La libération de Simone Gbagbo
vue par les « frères » d’Alassane Ouattara : Alpha Blondy, Joël-Célestin Tchétché…
Il est très étonnant d’entendre de nombreux Ivoiriens féliciter ou remercier Dramane Ouattara pour avoir libéré, après sept années de détention arbitraire, 800 de ses prisonniers politiques dont Simone Gbagbo. En clair, aux yeux de ces Ivoiriens, l’emprisonnement sans jugement puis la libération sans jugement de toutes ces personnes – souvent en très mauvais état de santé – transforme en un jour le geôlier en libérateur digne de louanges. Ce point de vue qui traduit une totale absence de bon sens fait de ces compatriotes de Simone Gbagbo des esprits méprisables !
Dès le 6 août, après la proclamation de la libération des prisonniers politiques, c’est une « Organisation internationale des femmes ivoiriennes pour la paix », apparue à New-York en juillet 2017, qui félicitait Dramane Ouattara et le remerciait pour l’amnistie qu’il venait de prononcer. Cette organisation parlait alors de « moment historique (pour) la reconstruction émotionnelle de la Côte d’Ivoire ». Allez comprendre ce que cela veut dire. Et elle ajoute : « l’amour a pris le pas sur la haine ; la division va disparaître au profit de la solidarité et de la confiance mutuelle […] La paix est en train de naître ».
Oui, pour les femmes de cette organisation, Dramane Ouattara a fait montre d’un grand amour et a chassé par la même occasion de son cœur la haine qui l’animait jusque-là. Le voici donc tout à coup artisan de la paix ! Ce qui explique les félicitations sans une once d’ironie. Assurément, ces femmes ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Le caractère simpliste de leur réflexion en est la preuve.
Par ailleurs, Monsieur Joël-Célestin Tchétché, porte-parole du RHDP en France – coalition du RDR de Ouattara et du PDCI de Konan Bédié au pouvoir depuis 2011 – agissant au nom du « Forum pour la démocratie et la liberté » a vivement félicité Ouattara. Selon lui et son organisation, « cette initiative personnelle du président de la République […] confirme l’indépendance et l’autonomie de la Côte d’Ivoire ». En clair, un pays où le président prend l’initiative personnelle d’emprisonner puis de libérer qui il veut est un pays indépendant et autonome. Quelle richesse d’esprit ! Quel talent intellectuel ! Précisons que Monsieur Joël-Célestin Tché-tché fait partie de ceux qui affirment haut et fort que le régime de Laurent Gbagbo empêchait les Ivoiriens de circuler librement dans leur pays. Faisons-lui remarquer que malgré les grands travaux de Dramane Ouattara et la croissance à deux chiffres érigée en modèle pour le reste de l’Afrique, il ne paie pas tous les fonctionnaires ; et en appauvrissant les populations par des méthodes diverses, il a fini par faire de la Côte d’Ivoire le troisième pays en nombre de migrants fuyant vers l’Europe.
Plus surprenant encore que les propos des dames ivoiriennes de New-York et ceux du porte-parole du RHDP en France est le discours de l’ancien chanteur Alpha Blondy qui, brandissant son titre d’ambassadeur de la CDEAO en Côte d’Ivoire – titre ronflant parce que vide de sens au quotidien – félicite son « grand frère » Dramane Ouattara en des termes exagérément laudatifs.
En effet, ignorant sans doute le sens des mots, il qualifie la décision de Dramane Ouattara de « geste sublime », en d’autres termes « parfait », d’une grande hauteur morale. Il va même plus loin et fait de l’homme un bienfaiteur de l’humanité en assurant que grâce à lui « l’espérance promise à l’humanité devient une réalité » (Allusion aux paroles de l’hymne national ivoirien). On croirait entendre un récit épique. On est renvoyé à Ulysse, à Soundjata kéïta !… Pour bien comprendre Alpha Blondy, il faut peut-être simplement se dire que c’est un chanteur habitué à faire dans le rythme plutôt que dans le sens des mots qu’il ne maîtrise pas. Pour lui, il faut que l’association des mots sonne bien. C’est tout ! Leur sens est à ses yeux chose secondaire. Si vous ne tenez pas compte de cette remarque, vous le prendrez pour un fou à l’entendre comparer Ouattara à un dieu : « Que Dieu, l’Eternel, vous bénisse abondamment pour votre geste divin ! » Vous avez bien lu : le geste de Ouattara est divin, c’est-à-dire digne d’un dieu !
Oui, pour Alpha Blondy, l’amnistie des 800 prisonniers politiques décidée par Ouattara l’élève au rang des dieux qui seuls sont capables d’un tel geste ! Oui, pour Alpha Blondy, jeter arbitrairement quelqu’un en prison durant sept ans puis le libérer est un idéal auquel tous les Ivoiriens doivent aspirer. Quelle plénitude en perspective pour des millions d’Ivoiriens qui peuvent voir là un avenir prometteur en politique ! Désormais, vous pouvez rêver que si demain vous devenez président de la république, vous pourrez emprisonner Alpha Blondy et tous ceux qui pourraient vous gêner dans votre action puis les libérer au bout de sept ans et vous aurez l’honneur d’être déclaré bienfaiteur de l’humanité et même un dieu.
Pour notre part, nous voudrions nous éloigner de ce concert de louanges qui rabaisse l’esprit humain et dire à la Communauté européenne que si nous ne la félicitons pas, nous nous réjouissons de sa décision – même si elle est tardive – de réparer partiellement le mal qu’un de ses membres – La France – a fait à la Côte d’Ivoire. Nous lui demandons d’aller beaucoup plus loin que le rapport de ses ambassadeurs sur ce pays (1) ; rapport qui a produit l’effet que nous connaissons en ce mois d’août 2018. Puisque la source du mal que vit la Côte d’Ivoire se trouve en Europe, que celle-ci œuvre pour que le loup prédateur qu’elle a fait entrer dans la bergerie ivoirienne en sorte et retourne auprès de son maître permettant ainsi aux vrais démocrates de reprendre leur place. Le rapport cité plus haut ne dit-il pas que les autorités actuelles – qui ont bénéficié de l’aide militaire de la France pour s’installer – se « montrent hermétiques aux critiques internes ou externes, et semblent désireuses de ne laisser aucun lieu de pouvoir leur échapper » et que Alassane Dramane Ouattara est « trop faible politiquement pour accepter le jeu politique » , démocratique ? Alors, afin que cette équipe soit balayée de l’échiquier politique ivoirien, la commission européenne doit absolument faire libérer Laurent Gbagbo avant que le « mécontentement perceptible » de la population ne se convertisse en une violente révolution.
(1) Toutes les citations de ce paragraphe sont extraites du dernier rapport de l’Union européenne sur la Côte d’Ivoire.