Décès de Robert Mugabé
Laurent Gbagbo : Hommage au Président Robert Mugabé
C’est avec une grande tristesse que j’ai appris le décès, le 6 septembre 19, de monsieur Robert Mugabe, ancien Président de la République du Zimbabwe. Je m’incline avec respect devant sa dépouille et je salue la mémoire de l’homme d’Etat. Je présente mes sincères condoléances à sa famille, au peuple et au gouvernement du Zimbabwe. Le Zimbabwe et l’Afrique perdent un grand patriote africain et un vaillant combattant pour la liberté. Sa lutte pour la libération de ses compatriotes du colonialisme britannique l’a conduit dans le maquis pendant plusieurs années et lui a valu dix années de prison. A l’indépendance de son pays, en 1980, il a offert l’hospitalité à tous les mouvements politiques qui étaient en lutte contre les derniers bastions du colonialisme et de l’apartheid en Afrique australe. Il a ainsi joué un rôle déterminant, entre autres, dans l’indépendance de la Namibie et dans le combat contre l’apartheid en Afrique du Sud. Malgré l’ostracisme dont lui, son gouvernement et son peuple ont été victimes pendant plusieurs décennies de la part d’une partie du monde, le Président Mugabe est resté fidèle à ses convictions et a toujours dénoncé, partout où il en avait l’occasion, les nombreuses injustices qui continuent d’être faites au continent africain et aux peuples opprimés. Il mérite pour cela la considération de toute l’Afrique. C’est donc à juste titre, et je m’en félicite, que le gouvernement du Zimbabwe l’élève au rang de héros national.
Que Dieu l’accueille dans son royaume et que son âme repose en paix.
Le Président Laurent GBAGBO
PO son Porte-Parole, Le ministre Justin Katinan KONE
CONNAÎTRE MUGABE POUR MIEUX COMPRENDRE LE DRAME SUD-AFRICAIN
Il est certain que notre jugement sur tel fait ou tel sujet résulte essentiellement de l’information dont nous disposons sur ce sujet. Paradoxalement alors que, par l’effet des technologies révolutionnaires de communication, l’information est devenue accessible à tous, c’est alors même qu’elle s’éloigne davantage du grand nombre. En effet, mise sous contrôle des centres d’intérêts puissants, jamais l’information n’a été aussi détachée de la vérité. L’information est devenue économique. Chaque source d’information sert une cause économique. Aussi longtemps que l’opinion africaine n’aura pas compris cette vérité contemporaine, elle l’ignorera tout d’elle-même au grand bonheur de la classe dirigeante du monde. L’information fait partie de l’infrastructure économique contrôlée par le capital. Or, c’est la classe capitaliste qui stratifie le monde suivant une approche manichéenne entre les bons et les mauvais suivant ses intérêts à elle. Depuis que je vis au quotidien le sort réservé au Président Laurent GBAGBO, j’ai personnellement appris à lire à l’envers les discours que nous servent les media sur tel ou tel leader. Et très souvent c’est en lisant ce discours à l’envers que l’on découvre la vérité.
