. Maman est restée pour la nuit. » Il ne semble pas se rendre compte de l’agitation révolutionnaire qui se déroule à quelques kilomètres de lui. L’empereur a d’autant plus de mal à saisir la mesure des événements que lui-même est plutôt doux de caractère, timide de nature.
Au bout de quelques mois, sous la pression du peuple, Nicolas II fait des concessions démocratiques aux manifestants et grévistes. Il signe le manifeste qui dote la Russie d’une Constitution et d’un véritable Parlement. Mais dans les faits, le tsar hésite, revient sur ses choix. Le peuple ne cache pas sa déception. « De façon inattendue, son mécontentement se cristallise peu à peu sur Raspoutine, mage qui influence la tsarine Alexandra depuis 1907, » au prétexte qu’il soulagerait les souffrances du tsarévitch hémophile. La déclaration de guerre met brusquement fin à la montée révolutionnaire. Pourtant, dans les villes et campagnes, les Russes sont saignés économiquement et socialement : la production agricole diminue.
Agacé par les ingérences de son épouse dans la conduite des affaires de l’Etat, Nicolas II quitte Saint-Pétersbourg pour prendre le commandement en chef des armées. Mais l’hiver vient. L’économie du pays ne permet plus à la population de se nourrir ni même de se chauffer quand s’annonce l’un des hivers les plus rigoureux des cinquante dernières années. Le froid intense associé aux pénuries révoltent les soldats qui ne comprennent pas leur implication dans la guerre. Les désertions et mutineries se multiplient. A la fin 1916, à Pétrograd, deux régiments d’infanterie, appelés à disperser une grève, rejoignent les ouvriers qui protestent dans la rue. En laissant libre champ à l’impératrice, et indirectement à Raspoutine, il ouvre la voie à la révolution de 1917, qui le contraint à abdiquer.
Les derniers jours d’une famille condamnée.
Le tsar et sa famille sont désormais placés en résidence surveillée, à Tsarskoïe, puis à Toblosk où ils vivent dans des conditions relativement confortables. « L’accueil local est chaleureux. Les paysans passent devant la maison en se découvrant et en faisant un signe de croix. (…) Le tsar n’est pas mort, vive le tsar ! » Mais de son côté, le tsar déplore l’air vétuste et abandonné du lieu de sa captivité. Un an après l’abdication, en mars 1918, il se confie sur les douze mois « pénibles » qu’ils viennent de passer. « Quelles épreuves nous attendent encore! Nous sommes tous dans la main de Dieu! En lui seul est tout notre espoir. » Mais en octobre 1917, la famille est placée en détention à Iekateringbourg après la prise du pouvoir par les bolcheviques.
Dans ce bourg, ils partagent la maison Ipatiev avec leurs gardes grossiers et arrogants. « Quand les grandes duchesses allaient à la salle de bains ou aux toilettes, elles passaient devant eux. Ils ne se privaient pas parfois pour faire des réflexions à leur égard », décrit Nicolas Ross dans son livre « Ils ont tué le Tsar* ». La nuit, les gardes prennent un malin plaisir à entonner des chants vulgaires ou à scander « mort à l’empire » sous les fenêtres des détenus. Malgré ce climat austère, les Romanov tiennent bon. Profondément pieux, chaque matin ils prient avant de faire de leur mieux pour s’occuper comme ils le peuvent. Les petites choses du quotidien deviennent des grandes victoires. Le jour de son anniversaire, le 18 mai, Nicolas II en outre écrit : « J’ai vécu jusqu’à mes 50 ans ! Même pour moi c’est bizarre… »
Mais alors que le temps se réchauffe, le commandant Iakov Iourovski et Mikhaïl Medvedev réfléchissent à la façon de tuer les Romanov sans grand succès. « Nous ne trouvons rien, a alors confié Medvedev. Peut-être qu’on pourrait jeter des grenades dans leurs pièces après qu’ils se soient endormis ? Non, trop de bruit … Iourovski a proposé de les poignarder durant leur sommeil ». Le 14 juillet, alors que la famille impériale assiste à son ultime Divine Liturgie, « Iourovski et Golochtchekine battent les forêts environnantes à la recherche d’un lieu discret où ils pourront enterrer les cadavres des Romanov après leur exécution. » Un de leur camarade se procure, quant-à-lui six-cent litres d’essence et quatre-cent litres d’acide sulfurique. Le 16 juillet au matin, le jeune garçon de cuisine est renvoyé chez lui. La fin est proche.
Vers deux heures du matin, le Tsar Nicolas II, la Tsarine Alexandra Fedorovna et leurs cinq enfants** sont conduits dans une pièce close en sous-sol pour y être fusillés. A l’extérieure le moteur d’un camion vrombit.
Plusieurs détonations assourdissantes retentissent. Leurs majestés sont abattues à bout portant d’une balle dans la tête. Olga et Tatiana échangent un regard et se signent de la croix avant de s’effondrer. « Le sol se rougit peu à peu tandis qu’une âcre odeur de poudre et de fumée envahit la pièce. » Quand la fumée se dissipe, les soldats rouges découvrent plusieurs victimes encore vivantes. Les diamants cousus dans les vêtements des Grandes Duchesses ont fait office de gilet pare-balle. Un gémissement se fait entendre dans le magma de corps ensanglantés. Le tsarévitch rampe vers la porte, Anastasia reprend connaissance. Ils sont tous achevés au pistolet ou à la baïonnette par le commissaire Peter Ermakov et Iakov Iourovski.
Pour dissimuler le crime, après avoir jetés les corps dans le puits de la mine des Quatre-Frères, les bolcheviques dépècent les onze cadavres à l’aide de haches et de scies, brûlent partiellement certains corps et les aspergent d’acide sulfurique.
« Le monde ne saura jamais ce que nous avons fait d’eux. » se satisfait le camarade Voïkov. Erreur.
En août 2000, le Concile de l’Église orthodoxe russe canonise, « martyrs du régime bolchévique », la famille impériale Romanov en la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou.
« Nous prions pour le Tsar et l’Empereur Nicolas, un martyr, nous prions pour ceux qui ont souffert avec lui », a déclaré Sa Béatitude Cyrille, le 16 juillet 2018.
Nicolas II ne s’est révélé ni conquérant comme Ivan le Terrible, ni bâtisseur comme Pierre le Grand. Mais méritait-il qu’une telle apocalypse emporte son trône, sa famille et la Russie elle-même ? « Boje Tsaria Khrani. »
*Journal Intime de Nicolas II : décembre 1916 – juillet 1918.
**Les Grandes Duchesses Olga (22 ans), Tatiana (21 ans), Maria (19 ans), Anastasia (17 ans) et leur fils, le Tsarévitch Alexis (13 ans), mais aussi le docteur Ievgueni Botkine, trois domestiques: le cuisinier de la famille impériale (Ivan Kharitonov), du valet de chambre (Alexis Trupp) et de la femme de chambre (Anna Demidova).