Entretien avec Thierry Meyssan
À propos de « Sous nos yeux »
À l’occasion de la publication de son livre, « Sous nos Yeux. Du 11-Septembre à Donald Trump », Thierry Meyssan a accordé une interview par Internet.
Réseau Voltaire : Thierry Meyssan, votre nouveau livre Sous nos yeux vient de paraître, 10 ans après le précédent. Quel en est le sujet, et pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
Thierry Meyssan : – Il y a seize ans, je dénonçais le coup d’État du 11-Septembre. Ce que j’anticipais à l’époque a effectivement eu lieu : les responsables de cette opération ont instauré un état d’urgence permanent aux États-Unis et se sont lancés dans une série de guerres impérialistes. Beaucoup de gens n’ont retenu de ce livre que le court passage sur l’attentat du Pentagone, mais c’est un livre de sciences politiques qu’on aurait mieux fait de prendre au sérieux.
Je ne comprends pas lorsque l’on me demande si je « crois » toujours ce que j’ai écrit en 2002 : je le vois, je le vis tous les jours. Les sciences politiques sont des sciences empiriques : on ne parvient à distinguer entre des hypothèses, celles qui sont vraies de celles qui sont fausses, qu’à travers leurs conséquences. Et le temps m’a donné raison.
Cela fait plus d’un an que la France est placée sous état d’urgence, tandis que ces guerres ont dévasté le Moyen-Orient élargi et fait déjà plus de 3 millions de morts. Elles sont en train de déborder en Europe avec des flux migratoires et des attentats terroristes.
Dans Sous nos yeux, j’ai voulu revenir sur leur planification. Expliquer qui en a décidé, pourquoi et comment. Les Occidentaux abordent ce phénomène de manière séquentielle. Pour eux, en général, il n’y aurait pas de liens entre ce qui s’est passé en Afghanistan, en Irak, en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen et en Syrie. Tous ces peuples aspireraient à la démocratie, mais aucun ne serait capable de l’établir.
Derrière ces apparences discontinues, il y a un plan général qui a d’abord frappé le Moyen-Orient élargi et qui s’étend maintenant à l’Occident.
De fait, votre livre paraît au moment même où l’expression « post-vérité » est particulièrement en vogue dans les médias de masse (pour dénoncer exclusivement la pseudo propagande de la Russie de Poutine et les prétendus mensonges de Trump), et où le « journal de révérence atlantiste » s’autoproclame en quelque sorte MiniVer (ministère de la Vérité) avec son ineffable Decodex… Votre ouvrage montre à quel point les valeurs sont inversées, et comment nous vivons plus que jamais dans un monde devenu réellement orwellien. Y a-t-il encore un espoir ?
– En Occident, nous entrons juste, avec la campagne anti-Trump, dans la première phase de la propagande proprement dite. Parce que c’est la première fois que le système s’en prend à la fonction qu’il prétendait suprême. À cette occasion, une contradiction apparaît entre les techniques de « relations publiques » et celles de la « propagande ». En effet,
Donald Trump est un spécialiste des premières et une victime des secondes.
Une des caractéristiques de la propagande, c’est de se substituer à l’esprit critique. Lorsque nous étions à l’école, nous ne pensions pas qu’un texte avait plus de valeur selon son auteur, mais selon son contenu. Nous apprenions à le lire de manière critique. La Démocratie est fondé sur ce principe : nous devons accorder la même attention à ce que dit tout citoyen, tandis que l’Ancien régime n’accordait la parole qu’à la noblesse et au clergé (on dirait aujourd’hui aux politiques et aux journalistes).
Le Decodex fait exactement l’inverse. Il qualifie a priori un article de juste ou de faux selon son auteur. C’est intellectuellement stupide et profondément anti-démocratique.