Ma préférence pour Robert Mugabe comparé à Nelson Mandela sur la question précise de la prise en compte frontale des problèmes cruciaux de la société de leurs différents pays peu paraître comme une hérésie qui viole les canons édités par les détenteurs de la bonne conscience. Parce que l’un est Mugabe et l’autre Mandela. Pourtant, la réalité quotidienne est têtue. Les attaques contre la partie de la population étrangère la plus entreprenante par une partie de la population sud-africaine, fut elle ultra minoritaire, est la partie visible de l’iceberg des frustrations des Sud-Africains Noirs. Le choix des victimes de ces attaques (Nigérians, Soudanais et Pakistanais, zimbabwéens) étayent la thèse de frustrations d’origine économique. Ce sont les plus actifs, économiquement parlant, parmi la population étrangère d’origine africaine qui sont visés par ces attaques. La situation économique et sociale de la population noire d’Afrique du Sud est tellement dramatique que les uns et les autres s’interrogent sur la portée réelle de la lutte contre l’Apartheid. S’interroger sur cette question cruciale n’enlève en rien à la portée du combat du Président Mandela et de l’ANC. Mais l’on se demande si l’option qu’ils ont prise de tout laisser dans les mains de la minorité blanche est-elle la meilleure. Les interrogations touchent naturellement aux non-dits des négociations menées par Mandela au nom de l’ANC avec le gouvernement de la minorité blanche. Or, sur cette question précise du sort de l’infrastructure économique détenue de façon exclusive par la minorité blanche, un consensus s’était dégagé parmi tous les mouvements de libération de l’Afrique australe qui avaient pour creuset commun l’ANC. Très souvent, l’on oublie que l’ANC, à ses débuts, a été ce que le RDA a été à ses débuts en Afrique francophone, c’est-à-dire, un mouvement politique à rayon d’action qui dépassait les limites de l’Afrique du Sud. Que ce soit la Rhodésie du Nord (actuelle Zambie), la Rhodésie du Sud (actuelle Zimbabwe), la SWAPO (l’actuelle Namibie), les mouvements indépendantistes ou de libération tirent tous leur source de l’ANC. En Zambie, Kenneth Kaunda n’a rompu avec l’African National Congres-Northern Rhodésie qu’en 1959. La SWAPO, colonie allemande confiée à la tutelle sud-africaine après la défaite allemande à la grande guerre (14-18) a été administrée suivant le modèle ségrégationniste sud-Africain. Ses leaders comme Sam Nujoma et la SWANU, le parti qu’il rejoint en 1959, sont tous inspiré de l’ANC.
La rampe de propulsion de ces mouvements est l’université Fort Hare d’Afrique du Sud. Située dans la province du Cap, l’université Fort Hare est restée très célèbre pour avoir enregistré parmi ses étudiants, quasiment dans la même période, Nelson Mandela, Robert Gabriel Mugabe, Oliver Tambo, Kenneth Kaunda, Mangosuhu Buthelezi, Robert Sobukwe , Govan Mbeki, le père du Président Thabo Mbeki et bien d’autres cadres influents de la lutte contre l’apartheid . C’est là-bas que la conscience politique de ses figures de lutte a pris de l’ampleur. Le fondement idéologique de leur mouvement est le Marxisme qui pose de façon nette l’appropriation de l’infrastructure économique par la majorité noire comme l’axe majeur de la révolution. Des trois territoires de cette région qui présentent une identité unique (ce sont tous des colonies de peuplement), la Rhodésie du Sud est la première à accéder à l’indépendance en 1980 sous la direction de Robert Mugabe qui a réussi à s’imposer devant Joshua Nkomo, ancien leader de l’ANC-Rhodésie du Sud devenu par la suite le National democraty Party (NDP). Ce dernier avait perdu la confiance d’une bonne partie de ses camarades de lutte dont Mugabe suite à la conférence convoquée par le gouvernement anglais en 1961 à Salisbury. En effet, alors que tout le monde attend que le gouvernement anglais concède le pouvoir à la majorité Noire, contre toute attente Nkomo va accepter le partage léonais proposé par le gouvernement anglais qui consiste à octroyer seulement 15 sièges sur les 65 de l’Assemblée nationale à la majorité noire. Ce compromis est jugé par MUGABE comme une compromission inacceptable qui vient aggraver la profondeur des divergences entre lui et Nkomo sur l’orientation de la lutte. Sur l’orientation de la lutte, Nkomo pense que seule la diplomatie peut réussir à faire plier l’échine au régime blanc. Pour Mugabe, seule la lutte armée peut déboucher sur des résultats tangibles. Mugabe se retire au Mozambique aux côtés de l’une des grandes figures de la lutte pour la libération du Continent africain, Samora Machel, d’où il dirige un mouvement armé après avoir quitté NDP et créé son party le ZANUF-PF. Sans gagner totalement la guerre contre le Colon britannique, il réussit tout de même à obtenir l’indépendance après les pourparlers de Lancaster House. En 1980, le ZANU-PF Mugabe sort vainqueurs des premières élections pluralistes totalement ouvertes au Noirs. Le 18 Avril 1980, Robert Mugabe est élu Premier Ministre du Zimbabwe. Dès lors, beaucoup de combattants de l’ANC se retirent au Zimbabwe qui en devient une base arrière de la lutte contre l’apartheid surtout que le Mozambique est, en cette période, en proie à une guerre civile orchestrée par le colon portugais.
