Interview de Michel Galy dans le quotidien « Le Temps »
Michel Galy révèle : « Il y a des tractations en permanence à la Cpi »
« Le juge Cuno Tarfusser est convaincu de son innocence »
Dans cet entretien, Michel Galy, éminent politologue français, évoque avec nous plusieurs sujets brûlants de l’actualité politique, judiciaire tant en Côte d’Ivoire qu’à la Cpi sise à la Haye. Il ne manque pas de révéler l’attitude du juge-président, Cuno Tarfusser quant à l’innocence de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.
Le parti de Gbagbo a organisé la 9ème édition de la fête de la liberté à Gagnoa, la ville natale du président Gbagbo emprisonné à la Haye. Quel sens donnez-vous à cette fête?
– Le sens premier est celui de la fidélité au calendrier, car comme vous le savez, c’est une sorte de rituel politique puisque chaque année, au même moment dans des lieux différents, cet événement est célébré. En plus, ceux qui avaient cru pouvoir vider le parti de Gbagbo de sa substance ou le diviser, ont dû être déçus. Parce qu’il y a eu une mobilisation extraordinaire sans aide matérielle, sans sponsoring. Et donc, la conclusion c’est que le parti de Gbagbo est incontournable dans le paysage politique ivoirien.
Partagez-vous l’avis de ceux qui disent qu’il ne fallait pas célébrer cet événement puisqu’il y a encore des prisonniers politiques à Abidjan et à la Haye?
– Il y a le côté certes, de se regrouper pour commémorer toute une histoire assez longue autour de l’évocation du nom du président Laurent Gbagbo. Donc je pense que ce n’est pas forcément contradictoire qu’il y a des actions fortes pour les prisonniers politiques avant et pendant la cérémonie, comme ça a été le cas. Donc, étant donné que le régime est très vulnérable sur la question humanitaire, notamment des prisonniers politiques, du président Gbagbo, du ministre Charles Blé Goudé, de la première dame Simone Gbagbo, on peut espérer qu’il y aura des actions fortes en leur faveur. Et même peut-être plus fortes. Est-ce que ça sera des manifestations publiques? Est-ce que ça sera quelque chose de plus internationale? Il revient évidemment aux dirigeants du parti de Gbagbo de le déterminer, de le choisir.
Mais est-ce que vous comprenez le fait que le régime Ouattara nie encore l’existence de prisonniers politiques sept ans après la crise?
– Comme je vous le disais, il y a une grande gêne pour ce régime sur ce sujet très sensible. Le régime Ouattara est très embarrassé par cette question, vu les informations détaillées produites sur les conditions de détention et l’état de santé des prisonniers par les Ong nationales et internationales ainsi que par le secrétaire national du parti de Gbagbo en charge des prisonniers. En même temps, il y a quelque chose d’incompréhension là-dedans.
Les Ivoiriens s’interrogent sur le silence des puissances occidentales, notamment la France et États-Unis sur le processus de réconciliation et les prisonniers politiques?
– Vous savez que le régime Ouattara tient politiquement et même militairement grâce à l’appui du soutien extérieur. En tant que politologue spécialisé dans les conflits, je puis vous dire que sans la présence de la base militaire française à Port-Bouet, ce qui est scandaleux d’ailleurs, le régime ne tiendrait pas quelques mois. C’est son soutien principal que ce soit la droite ou la gauche. Donc à partir de ça, il appartient à l’opposition ivoirienne significative de demander des entretiens avec des officiels français en s’appuyant sur des listes et photos de prisonniers politiques et de le porter sur la place publique internationale. Là-dessus, je pense que la représentation du parti de Gbagbo en France a un rôle clé qui doit être renforce, à jouer dans ce sens. Auprès de personnalités politiques françaises de premier plan. Dont le président Macron, les présidents des différents partis, les membres du sénat et de l’assemblée nationale etc. Il faut des actions fortes à l’international vu que c’est l’extérieur qui est le principal soutien du régime Ouattara.
Justement, Ouattara a été reçu à deux reprises à l’Elysée par Macron, mais après on ne voit rien comme pression de la part de la France pour rappeler à l’ordre le régime Ouattara sur certains sujet politiques?
– Vous savez, la diplomatie, c’est l’art d’occulter les problèmes et de les régler de manière discrète et dissimulée. Donc, quand on connaît le contenu réel des entretiens, on peut être surpris. Je peux vous rappeler que lorsque Ouattara a été reçu par François Hollande, la question des prisonniers politiques a été évoquée à une époque où on pensait que ça n’intéressait personne. Car c’était un moment de creux pour le militantisme au niveau des droits de l’homme. Donc les relations franco-ivoiriennes, elles agissent aussi en fonction des mobilisations bien évidemment en Côte d’ivoire et en France.