Il ne vous a pas échappé que le Decodex est à la fois lié à l’Entente des médias créée par une mystérieuse ONG, First Draft, et à l’état-major militaire de l’Union européenne. De fait, Le Monde, en prenant à son compte cette initiative, est très loin de pouvoir revendiquer être un simple organe de presse. Et pour répondre à votre question, comme lors de la Seconde Guerre mondiale, il n’y a pas d’espoir dans les médias en général, mais il y a de l’espoir tant que nous sommes capables de résister.
L’usage intensif de la propagande pour vendre une guerre n’est certes pas une nouveauté, mais avec la Libye et la Syrie, on a l’impression d’avoir atteint des sommets, des niveaux rarement égalés, si ce n’est au plus fort de la Première Guerre mondiale, comme le faisait remarquer dernièrement, entre autres, Patrick Cockburn dans CounterPunch.
– Oui, mais cette comparaison n’est valable que pour le Royaume-Uni (ou plus exactement sa métropole) et les États-Unis dont le territoire n’était pas touché par la guerre et qui avaient une maîtrise de la propagande moderne. À l’époque, ni la Russie, ni l’Allemagne, ni la France ne savaient ce que sont ces technique.
La première nouveauté c’est la place que tient l’audiovisuel aujourd’hui et l’usage, plus fréquent qu’on ne le croit, d’images de fiction présentées aux Journaux télévisés comme des reportages authentiques. Je pense par exemple à des séquences sur la pseudo « révolution verte » en Iran ou à d’autres sur la soi-disant entrée des rebelles sur la place verte de Tripoli en Libye. Ce mélange de fiction et de vérité a triomphé avec la remise par Hollywood d’un Prix documentaire à Al-Qaïda pour sa mise en scène des Casques blancs à Alep.
La seconde nouveauté, c’est la création d’une coordination internationale entre des gouvernements alliés pour créditer leur propagande. Cela a commencé avec le Bureau joint des Communications globales de la Maison-Blanche et de Downing Street. Aujourd’hui, c’est la StratCom Task Force de l’Union européenne et le Centre de communication stratégique de l’Otan.
Chacun sait qu’« en temps de guerre, la vérité est la première victime », chacun a en mémoire au moins quelques manipulations et mensonges relayés dans le passé de manière unanime par la presse. Et pourtant, chacun tombe encore et encore dans le panneau ! On a parfois l’impression que « plus c’est gros, plus ça passe » : il suffit que la plupart des médias en parle. Les journalistes (et les politiques) ne sont pourtant pas tous stupides ou vendus : comment expliquer cet aveuglement collectif, cette transe consensuelle des médias et des politiques ?
– nombre de journalistes aux États-Unis a baissé des deux-tiers depuis le 11-Septembre. En fait, il n’y presque plus de journalistes, mais beaucoup de rédacteurs qui adaptent les dépêches d’agences à des publics différents. Ce n’est pas du tout pareil.
Ensuite, la logique commerciale l’a largement emporté sur le souci d’informer. Violer la Charte de Munich, qui fixe les droits et devoirs des journalistes, est devenu quotidien pour la plupart d’entre eux sans susciter la moindre réprobation, ni de la profession, ni du public. Par exemple, personne ne proteste lorsque la presse diffuse la comptabilité d’une banque ou d’un cabinet d’avocat, paraît-il pour débusquer des fraudeurs ; ou lorsque un journal publie un PV couvert par le secret d’une instruction, paraît-il pour révéler les turpitudes d’un prévenu, mais quid de la confidentialité de ces professions ? Souhaitez-vous vraiment que la presse puisse divulguer vos mouvements bancaires et votre dossier de divorce ; souhaitez-vous être désigné comme coupable après avoir été interrogé par un magistrat ? Alors pourquoi l’acceptez-vous lorsqu’il s’agit de personnes connues ?
Enfin, la presse et ses lecteurs en général ne cherchent plus à comprendre le monde et sont devenus méchants. Il y a vingt ans, mes lecteurs m’écrivaient en me reprochant de critiquer un tel ou un tel sans mentionner ses mérites. Aujourd’hui c’est l’inverse, ils me reprochent de rendre hommage à une personnalité ou une autre sans mentionner ses « casseroles ».