Contrairement à une opinion rependue, Robert Mugabe n’a pas attendu 20 ans pour lancer sa révolution agraire. Aux pourparlers de Lancaster House, la délégation du ZANUF-PF pose la question des terres comme le point central des discussions. La solution qui va en sortir est la suivante :
La minorité blanche accepte de vendre les terres aux Noirs suivant le principe dit « willing buyer, willing seller ». En d’autres termes, un Blanc qui dispose d’une superficie de terres supérieure au maximum arrêté de commun accord à ces pourparlers, doit vendre le surplus à tout Noir dès que celui-ci en exprime la volonté. En contrepartie, les gouvernements britannique et américain de Tacher et de Reagan s’engagent à payer une sorte de compensation aux Blancs pour chaque portion de terre vendue. L’opération devrait ainsi durer de 1980 à 1990. Il s’agissait d’une réforme agraire en douceur. Malheureusement, les gouvernements américain et britannique ne respectent pas leurs engagements. Dans la réalité, les Britanniques et les Américains avaient pris cet engagement parce qu’ils étaient convaincus que, dans l’état des choses à cette époque, il y aurait eu très peu de Noirs capables d’acheter les terres. Ce qui était exact. Donc il y avait une certaine malice dans ce deal. Mugabe, conscient de la situation financière de la population noire, fait prêter de l’argent par l’Etat aux Noirs pour acquérir les terres. La volonté d’achat devient manifeste et pressante. Les Américains et Britanniques sont pris à leurs propres jeux. Ils trainent les pieds à respecter leurs engagements de compensation à payer aux colons fermiers Blancs Zimbabwéens. Ceux-ci, à leur tour, refusent de vendre leurs terres de sorte qu’à la fin des années 90, l’opération « willing buyer, willing seller » est un échec. Mugabe lance alors l’opération d’accaparement des terres des fermiers Blancs à partir de 2000.
Mugabe n’avait pas le choix. La situation des Noirs était identique à celle d’avant indépendance. Ils travaillaient comme ouvriers agricoles dans les plantations des Blancs contre des salaires de misère et chaque matin, ils voyaient le fruit de leur labeur dans une file de camion, prendre la direction de l’aéroport d’Harare d’où des avions cargo les transportaient jusqu’en Grande Bretagne. De là-bas, ils recevaient les conditionnements et revenaient dans les supers marchés Zimbabwéens à des prix inaccessibles pour les Noirs. Très longtemps le Zimbabwe est resté le grenier africain de l’Angleterre.
Autre contre-vérité historique, Mugabe n’a pas arraché toutes les terres aux Blancs. Seuls ceux qui avaient plusieurs centaines hectares devraient se défaire d’une partie de ces terres au profit des Noirs. Au lieu de respecter ses engagements, le gouvernement anglais incita, financement à l’appui, plutôt les fermiers blancs à se délocaliser dans d’autres pays.
