Escroqueurs, escroqués !
une enquête de l’Éléphant déchainé
Ils n’ont peur de rien. Au sein même de la présidence de la république, des agents ont trouvé le moyen de distraire quelques millions. Le pot aux roses a été découvert mais ainsi que le dirait la fable de La Fontaine, certains, dans les responsabilités, ont été faits blancs, quand se voyaient noircis, ainsi qu’ils sont protégés ou pas.
32 millions de francs CFa, c’est à peu près le montant sorti frauduleusement de la caisse du personnel de la présidence de la République pour l’année 2017. En attendant que l’évaluation du préjudice allant de la période de 2012 à 2017 soit faite. Un personnel de la présidence géré par la directrice des ressources humaines répondant au doux nom de Gneba Nadine Melaine. Laquelle valide en premier, par sa signature, les demandes de prêts que sollicite le personnel.
Il faut savoir que depuis 2011, sous l’onction du ministère des Affaires présidentielles, instruction avait été donnée que chaque employé de la présidence pouvait solliciter au maximum un montant de 2 millions de Franc Cfa à rembourser sur un an. Puis en 2013, sur instructions du directeur des affaires administratives et du patrimoine, Traoré Adama, une exception, pour de nouveaux prêts avait été accordée à quelques employés qui avaient déjà des prêts en cours. Depuis, le personnel pouvait demander de multiples prêts que la responsable des ressources humaines pouvait soit autorisé soit refuser, en tenant compte, bien évidemment, de la quotité de l’agent demandeur.
Cette multiplicité de prêt désormais possible sera l’alibi parfait pour faire s’échapper, en douce, quelques millions de cette caisse. Et ce, jusqu’à la note du 05 février 2018 adressée par le conseiller technique, chef du département Finances et Comptabilité au Directeur des affaires financières et des moyens généraux. Dans cette note, il s’inquiétait d’éventuels cas de fraudes financière et de dysfonctionnement dans les prêts accordés au personnel.
Des prêts sans demande, des noms sciemment écorchés et le tour est joué
Tout est parti de quatre dossiers de prêts des nommés Koné Massé, N’go Yao Pierre Rodrigue, Belourbie Tibo et Touré Sarata. Lesquels avaient déjà bénéficié de prêts tout en sollicitant de nouveaux. Le premier cité pour un montant de 450 000Fcfa le 24/07/2017. Le second pour un montant de 600.000Fcfa le 24 juillet 2017. Le troisième pour un montant de 700.000Fcfa le 18 juillet 2017. Le dernier pour un montant de 500 mille le 3 aout 2017.
Juste après, y a eu une seconde demande de prêts, œuvre des mêmes personnes avec des noms variant légèrement. Dans le second dossier de prêt validé par la responsable des ressources humaines que l’assistant-Chef du personnel, Jean Julien Akoua, transmet au chef du service de la comptabilité Angoran, il y a comme quelques anomalies. Koné Massé, s’appelle désormais Massé Koné avec le même matricule, le même salaire et sollicite à nouveau un prêt de la même valeur au 3 aout 2017 soit quelques trois semaines après avoir soumis le premier le 24 juillet 2017.
N’Go Yao Pierre Rodrigue verra son nom amputé de son prénom Yao dans son second dossier de prêt correspondant au même montant du premier prêt. Lequel est sollicité seulement deux jours après avoir émis le premier, soit le 26 juillet 2017. Belourbie Tibo, dans son second dossier, s’appelle désormais Bolouarbie Tibo et sollicite à nouveau un prêt de 700.000 Fcfa seulement 9 jours après avoir fait la première demande le 18 juillet 2017.
Ces demandes de prêts, à quelques omissions de noms et de lettres près des agents, feront tilt dans la tête du chef de la comptabilité. Lequel demandera, via un mail sur lequel le quadrupède a mis la patte, que l’assistant chef du personnel lui fournisse les dossiers de ces seconds prêts. Même si la similitude entre ces noms est flagrante, ils ne restent pas moins différents.
A cette demande, l’assistant chef répondra que les demandes de Koné Masse, N’go Yao Pierre, Belouabie Tibo et Touré Sarata (sans écorchures bien évidemment) « ont été traitées par inadvertance à deux reprises. » Tiens donc…
Traitement par inadvertance et vite une enquête
Pour comprendre comment des agents peuvent soumettre plusieurs dossiers de prêt sans que les ressources humaines ne prennent en compte leur quotité, des auditions ont été réalisées par les services du ministère des Affaires présidentielles. Et une enquête approfondie a été diligentée par le Groupement d’investigation et de sécurité de la présidence de la République. Les résultats de cette enquête ont édifié le quadrupède sur la grande légèreté qui prévaut dans le fonctionnement et la gestion du personnel de la présidence de la République par les ressources humaines.