C’est parce que nous avons accepté cette dérive que nous sommes devenus crédules et pas l’inverse. Les responsables politiques ont adopté notre comportement collectif. Ainsi, lorsque l’on demande au président Hollande pourquoi il a pris telle ou telle décision de politique étrangère, il répond qu’il lui fallait bien réagir aux attentes de la presse. C’est-à-dire qu’il ne fixe pas sa politique après avoir été informé par son administration et en avoir débattu avec ses conseillers, mais en lisant le journal.
On en est arrivé à un système circulaire : les journalistes suivent les politiques qui suivent les journalistes. Plus personne n’a de prise sur la réalité.
De nombreux ouvrages ont traité les « Printemps arabes », presque tous en offrant une lecture simpliste des événements se déroulant de façon spontanée (le fameux « vent de liberté » balayant les dictateurs en place), à l’aulne de la vision romantique voire naïve, parisienne, de la Révolution française. Dans ce contexte, votre livre détonne – c’est le moins qu’on puisse dire ! En quoi votre analyse est-elle justifiée, ou pour le dire autrement, en quoi n’est-elle pas purement et simplement « complotiste » ?
– D’abord, pendant la Révolution française, le roi a trahi en allant chercher des armées étrangères pour réprimer son peuple. Il a donc été destitué. Mais dans aucun des sept pays où se sont déroulés ces printemps arabes le chef d’État n’a été destitué par son peuple. Étrange n’est ce pas ?
Ensuite, nous disposons de nombreux témoignages et de plusieurs documents qui attestent la préparation de ces événements par les Anglo-Saxons depuis 2004. Comme il y a toujours un décalage entre le moment de la prise de décision, le déploiement des équipes nécessaires et la concrétisation du projet, et comme nous n’avons aucune mémoire, nous avons été surpris par ce que l’on nous avait pourtant annoncé.
Ne vous méprenez pas sur mes propos : il y a bien eu des mouvements de protestation dans chacun de ces pays, mais dans aucun ce ne fut une révolution visant à renverser le chef d’État et à démocratiser la société. Nous projetons notre fantasme sur des événements qui sont d’une autre nature.
Les « Printemps arabes » ne sont que la réédition de la « Grande révolte arabe de 1916 » : un mouvement que sur le moment tout le monde a cru spontané. Or, tous les historiens s’accordent aujourd’hui à le décrire comme entièrement conçu et manipulé par les Britanniques. Sauf que cette fois, il n’y a pas de figure romantique comme Lawrence d’Arabie pour croire lui aussi aux promesses de ses supérieurs de Londres. Tout cela a été conduit avec un parfait cynisme.
Thierry Meyssan, ceux qui vous suivent et vous lisent régulièrement savent que vous êtes un homme de paix. Vous êtes présent sur le terrain des conflits depuis plus de 6 ans, en cela votre regard et vos analyses sont précieux, et méritent à tout le moins d’être écoutés ; cependant, vous racontez comment vous avez parfois aussi été acteur des événements (aussi bien en Syrie qu’en Libye, en Iran et en Russie), d’où cette question : sans vous accuser d’être « l’ami des mollahs et des pires dictateurs » – ce qui serait simplement stupide – ne peut-on pas légitimement penser que votre combat contre l’impérialisme vous aveugle ? Que vous n’êtes pas « objectif » ? Ou que vous êtes perméable à la propagande de l’autre camp ? Voire que vous en soyez un vecteur !
– Je me le demande tous les jours et j’espère que vous aussi, qui vivez de l’autre côté de la frontière, vous vous le demandez tous les jours pour vous-mêmes. Où que l’on vive, on est toujours influencé par son milieu. Votre situation en Europe n’est pas meilleure que la mienne ici.