Mais la décision de Mugabe de 2000 a un aspect politique régional important. Dirigeant un pays devenu indépendant depuis peu, il accueille plusieurs cadres de l’ANC. C’est tout naturellement qu’il est informé des négociations qui ont cours entre l’ANC et le pouvoir de l’Apartheid. Il sait que la question des terres est un point central des négociations. Il se laisse convaincre par ses camarades de l’ANC de reporter sa réforme agraire pour ne pas apeurer le pouvoir blanc sud-africain qui pourrait voir dans une telle réforme une sorte de menace pour lui-même. En effet, ce pouvoir pourrait se dire que l’ANC serait tenté de faire la même chose aux Blancs sud-Africains. Mugabe obtempère en espérant qu’une fois arrivé au pouvoir, le gouvernement noir sud-Africain lancerait simultanément avec le gouvernement du Zimbabwe une réforme agraire. Rien y fera, c’est plutôt lui qui est mis en comparaison défavorable par rapport à Nelson Mandela.
Par ailleurs, la structure économique des deux pays n’est pas la même. L’Afrique du Sud à un tissu industriel et de services plus élaboré que le Zimbabwe. Il peut y caser certains Noirs. Le Zimbabwe est essentiellement agricole. Mugabe agit en fonctions des contraintes qui sont les siennes. Et quand le monde occidental se rue sur lui, il ne reçoit pas la solidarité diplomatique qu’il était en droit d’attendre de son voisin. Certes l’Afrique du Sud lui apporte de temps en temps des soutiens budgétaires mais cela semble insuffisant pour soulager durablement les populations du Zimbabwe. Mugabe a pensé en vain que l’Afrique du Sud aurait, par solidarité, imposé des sanctions diplomatiques notamment certaines restrictions à l’Angleterre en réponse à celles imposées au Zimbabwe. Malheureusement, il sera le seul à faire face à la machine occidentale. Le Président Rawlings a, dans une interview parue dans le dernier livre co-écrit par les intellectuels ivoiriens sur la CPI, révélé que lorsque le Président Mugabe a été élu Président de l’Union Africaine en 2015, le Président François Hollande a demandé des comptes à tous les Présidents du pré-carré sur cette faute. Il est évident que Mugabe est excessif sur certains points et sa longue présidence n’en est pas le moindre de ses excès. Mais dans la lutte pour la libération de l’Afrique, il est loin d’être le vieux sénile et idiot que l’on présente volontier à une opinion africaine devenue candide par une entreprise d’asservissement intellectuel rondement menée. Mugabe est resté constant dans sa lutte ; c’est une qualité que l’on retrouve chez très peu de leaders politiques africains. Quand j’observe le traitement que subit ce monsieur, même au sein de l’intelligentsia africaine, alors je comprends pourquoi certains leaders ont changé totalement d’angle politique. Houphouët a abandonné la lutte en 1951 pour recevoir les lauriers français. De nombreux progressistes africains ont abandonné la lutte pour être présentables au banquet des puissants.
Qui se souvient que Brazzaville est resté longtemps, même après la mort de Marien Ngouabi, l’un des soutiens forts des mouvements de lutte révolutionnaires africains. C’est de Brazzaville que Neto a déposé sa blouse de médecin pour aller au combat contre le Portugal et ses alliés. Il est possible de visiter encore les ruines du camp d’entrainement des combattants namibiens au Congo Brazzaville. Et les chantiers de libération sont restés en friche à travers le Continent faute de leader constant et endurant. Le dernier qui s’y essaie est actuellement entre les mains de la CPI. Or, il est établi que certains problèmes se complexifient davantage avec le temps. Tel est le cas de la juste répartition des fruits de l’économie sud-africaine. Aujourd’hui, les grandes omissions de l’ANC le rattrapent. Les premières victimes sont les étrangers. Les prochaines pourraient bien être internes au pays. On ne peut pas toujours ruser avec les aspirations des peuples
Le ministre Justin KATINAN KONE
Justin Koné Katinan Officiel
Christian d’Alayer
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Mugabe : le bilan
Christian d’Alayer – novembre 2017
Le diable est parti ! Honni par l’Occident, Robert Mugabe a donc été littéralement déposé par les siens à l’âge de 91 ans. Il faut dire qu’à cet âge, ce n’est plus lui qui était visé mais sa succession. Et finalement, c’est son ancien vice-président, Emmerson Mnangagwa, qui lui succède « manu militari » mais avec les honneurs. Et ce, pour contrer son immédiat entourage familiale lorgnant lui aussi sur le pouvoir.
