Israël : Nétanyahou accusé d’instaurer la «dictature» sous couvert de coronavirus
L’opposition menée par l’ex-général Benny Gantz, majoritaire au Parlement, réagit furieusement à la fermeture de la Knesset ordonnée par son président, Yuli Edelstein, dénonçant une manœuvre visant à soustraire le Premier ministre à tout contrôle législatif
Chez ses admirateurs comme ses contempteurs, il est un point sur lequel Benyamin Nétanyahou fait l’unanimité : son instinct de survie est sans égal, ce conatus politique qui lui a permis de battre tous les records de longévité à la tête de l’Etat hébreu. Face au coronavirus, c’est peut-être ce qui a donné au Premier ministre israélien une petite longueur d’avance. Bien avant la plupart des pays occidentaux, Israël a pris des mesures drastiques, qui semblent avoir jusqu’ici limité le nombre de cas de Covid-19 – aucun décès n’y a été constaté à ce jour, bien que les prévisions s’assombrissent d’heure en heure.
Mais c’est ce même talent à l’autoconservation qui pousse le Premier ministre (techniquement intérimaire depuis près d’un an et trois élections infructueuses) à voir une opportunité dans la crise sanitaire mondiale. Celle de se barricader à la tête de l’Etat en faisant sauter les mécanismes de contrôle de l’exécutif, alors que l’opposition menée par l’ex-général Benny Gantz, chargé par le président de former un nouveau gouvernement, réclame la mise en place de l’alternance sortie des urnes le 2 mars.
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En ces temps d’épidémie, celui que tous appellent «Bibi» est omniprésent, dans l’ombre comme dans la lumière. Chaque soir ou presque, il apparaît à la télévision, expliquant aux Israéliens comment se moucher ou les préparant aux «milliers de morts à venir», entre deux tours de vis supplémentaires dans la lutte contre le coronavirus. Puis, généralement au milieu de la nuit, les décrets tombent, de sa main ou de ses affidés du Likoud dans les ministères, floutant les lignes entre intérêt personnel et bien commun.
L’opposition crie au coup d’Etat de velours
Il y a eu d’abord la fermeture des tribunaux et le report de son procès jusqu’à mai, puis la surveillance électronique généralisée de la population (officiellement pour traquer les porteurs du virus et contaminés potentiels) instaurée sans contrôle parlementaire, et enfin la suspension de la Knesset, prenant pour prétexte «l’union sacrée souhaitée par le peuple» et la difficulté de se réunir en plénière, du fait des mesures de distanciation.
Plus concrètement, la mise à l’arrêt de l’assemblée ordonnée mercredi par son président, le likoudnik Yuli Edelstein, sert avant tout à empêcher le vote désignant le successeur de ce dernier. Un refus d’abandonner son siège, contraire aux usages, alors que l’opposition entend le remplacer par un député pro-Gantz, afin de prendre la main sur l’agenda et les comités parlementaires. Résultat, l’opposition, désormais majoritaire malgré son caractère hétéroclite, est privée d’un droit de regard sur les actions de Nétanyahou et crie au coup d’Etat de velours.
Jamais en Israël, qui s’est longtemps targué d’être «la seule démocratie du Moyen-Orient», la Knesset n’avait été mise en sommeil. Pas même en temps de guerre, rappelle la presse quasi à l’unisson. Le président israélien, Reuven Rivlin, pourtant membre du Likoud comme Nétanyahou, a appelé Edelstein pour l’implorer de sortir le parlement de la «paralysie» : «Nous ne devons pas laisser cette crise, aussi grave soit-elle, saper notre système démocratique.»
«Le coronavirus a tué la démocratie»
Dans un message vidéo, Yaïr Lapid, numéro 2 du parti Bleu-Blanc de Benny Gantz, a résumé la situation : «Il n’y a plus de pouvoir judiciaire, ni législatif. Seulement un gouvernement non-élu avec à sa tête le perdant de l’élection. On peut appeler ça par beaucoup de noms, mais ce n’est pas une démocratie.»
Sentiment relayé par les grandes plumes du pays, à commencer par le futurologue au succès planétaire Yuval Noah Harari, qui, sur Twitter, parle d’Israël comme de la première «dictature du coronavirus» : «Le coronavirus a tué la démocratie. Bibi a perdu l’élection, fermé la Knesset, donné l’ordre aux citoyens de rester chez eux et impose n’importe quelle mesure d’urgence qui lui chante. Ça s’appelle la dictature.» L’éditorialiste vedette Ben Caspit, auteur d’une biographie de Nétanyahou, écrit quant à lui : «Le coronavirus finira par passer. Mais après avoir enterré nos morts, il restera à organiser les rites mortuaires pour notre démocratie.» L’Institut pour la démocratie israélienne, think tank des plus pondérés, a lui parlé de «mépris inacceptable et flagrant des règles basiques de la démocratie».
Arrière-pensées
Face aux critiques, Nétanyahou fustige à son tour une tentative de putsch : «Alors que je mène la guerre contre le coronavirus pour sauver les vies de nos concitoyens, [les députés d’opposition] ne pensent qu’à comploter pour renverser le Premier ministre.»
Il est vrai que le front anti-Nétanyahou n’est pas sans arrière-pensées. L’ultranationaliste Avigdor Liberman, ex-âme damnée de «Bibi» reconverti en Brutus, a déposé trois projets de loi taillés sur mesure pour déloger le Premier ministre inculpé pour corruption. Ces textes prévoient, entre autres, la limitation du terme du Premier ministre à deux mandats et sa destitution en cas de mise en examen. Mais sans nouveau président du Parlement, ni Knesset en état de marche, pas de vote… Se dessine alors la stratégie du Likoud : geler la situation sous fonds de coronavirus jusqu’à l’épuisement du délai de Benny Gantz pour former un nouveau gouvernement, d’ici un mois.
Jeudi, Gantz a déposé un recours devant la Cour suprême pour débloquer la situation, alors qu’un convoi de ses supporteurs en route pour la Knesset était arrêté sur l’autoroute entre Tel-Aviv et Jérusalem par la police. Israël n’a pourtant pas encore instauré le confinement obligatoire, seulement la limitation des regroupements et des déplacements dits «non essentiels». Comme le fonctionnement normal des institutions ?