Chacun d’entre nous doit faire un effort pour devenir objectif. Ce n’est pas spontané. Dans un conflit, nous devons chercher à comprendre comment nos adversaires analysent les situations. Non pas pour mieux les combattre, mais pour éventuellement nous rapprocher d’eux.
Ceci étant posé, et sachant que la responsabilité politique, c’est de choisir en permanence la moins mauvaise solution, je ne prétends pas avoir servi des saints, mais les meilleurs. C’est pourquoi je n’ai pas servi George W. Bush ni Barack Obama qui ont détruit le Moyen-Orient élargi, ni Nicolas Sarkozy qui a détruit la Libye, ni François Hollande qui a détruit la Syrie. Au contraire, j’ai servi Hugo Chávez qui a extirpé son peuple de l’analphabétisme, Mahmoud Ahmadinejad qui a industrialisé l’Iran, Mouammar Kadhafi qui avait mis fin à l’esclavage en Libye et Bachar el-Assad qui a sauvé la République arabe syrienne des hordes jihadistes. Jamais on ne m’a demandé de faire quelque chose dont j’aurais à rougir et si on me l’avait demandé, je ne l’aurais pas fait.
- À vous lire, on est vraiment saisi de vertige tellement ce que vous écrivez est radicalement différent de la narration qui est faite en Occident. Comment est-ce possible ?
– Il n’y a pas de régimes autoritaires en Occident, pourtant la propagande y est quotidienne. C’est qu’elle n’est pas imposée d’en haut, mais attendue d’en bas. Elle ne triomphe que parce que nous ne voulons pas savoir la vérité ; parce que nous ne voulons pas connaître les crimes qui sont commis en notre nom. Nous sommes comme des autruches qui enfouissent leur tête dans le sable.
La meilleure preuve de ce que j’avance est la campagne électorale présidentielle en France. À ce jour, pratiquement aucun des principaux candidats n’a exposé ce qu’il ferait en tant que président. Tous expliquent ce que devrait faire leur Premier ministre en matière économique, mais aucun n’ose parler de la responsabilité présidentielle à laquelle ils aspirent : la politique étrangère et la défense de la Patrie. Or, à l’heure de la mondialisation, il est simplement impossible d’obtenir des résultats économiques sans repositionner au préalable le pays sur la scène internationale. Mais rares sont ceux qui osent encore analyser les relations internationales, c’est devenu tabou.
Les attentats terroristes de Daech et d’Al-Qaïda en France ces 2 dernières années ont un peu modifié le discours médiatique, surtout après les carnages du 13 novembre à Paris ; tout à coup, les médias ici et là ont donné un peu d’écho aux voix dissonantes — jusque-là inaudibles — qui questionnaient le bien-fondé de la politique française en Libye et en Syrie, et aussi les relations spéciales et privilégiées que nos dirigeants entretiennent avec le Qatar et l’Arabie saoudite. Et puis on est très vite revenu au statu quo ante, « Bachar » le bourreau doit partir…
– Encore une fois, vous prenez les choses à l’envers. Le Directeur général de la Sécurité intérieure, Patrick Calvar, a déclaré devant une commission parlementaire qu’il savait qui avait commandité ces attentats, mais qu’il ne le dirait pas. Ce n’est effectivement pas à lui de le dire, mais au président de la République, François Hollande.
Or, comme je l’explique dans Sous nos yeux, Alain Juppé et François Hollande ont pris des engagements internationaux secrets qu’ils n’ont pas pu tenir. Floué, Recep Tayyip Erdoğan a commandité cet attentat et celui de Bruxelles dont il s’est félicité à l’avance. Ces deux opérations ont été conduites par des commandos distincts, à l’exception de Mohamed Abrini du MI6 britannique qui a participé aux deux.
