Indemnisation des victimes de guerre

Des oubliés grognent

« Pendant la guerre, j’ai tout perdu. Des gens sont arrivés chez moi, ils m’ont tout pris, même les robinets, ils ont tout arraché ! Ma villa a été laissée dans un état de délabrement. Le fruit de tous mes efforts, de toute ma carrière, tout est parti ! Et j’ai fait et refait le dossier d’indemnisation, on dit qu’on va m’appeler, mais rien…»

Ces mots d’amertume sont ceux d’un retraité de la Région du Guémon. Il a requis l’anonymat pour ne pas recevoir la foudre du régime en lieu et place de son indemnisation. Il avait fait faire constater le dégât opéré chez lui par huissier. Son dossier a été, selon lui, enregistré à la Conariv. Mais depuis, il se demande ce que devient l’aide promise ?

Le vendredi 22 avril 2016, la ministre de la Solidarité, de la cohésion sociale et de l’indemnisation des victimes, Mariatou Koné, annonçait l’ouverture d’un guichet spécial de recensement des exilés Ivoiriens, dans le cadre de l’opération d’indemnisation des victimes des crises survenues en Côte d’Ivoire de 1990 à 2011. L’on a alors appris que la Côte d’Ivoire dispose désormais d’une liste « fiable » et «crédible» de 316 954 victimes issues de ces crises. Liste remise deux jours plutôt au chef de l’Etat Alassane Ouattara par le président de la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (Conariv) Mgr Siméon Ahouana. Il n’est pas mauvais de tendre la main à nos frères et sœurs poussés à l’exil par la guerre. Mais on se demande pourquoi les autorités tardent à indemniser (ou le font au filtre) des victimes inscrites (liste « fiable » et «crédible») depuis le début du processus et qui, aujourd’hui, commencent à douter de l’impartialité des structures chargées d’indemniser. Faut-il connaître des gens dans la chaîne pour être indemnisé ? Faut-il être recommandé par un parrain ? Faut-il promettre un pourcentage, une fraction de son indemnité, pour être admis à recevoir ce dédommagement ? Des victimes grognent en silence, ne voulant pas se faire remarquer au risquer de ne jamais se voir indemnisées.

Lorsqu’on regarde la configuration du pays, on sait les régions qui ont été occupées et pillés. On sait alors celles où les rebelles étaient chez eux, où il n’y a pas eu de combats ni de pillages. Des victimes ne comprennent donc pas que pendant qu’elles « poirotent », « des gens qui étaient tranquilles pendant la guerre se déclarent victimes et reçoivent des aides ». De vraies fausses victimes n’auraient-elles pas grossis le rang des victimes effectives ? Il faut craindre que des personnes au cœur du processus d’indemnisation aient introduit dans le système des intrus, afin de leur octroyer un pécule indu. Le processus d’indemnisation des victimes de guerre se serait-il transformé en vaste business ?

Selon l’ex-Commission dialogue vérité réconciliation (Cdvr), il y aurait un autre chiffre, environ 73 000 victimes de violences politiques depuis le coup d’État de décembre 1999 jusqu’à la crise postélectorale de fin 2010-début 2011. En octobre 2015, le Programme national de cohésion sociale (PCNS) avait annoncé une échelle des indemnisations pour les victimes de la crise postélectorale ivoirienne. Un espoir avait jailli. Créée par l’ordonnance N°2015 du 24 mars 2015, « la Conariv a pour mission d’identifier les victimes et les ayants droits de victimes non recensées, de procéder au recensement des victimes en vue de la constitution d’un fichier unique consolidé, de procéder à la réparation des préjudices subis ou à la restitution des biens ». Mais aujourd’hui, en décembre 2016, des victimes oubliées grognent. Il faut donc revoir le système d’indemnisation pour ne pas créer des frustrés et d’autres victimes.

Germain Sehoué
gs05895444@yahoo.fr