Du coup, les éditoriaux « mesurés » se succèdent : le Libérateur s’est mué en dictateur, il ne faut quand même pas désespérer les trois quarts des Subsahariens qui voient plus en lui un héro qu’un salaud. Mais même parmi ses partisans francophones, l’ère dictatoriale passe mal : enivrés d’informations occidentales, ils n’en connaissent absolument pas les tenants, se contentant des innombrables dénonciations de ses dénis de démocratie et de leurs supposées conséquences économiques.
Commençons donc par ces dernières : voyez tout d’abord la progression du PIB zimbabwéen de 1980 à 2016. Faute de place, les années (en abscisse) sont remplacées par une numérotation de 1 à 37, soit le nombre d’années que le vieux combattants a passé au pouvoir. On peut voir très nettement l’influence de la politique extérieure sur cette évolution. Au cours des 10 premières années de règne, la croissance est soutenue après les baisses normales de la passation de pouvoir entre Blancs et Noirs (des investisseurs blancs quittent le pays) Et ce, malgré la guerre civile qui sévit de 1983 à 1986 entre les Shonas et les Ndébélés, les deux principales ethnies du pays. Puis une première récession se produit entre 1991 et 1995. Une deuxième et plus longue récession arrive ensuite entre 1997 et 2009, suivie d’une vigoureuse reprise jusqu’en 2014.
Voyez à présent les financements extérieurs, aide publique au développement comme investissements directs étrangers (graphique 2) : la courbe est plus simple avec une atonie générale (correspondant à ce qui se passe dans toute l’Afrique subsaharienne) à l’exception des années 1995 à 2002 et 2010-2013. La première exception correspond exactement à la période au cours de laquelle le Zimbabwe aide militairement (et victorieusement) le Congo-Kinshasa à résister aux assauts des forces sahéliennes ougando-tutsis. Comme il s’agit d’un conflit international avec les Anglo-Saxons d’un côté et les Français de l’autre, on imagine assez aisément d’où sont venus -et d’où ne sont pas venus- les financements. Quant au 2e pic, il indique que le pays est devenu « bankable » comme disent les Anglophones, l’incertitude sur la succession de Mugabe expliquant la baisse de ces trois dernières années. On notera d’ailleurs que c’est au cours de ces trois dernières années que le pays a fini de rembourser ses dettes auprès des organismes internationaux, FMI et Banque mondiale.
La troisième courbe est toute aussi intéressante mais en sens contraire : on voit très nettement que le Zimbabwe, en fort déficit chaotique jusqu’au début du 3e millénaire, a accru sensiblement ce déficit au cours des années 2012-2017. Il y a plusieurs raisons, la principale étant le remplacement, par les fermiers noirs des cultures d’exportation des fermiers blancs (tabac, maïs…) par des cultures vivrières destinées aux marchés locaux. Un autre élément d’importance est la sortie de capitaux du pays à l’aube d’un changement de dirigeants ainsi que le remboursement de la dette du pays à l’égard de la Banque mondiale et du FMI (remboursement achevé l’an dernier). Cette faiblesse de la balance des paiements a bien entendu joué contre le dollar zimbabwéen, remplacé dans de nombreuses transactions par le rand sud-africain et le dollar américain.
Sans autre élément de comparaison, on pourrait dire que, finalement et hors les comptes extérieurs , la période Mugabe n’a pas été aussi difficile que cela pour son pays. Mais si on regarde ce qui s’est passée autour du Zimbabwe au cours des 37 dernières années, alors le tableau est plus dur : vous constatez dans le premier graphique que le PIB du Zimbabwe a pratiquement doublé entre 1980 et 2016. Mais si on prend les chiffres de toute l’Afrique au cours de la même période, soit 2237 milliards de dollars en 2016 contre 557 en 1980, et même de la seule région Afrique de l’est, soit une progression de 56 milliards en 1980 à 371 milliards en 2016, on voit que le pays de Mugabe a été distancé très nettement : multiplication du PIB africain par 4 au niveau continental et par près de 7 au niveau sous-régional.