Nos gouvernements successifs ont pris des décisions tellement abjectes qu’ils n’osent pas les avouer. J’ai abordé cette situation dans mes articles, mais seulement à mots couverts. Cette situation ne peut plus durer. Je ne peux plus supporter de voir mourir nos compatriotes au Bataclan et à la terrasse des cafés. J’ai écris ce livre pour déballer le linge sale, tout le linge sale, et que nous changions.
Avec ce livre, vous nous replongez dans un passé pourtant proche et qui semble cependant révolu : je pense notamment au flamboyant discours de paix de Dominique de Villepin à l’ONU en 2003, et à l’intervention militaire illégale contre la Libye en 2011. Comment la France a-t-elle vu en si peu de temps (8 ans) le triomphe total chez nos « élites » des thèses des néoconservateurs US et de leur prophétie autoréalisatrice de « choc des civilisations » et de « guerre sans fin contre le terrorisme » ?
– D’abord, à mes yeux, il n’y a pas de prophétie : le « choc des civilisations » et la « guerre contre le terrorisme » n’ont jamais existé. Il y a juste une guerre d’un Empire et de ses alliés contre les peuples du Moyen-Orient élargi et contre celui du Donbass. La nouveauté étant que l’Empire n’est plus gouverné par la Maison-Blanche, mais par l’État profond, dont nous avons identifié plusieurs des dirigeants.
Ensuite, l’alignement des élites européennes sur l’administration Obama est un phénomène classique de collaboration avec le plus fort. Il se prolonge aujourd’hui contre l’administration Trump. De sorte que les Européens sont passés au service de l’opposition états-unienne.
À ce sujet, vous faites une différence notable entre les présidences Sarkozy et Hollande, le second ayant relancé la guerre en Syrie que le premier avait certes commencé mais dont il s’apprêtait, par pragmatisme, à s’en retirer…
– Oui, encore que si le président Sarkozy s’est sagement retiré du conflit syrien, il avait auparavant poursuivi la lutte contre la Côte d’Ivoire et la Libye jusqu’à leurs termes. Mais le plus important est ailleurs. Les gouvernements Sarkozy se sont divisés sur la participation française au plan britannique des « Printemps arabes ».
Nous devrions donc rendre hommage à ceux qui ont convaincu le président Sarkozy de faire la paix. C’est là que les choses se compliquent : ils ont presque tous été sanctionnés par le Système. Alors qu’Alain Juppé est encensé par les médias, le préfet Édouard Lacroix a été physiquement éliminé, Claude Guéant a été condamné à de la prison ferme, Bernard Squarcini et François Fillon sont poursuivis par la Justice. Seul Gérard Longuet s’en est bien sorti. Comprenez que ce genre d’exemples refroidit tous ceux qui pourraient aujourd’hui mettre fin à la guerre.
Votre livre s’ouvre sur la résolution des Nations Unies suivante : « Tous les États doivent s’abstenir d’organiser, d’aider, de fomenter, de financer, d’encourager ou de tolérer des activités armées subversives ou terroristes destinées à changer par la violence le régime d’un autre État ainsi que d’intervenir dans les luttes intestines d’un autre État ». Ce rappel pertinent du fondement du Droit international semble être parfaitement ignoré à la fois par la plupart de nos responsables politiques, et par les journalistes et les médias qui relaient leurs paroles sans la questionner jamais.
– Cette citation est extraite de la résolution qui détaille la signification de la Charte des Nations unies. C’est un texte de référence que bien sûr tous les diplomates et les journalistes spécialisés ont étudié.
L’oublier indique que l’on n’entend plus défendre les principes du Droit international. Nous vivons désormais dans un monde hypocrite où les responsables politiques et les fonctionnaires de l’Onu se réclament de la Charte, mais la violent en permanence. Comme je le montre en détail dans ce livre, les guerres actuelles au Moyen-Orient et au Donbass sont dirigées politiquement et logistiquement depuis l’Onu par le numéro 2 de l’organisation : Jeffrey Feltman.