Vers la fin du mois d’avril, deux juges sur trois de la chambre de première instance ont fréquence pour la 13ème fois la liberté provisoire au président Gbagbo. Considérez-vous cela comme un cuisant échec comme le pensent de nombreux partisans du président Gbagbo?
– D’abord la Cour pénale internationale (Cpi), elle est de droit anglo-saxon. Donc, nous qui sommes du système judiciaire francophone, on a des étonnements tous les jours. On ne comprend pas forcément. Seuls les spécialistes, les équipes de défense de Gbagbo et Blé Goudé peuvent comprendre quelque chose. En plus, il n’y a pas d’instance de contrôle de la Cour pénale internationale (Cpi), qui est une instance curieuse. Donc la situation est que le procès est arrêté peu après son ouverture en janvier. Pour l’opinion publique, c’est un peu l’opacité. On avait compris que les trois juges ont demandé à Fatou Bensouda de remettre un mémoire d’ici un mois. Ce qui a été fait. Les équipes de défense ont également déposé leurs réponses. Cela est passé et nous sommes en mai.
Il y a déjà un dysfonctionnement majeur. Si vous vous souvenez, il y a la chambre d’appel qui avait dit en substance qu’il y a théoriquement la présomption d’innocence qui doit prévaloir dans le cas du président Gbagbo et qu’on peut lui accorder une liberté provisoire avec assignation à résidence surveillée. C’est ce sur quoi, Maître Altit a persisté. Le juge-président Cuno Tarfusser, l’Italien est maintenant convaincu si ce n’est de l’innocence des deux accusés, il ne peut pas le dire publiquement. Il estime néanmoins qu’il leur faut accorder quand même la liberté provisoire. Mais, les deux autres juges refusent cette mesure, certainement sous influence de puissances extérieures, notamment de certains milieux politiques français. Donc, c’est pour cela que la procédure a encore recommencé sur la liberté provisoire. Autrement, le juge-président Cuno Tarfusser qui semble de plus en plus favorable aux deux accusés, dit qu’il y a une autre voie. A savoir la longueur du procès. En droit international notamment en Europe, tout le monde a droit à un procès équitable dans un délai raisonnable. On n’est pas encore à la phase de la défense, il y a l’accusation qui a encore la parole, il y aura la phase des juges. Donc si le procès continue, nous en avons encore pour au moins trois ans. Les avocats de la défense ont demandé un non-lieu si on traduit le système anglo-saxon et la libération des accusés. Et puis l’accusation, a demandé la poursuite du procès bien évidemment. Donc, on en est là. On attend la décision des juges après le dépôt du mémoire de l’accusation et les réponses des équipes de défense.
Mais après ce refus, Maître Altit a introduit une autre demande de mise en liberté provisoire en se basant cette fois sur son état de santé du président Gbagbo. Pensez-vous que cela peut aboutir ?
– Je n’ai pas d’avis là-dessus, parce que les 3/4 de sa demande sont censurées pour l’opinion publique extérieure. Sous prétexte de la vie privée du prévenu. Étant donné qu’on ne connait pas le fond de sa demande, il est très difficile de porter une opinion là-dessus.
Certains partisans du président Gbagbo critiquent la stratégie de Maître Altit, l’accusant de faire perdurer le procès. Comprenez-vous ces accusations?
– Moi je n’y crois pas du tout. Parce que Maître Altit n’est pas seul à défendre le président Gbagbo. Il y a toute une équipe qui collabore bien évidemment avec les avocats de Blé Goudé. Et puis, il est également spécialiste du droit anglo-saxon à la Cour pénale internationale (Cpi). Il a cru en ce qui concerne, la demande de libération provisoire à la chambre d’appel, qui a incité les juges de première instance à étudier les possibilités d’une liberté provisoire en faveur du président Gbagbo, il a cru vraisemblablement que cela serait effectif. Mais au finish, deux juges sur trois en première instance ont refusé. En plus, si on adoptait une défense de rupture c’était au début du procès, que cela aurait dû être mis en œuvre. Et cela signifie, contester à la fois la légitimité de la Cour pénale internationale (Cpi), l’arrestation du président Gbagbo et le système néocolonial qui a provoqué toute cette situation. Or, au cours d’une audience Maître Altit a rétorqué tout cela à Fatou Bensouda. Je comprends l’impatience de l’opinion, mais quand on voit comment les 82 témoins de l’accusation ont contredit la thèse de celle-ci, on se rend compte que la démarche de Maître Altit a été fructueuse jusqu’à présent. Il en est à un moment clé de bascule et on verra si sa stratégie va aboutir ou non. Soit à la libération totale du président Gbagbo. Soit à une liberté provisoire, soit à un raccourcissement du procès.
