Insécurité maritime et insécurité alimentaire

18 mai, 2017

Leslie Varenne

Les conférences organisées par le ministère des Armées ont le mérite d’être claires, précises, concises. Ce fut le cas, une nouvelle fois, ce 17 mai, pour celle portant sur le Golfe de Guinée et l’insécurité maritime, animée par le vice-amiral, Emmanuel de Oliveira, commandant en chef pour l’Atlantique. L’insécurité maritime touche les 18 Etats du Golfe de Guinée qui tous ont une très forte dépendance à la mer [1].

Au moins 92% des marchandises arrivent sur le continent africain par les mers et une façade maritime, pour exemple, 90% du PIB du Togo passe par le port de Lomé. Les menaces auxquelles est confronté ce territoire sont nombreuses : la piraterie dont le nombre d’attaques varie en fonction de la politique du Nigéria, puisque 86% des bateaux pirates sont concentrés dans ce pays ou opèrent en provenance de ce pays, l’impact de ce phénomène sur les économies africaines reste néanmoins faible ; la contrebande de drogue en provenance d’Amérique du Sud ; les trafics d’êtres humains ou de marchandises illégales ; le risque islamiste qui s’étend du Sénégal jusqu’au Togo. Mais si la menace djihadiste n’est pas à minorer, à l’heure actuelle, le danger le plus imminent est, sans conteste, celui de la pêche illicite.

Une catastrophe annoncée

70 % des protéines consommées par les Africains proviennent de la mer, or la pêche illicite est en passe de ruiner les fonds marins du Golfe de Guinée. Dans un avenir proche, il n’y aura plus de poissons au large des côtes africaines entrainant ainsi un risque de famine. Ce n’est pas une menace en l’air, le long de la côte du Congo Brazzaville, il n’y a déjà plus rien ! Et les activités illégales continuent de plus belle.  Le mois dernier, l’opération Corymbe [2], mission de la marine française dans cette zone, a recensé pas moins de 450 navires illégaux. Le plus souvent, l’équipage, de ces chalutiers de fortune, est chinois, ce sont des sortes d’esclaves au service d’armateurs rarement identifiés. La lutte contre cette activité illégale est extrêmement difficile. La plupart de ces bateaux changent de pavillon et de propriétaire à une vitesse incroyable. Selon le vice-amiral : « l’an dernier, il y avait encore quelques armateurs européens, mais le ménage a été fait ». Ceux qui restent sont asiatiques, Chinois ou Coréens. De plus, pour compliquer encore un peu plus les choses, les administrations corrompues des Etats du Golfe de Guinée délivrent parfois des vraies-fausses licences de pêche. Pourtant, les Etats du Golfe de Guinée ont pris conscience de l’importance de la mer et du danger qui les guette, ce qui a conduit au processus de Yaoundé signé par les pays concernés en juin 2013. Ce processus définit le partage des responsabilités et l’organisation de la lutte contre les activités maritimes illicites en Afrique de l’Ouest et du Centre, mais les marines nationales ne sont pas véritablement opérationnelles. Elles interviennent encore assez peu dans leurs eaux territoriales, même si quelques progrès ont été réalisés ces deux dernières années. Or, juridiquement, elles seules, peuvent arraisonner ces navires, l’opération Corymbe peut seulement partager les informations qu’elle détient. Faudra-t-il attendre que les fonds marins de cette zone soient totalement pillés pour voir disparaître la pêche illicite ?

[1] Le Golfe de Guinée est une zone très convoitée, ainsi sont présents l’Union européenne, les US, les Brésiliens, le Canada, les Russes et les Chinois. Ces derniers interviennent dans le cadre de leur projet de la route de la soie (One road, one belt). Mais seule la marine française est présente en permanence tout au long de l’année.

[2] Depuis 26 ans, la marine française est présente dans ces eaux et mène les missions Corymbe chargées de sécuriser les expatriés français (lors de la récente mutinerie en Côte d’Ivoire une opération a été préplanifiée pour venir en aide à ses ressortissants, si besoin était) et ses intérêts économiques liés à l’uranium et au pétrole. Corymbe vient également en appui aux opérations militaires françaises en Afrique et coopère également étroitement avec toutes les marines nationales des pays du Golfe de Guinée : formation et partage de renseignements pour lutter contre l’insécurité maritime.
iveris.eu

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