Dans ce livre, contrairement aux précédents, vous avez décidé de ne pas sourcer vos propos, de ne pas utiliser de notes. Pourquoi ce choix, qui prête le flanc à tous les procès en affabulation qui ne manqueront pas d’être faits contre vous ? Est-ce un pari sur l’intelligence des lecteurs ?
Thierry Meyssan : En 2002, dans l’Effroyable imposture 1 (sur le 11-Septembre), j’avais cité des sources officielles sur Internet. Cela ne se faisait pas à l’époque. D’ailleurs peu de gens avaient déjà accès à Internet. On m’a reproché de ne pas m’appuyer sur la seule source sérieuse : le papier. En 2007, dans l’Effroyable imposture 2 (sur la guerre qui venait d’avoir lieu contre le Liban), j’ai cité des centaines de dépêches d’agence et de rapports officiels. Là, comme on ne pouvait rien me reprocher, la presse a ignoré le livre. Cette fois, je n’ai pas donné de références. Les gens que je mets en cause nieront peut-être et m’accuseront d’affabulation. S’ils veulent du déballage sur la place publique, je suis prêt à leur répondre.
Vous savez, entre 2002, 2007 et 2017, j’ai beaucoup vécu, beaucoup appris et beaucoup muri. Personne en France n’a participé aux événements comme je l’ai fait.
Il y a 10 ans, votre livre L’Effroyable Imposture 2. Manipulations et désinformations n’avait fait l’objet d’aucune recension dans les médias. En fait, votre image a été à ce point dénigrée que les libraires — eux aussi victimes de la propagande — l’ont accueilli avec réticence, ne le plaçant pas de manière bien visible sur les tables (comme toute nouveauté d’un auteur à succès) mais le rangeant généralement à l’abri des regards en rayonnage, voire en le dissimulant carrément hors d’atteinte du public, dans la réserve (où est conservé le stock). Il s’était pourtant très bien vendu. Vu le climat de quasi hystérie qui entoure « Bachar » Poutine et Trump, il est évident que celui-ci ne sera pas mieux reçu : peut-on être optimiste quant au succès de sa divulgation ?
– L’époque est différente. Il y a quelques années, la quasi-totalité d’entre nous croyait n’importe quoi pourvu que ce soit repris par Le Monde. Aujourd’hui, la majorité s’interroge sur les contradictions de la rhétorique bien-pensante.
Par exemple, supposons qu’Al-Qaïda soit un groupe d’enragés anti-occidentaux qui auraient commis les attentats du 11-Septembre, comment se fait-il que l’on ait exigé du général Carter Ham (commandant de l’AfriCom) qu’il s’appuie sur Al-Qaïda en Libye —ce qui a provoqué sa protestation et la fin de sa mission— ? Pourquoi Laurent Fabius a-t-il soutenu les États arabes selon qui Al-Qaïda « fait du bon boulot » en Syrie ? Pourquoi la France a-t-elle envoyé des munitions à Al-Qaïda en Syrie ?
On peut donc espérer qu’individuellement, les uns après les autres, les Français en général —et donc les libraires aussi— reconsidèreront ce qu’ils croyaient savoir depuis le début des événements. Si en apparence les faits sont incohérents, à quel niveau se trouve leur logique ?
Thierry Meyssan, merci pour votre temps, et plus encore pour ce livre extraordinaire que j’invite vos lecteurs à découvrir et à faire partager le plus largement possible autour d’eux. Un dernier mot en guise de conclusion ?
– Chacun doit désormais se positionner face à ce qui a débuté au Moyen-Orient élargi. Cela a commencé dans des pays lointains, mais cela arrive désormais chez nous. Les attentats d’une part, la propagande de guerre d’autre part, sont déjà là. Si nous refusons de voir la vérité en face, nous serons écrasés par les forces dont nous persistons à être les alliés. Plus nous attendons, plus il sera difficile de défendre notre liberté, chez nous.