D’aucuns disent également qu’il y a également des tractations en cours au niveau diplomatique entre le président Gbagbo et des émissaires du pouvoir français. Avez-vous eu écho de cela?
– Non pour le moment, je n’ai pas d’informations là-dessus mais les tractations, elles sont permanentes. Par exemple, Mediapart a révélé les tractations scandaleuses qu’il y a, ce qui en droit devrait invalider le procès, entre les membres du gouvernement français au niveau des affaires étrangères, le Procureur et le pouvoir de Ouattara. Donc, les tractations dans le sens inverse comme dans l’autre, il y en a en permanence. Je vous rappelle l’initiative de trois présidents africains auprès de Hollande en vue de mettre fin à la procédure contre le président Gbagbo à la Cpi. Donc, il y a des tractations en permanence qui échouent ou que j’espère, réussiront.
Le procureur soutient qu’elle enquête dans Côte d’Ivoire 2, sur les crimes commis par les partisans de Ouattara depuis 2015. Mais depuis, ces enquêtes n’aboutissent toujours pas. Croyez-vous qu’un jour il y aura des mandats d’arrêts contre le camp Ouattara?
– Bon, vous savez qu’elle a sur son bureau, 4000 plaintes déposées à la Cpi par l’association des Wè. A qui, il faut rendre hommage. Donc, il est vrai qu’elle a mené des enquêtes. Mais, c’est purement formel. Au lieu d’instruire à charge et à décharge, Fatou Bensouda instruit à charge. Depuis sept ans, elle a commis une forfaiture juridique. Elle n’a travaillé qu’en faveur de Ouattara contre Laurent Gbagbo. Donc ces affirmations qu’elle répète qu’elle va instruire contre le camp Ouattara, n’est que de la poudre aux yeux. C’est de la distraction.
Revenons en Côte d’Ivoire pour parler du parti unifié. Vous qui êtes politologue, comment expliquez l’entêtement de Ouattara à vouloir imposer de projet aux autres parti partis du Rhdp?
– C’est une question intéressante. En fait, ce monsieur n’est pas un démocrate. Ou alors, c’est un démocrate à temps partiel. En tant que politologue, ce qu’il veut créer, rappelle le parti unique de l’époque de Félix Houphouët-Boigny. Chacun sait qu’il y a eu des tractations entre le Pdci et le Rdr en 2010. Est-ce que Ouattara a obtenu de force de passer devant Bédié lors du premier tour de la présidentielle? Ça se discute toujours. Mais, il a promis dans ce couple une alternance qui a été déjà ratée en 2015. Ce que cette fois, Bédié et une grande partie du Pdci réclament avec force en 2020. Bon, il y a une tension assez très forte de plusieurs côtés. Il y a en même temps en parallèle, les ambitions de Guillaume Soro qui s’appuie quoiqu’on le dise sur les ex-rebelles et les ex-com’zones en particulier, va mettre son grain de sel. Il y a encore bien évidemment, le parti de Gbagbo qui est sans doute majoritaire dans le pays qu’il ne faut pas négliger.
Comment comprendre la mise en alerte maximale des Faci en ce moment?
– Je ne sais pas ce qui se passe, mais on peut remarquer que chaque fois qu’il y a des échéances ou que Guillaume Soro est marginalisé d’une manière ou d’une autre, dans son fief de Bouaké, il y a des agitations, des revendications qui montrent au fond la faiblesse et la frilosité du régime qui a bénéficié d’un coup d’état franco-onusien, qui s’est appuyé sur une rébellion.
Pour 2020, que conseillez-vous au parti de Gbagbo qui ambitionne reconquérir le pouvoir?
– Ce n’est pas à moi de les conseiller. Néanmoins, il y aura à partir de la semaine prochaine en France une réunion de réflexion au cours de laquelle, nous aurons l’occasion d’étudier les différentes hypothèses en compagnie de Pascal Kokora, un des fondateurs du parti de Gbagbo. Je pense qu’il y a un consensus parmi les acteurs politiques qu’il ne peut pas avoir d’élections valables et crédibles avec une Cei actuelle que l’on connaît. Même le président Gbagbo a regretté d’être allé aux élections avec une Cei composée au 3/4 des membres du Rhdp. Aller aux élections, c’est bien, mais il y a le rapport de force qui doit être équilibré. Comme le député français Michel Larive, j’estime qu’il ne peut avoir une vie politique normale et une présidentielle crédible dans la situation actuelle en Côte d’Ivoire. »
Réalisée par Fabrice Tété, Le Temps
Michel Galy