Les conclusions du rapport d’enquête soumises à l’attention de Monsieur le Ministre des affaires présidentielles le 21 mars 2018 et signée des petites mains du directeur des affaires administratives et du patrimoine sont plus qu’édifiantes. Morceaux choisis : « Concernant le détournement de fonds. Des agents de la présidence de la république ont versé des fonds entre les mains de monsieur Akou Jean Julien en vue de remboursement anticipé des prêts que ces agents ont contractés auprès de la présidence de la république.
Une fois ces fonds reçus, M. Akou avait l’obligation de les reverser dans les caisses des services financiers contre reçus. Cependant, M. Akou a gardé ces fonds par devers lui. Durant la confrontation, M. Akou a reconnu n’avoir jamais reversé ces fonds à nos caisses. Pour la seule année 2017, les cas retracés se chiffrent à 1.700.000. Deuxième forme de détournement. Courant 2017, M. Akou Jean Julien a émis plusieurs demandes de prêts pour un montant total de 4.421.000 FCFA à son profit.
Monsieur Akou était censé, dans le cadre de ses fonctions, transmettre copie de ces états de prêts au service solde afin que les échéanciers de remboursement soient prélevés mensuellement. Cependant M. Akou a dissimulé ces états de prêts avec pour seul objectif de ne pas rembourser à la Présidence les fonds qui lui reviennent de droit. Durant la confrontation, M Akou a reconnu avoir intentionnellement dissimulé ces états de prêt. Le préjudice total des cas de détournements avéré actuellement est de 6.121.000Fcfa.
Concernant l’établissement de faux documents, courant décembre 2017 ; des prêts ont été décaissés au profit de plusieurs agents sur la base d’état de prêt validé auprès des autorités compétentes (…) pour un montant total de 2.250.000 Fcfa. Cependant les prétendues bénéficiaires ne reconnaissent pas avoir bénéficié de ces fonds. (…) Sur la base des états de prêts validés, les services financiers ont décaissés des montants respectifs de 600.000Fcfa, 800.000Fcfa et 2.000.000Fcfa. Cependant, les états de prêts transmis au service solde pour prélèvement des remboursements se chiffrent respectivement à 300.000Fcfa, 400.000Fcfa et 1.000.000Fcfa.
Ces personnes avaient procédés à des remboursements anticipés qui ont été détournés. Pour éviter que le service solde prélève ces agents des montants qu’ils ont remboursés de façon anticipée, Monsieur Akou a établi de nouveaux états de prêts correspondant au solde dû par les agents après avoir pris en compte les remboursements anticipés. Il y a donc un bon état de prêt transmis aux services financiers pour règlement d’un montant supérieur, et un faux état de prêt transmis à la solde pour prélèvement d’un montant plus faible. » (…) Au total, 28 agents ont bénéficié de prêts évalués à 27.938.000Fcfa sans être prélevés. » Ecrit le rapporteur.
Procédure d’obtention des prêts au DRH
Point 1, il est déposé au secrétariat de la Direction des ressources humaines (DRH) la demande de prêts. Cette demande comporte le nom et prénom, le service, le contact, matricule, le montant sollicité par l’agent.
Point 2, le dossier est ensuite transmis à la directrice des ressources humaines pour décision.
Point 3, après vérification, elle valide les demandes de prêts accordées avec la mention du montant accordé.
Point 4, les demandes validées sont ensuite remis par la directrice à l’assistant-chef du personnel pour l’élaboration de la fiche de paie pour décaissement.
Point 5, l’élaboration de la fiche de prêts par l’ assistant-chef du personnel. Elle comporte les mentions suivantes que sont le matricule, nom et prenons, le service, le montant du salaire, le montant de la demande, le montant octroyé, l’échéancier, le début et la fin du prélèvement.
Point 6, retour ensuite de la fiche de prêts pour décaissement, classée dans un parafeur avec en face la demande validée par la DRH pour la première signature.
Point 7, suivant la procédure normale après cette première signature de la DRH, le parapheur de prêts est remis au directeur des affaires administratives et du patrimoine pour la deuxième signature.
Point 8, le parapheur après cette deuxième signature est remis au directeur des affaires financiers et des moyens généraux pour la troisième signature.
Point 9 quand cela est fait et que les trois signatures sont apposées sur la fiche de prêts, le parapheur de prêts est acheminé à la caisse pour paiement.
Tant que cette procédure est respectée et que chacun des responsables joue parfaitement son rôle dans la chaine qui est loin de se limiter à une simple signature, la fraude ne pouvait guère exister. Sauf que des investigations du pachyderme, il est ressorti que les deux dernières signatures n’ont pas toujours figuré sur certaines fiches de prêt pour décaissement. C’est que, arrivé au point 6 du schéma, certaines fiches de prêts prennent d’autres joyeuses directions. Une photocopie de ces fiches signées uniquement par la DRH était acheminée au service solde par l’assistant-chef du personnel pour décaissement ou prélèvement.
Audition et sanctions boiteuses Au cours des auditions, Akou Jean Julien, refusant de couler tout seul puisqu’il est licencié pour faute lourde, a cité ses collègues, qu’il dit être ses complices dans ce réseau de détournement. Ceux-ci ont été également auditionnés. A la suite de ces auditions, des sanctions aux motifs plus ou moins drôles sont tombées sur la tête de bon nombre d’entre eux. C’est le cas de Mme Djoro, Chef du service personnel du département des ressources humaines. Auditionnée, elle a d’abord été suspendue à titre conservatoire avant d’être licenciée quelque temps plus tard pour perte de confiance.
Il lui est reprochée d’avoir établi le dossier de prêt de la nommée N’guessan Amoin Julienne. Celle-ci aurait perçu le 6 novembre 2017 un prêt d’un million de francs pour lequel elle n’est pas prélevée. Mme Djoro aurait gardé le dossier par devers elle.
Mme Latte, anciennement aide gouvernante et exerçant aujourd’hui comme agent de bureau, a été auditionnée et licenciée pour faute lourde. Motif retenu après audition ? Elle aurait accompagné des personnes prétendument nommées Touré Sarata et Koné Massé (des personnes pour lesquels Akou Jean Julien avait établi de seconds prêts par inadvertance). On ne pouvait pas faire mieux comme motif et sanction. Comme observation dans son dossier, il est mentionné qu’en sa qualité de fonctionnaire, elle a été mise à la disposition du ministère de la fonction publique avec un courrier indiquant les faits qui lui sont reprochés afin qu’elle soit traduite devant le conseil de discipline. « L’Eléphant » suit l’évolution de son dossier.
La caissière, Souare Fatoumata s’en sort plutôt bien avec un avertissement écrit. M. Tra Bi Jules, agent de bureau aux ressources humaines a été licencié pour fautes lourdes pour avoir reçu des remboursements anticipés via orange money de certains agents qui n’ont pas été versés à la caisse. Il a bénéficié de deux prêts pour lesquels il n’est pas prélevé et qu’il n’a pas signalés à sa hiérarchie ou à la solde. Puis un avertissement verbal à l’endroit de tous ces agents qui ont bénéficié de prêts pour lesquels ils ne sont pas prélevés et qu’ils n’ont pas signalé. Le comptable, M. Angoran, qui ne fait pas de rapprochement entre les montants décaissés et ceux prélevés au département des ressources humaines, selon les conclusions de l’enquête, n’a pas été inquiété le moins du monde.
Simple oubli ou omission volontaire ? Quid de la première responsable des ressources humaines, Gneba Nadine Melaine ? Selon le rapport d’enquête, elle serait blanche dans l’affaire, de même que le directeur des affaires administratives et du patrimoine. Il faut souligner, mais il s’agit d’un petit détail, que le rapport a été rédigé des petites mains dudit directeur des affaires administratives et du patrimoine. Il a écrit : « D’une manière générale, la plupart des prêts incriminés ont été accordés en l’absence de la conseillère chargée des ressources humaines et du directeur des affaires administratives et du patrimoine ».
Et quand on sait que ces cas de malversations ne se sont pas opérés en un seul jour et qu’ils sont tous les deux signataires, en principe, des fiches de prêts pour décaissement, on peut se poser des questions non seulement sur la sincérité du rapport. Autre bizarrerie. Dans le rapport du directeur des affaires administratives et du patrimoine soumis à l’appréciation du ministre des Affaires présidentielles, celui-ci a étrangement oublié de faire mention du contenu de l’audition de la responsable des ressources humaines faite par le GSPR. De ses deux auditions il est dit dans le rapport du GSPR qu’ : « (…)
A la question de savoir au vu de quels documents justificatifs a-t-elle signé les 4 fausses fiches d’Etat de prêt portant les noms des nommés Noné Massé, Touré Sarata, N’Go Yao Pierre Rodrigue et Belouabie Tibo, elle a confié avoir signé lesdites fiches sans avoir vu les demandes y afférentes contrairement aux premières fiches des susnommés qui étaient des dossiers authentiques. Elle a reconnu n’avoir jamais fait de rapprochement entre le service du personnel qui traite les fiches d’état des prêts et le service solde qui traite le recouvrement des soldes, malgré la précaution de transmission des fiches signées par elle entre ses deux services. Elle a précisé que cette dernière mesure a été prise pour pallier au nom retour des fiches de paie de prêts qu’elle a toujours réclamés au service finance-comptabilité. (…)
En tout état de cause, Dame Gneba Nadine avoue endosser la responsabilité administrative de tous les manquements et insuffisances constatées dans son services ». Pourquoi avoir omis de le mentionner dans le rapport soumis au ministre des Affaires présidentielles ? Parce qu’après un tel aveu, et une malversation portant sur un montant d’environ 30 millions de francs Cfa avec en sus son onction, Dame Gneba Nadine aurait tout simplement démissionné de son poste de responsable des ressources humaines.
PP (Éléphant Déchainé)
Ziazia Yema Eckla