Ca, c’est l’aboutissement. Voyons à présent les tenants qui expliquent en fait très largement les dits aboutissements :
– Le premier élément, à l’origine de la diabolisation occidentale du président zimbabwéen est le refus de Tony Blair d’honorer les engagements signés par Margareth Thatcher envers le Zimbabwe. Et là, il faut rappeler des faits tellement cachés par les Occidentaux qu’ils ont disparu pratiquement d’Internet ! Après plusieurs péripéties et la déroute des forces de Ian Smith, la Grande Bretagne convie en 1979 les belligérants à négocier la paix près de Londres, à Lancaster House. Dans l’accord supervisé par Lord Carrington et signée par la Dame de fer, l’Angleterre s’engage à financer le rachat des terres des fermiers blancs par les Noirs au terme de 10 années de période intermédiaire. Puis les Travaillistes reviennent au pouvoir en 1997 avec Tony Blair. Lequel, dès 1998 soit deux ans avant le terme de ces 10 années, annonce qu’il ne respectera pas l’accord. Avec des arguments qui, après coup, prouvent une mauvaise foi évidente : d’abord il dit ne pas être l’héritier des colonialistes britanniques ; puis il proclame que c’est parce que Mugabe est un dictateur qui doit partir. Il fera même pression sur le président sud-africains, alors Thabo Mbeki, pour tenter de le faire partir par la force… Mugabe, pressé par ses vétérans, est donc obligé de prendre des terres sans les payer, d’où le début de sa diabolisation internationale.
– Il faut aussi dire, deuxième élément, que 90% des bonnes terres du pays sont entre les mains de 4000 fermiers blancs seulement, fermiers qui n’ont aucune intention de partir volontairement, attendant bien entendu les dédommagements anglais. Quand le premier ministre travailliste annonce qu’il ne paiera pas, très peu d’entre eux ont vendu (sur financement britannique comme convenu) La colère des vainqueurs tout de même de la guerre d’indépendance est donc élevée. Ce qui explique la brutalité (relative) de l’éviction des fermiers blancs, apeurés par l’assassinat d’un petit nombre d’entre eux. Pour comparer sérieusement le phénomène, il faut se souvenir de l’indépendance de l’Algérie et du fameux « deal » proposé au Français : « la valise ou le cercueil » Néanmoins, Blair organise une véritable chasse aux sorcières médiatiques contre Mugabe, appuyé par les Américains qui, on s’en souvient, reçoivent son aide dans leur 2e guerre du Golfe. La France ne suit pas car, dans le même temps, elle est opposée aux Américains dans les guerres congolaises et Chirac, d’ailleurs, ne soutiendra pas Washington en Irak. Mais les médias français finiront par épouser les thèses anglo-saxonnes sur le Zimbabwe…
– S’il n’y avait que les médias ! Mais la hargne britannique est telle que les pressions s’accentuent, cette fois via la création ex nihilo mais sur fonds anglo-saxons d’une opposition dirigée par le ndébélé Morgan Tsvangirai et regroupant à la fois les vaincus de la guerre civile, les vaincus zimbabwéens de la guerre d’indépendance (les forces autochtones de Ian Smith, essentiellement ndébélées) et les mécontents, urbains surtout, du régime Mugabe. Cette opposition soutenue ouvertement par Londres et Washington explique bien sûr l’opiniâtreté du vieux lion zimbabwéens face à l’Occident et son versement progressif vers la dictature. Imaginons, à titre de comparaison, que De Gaulle, en 1947, n’ait pas eu affaire aux vieux partis français, mais à un parti pro-américain ayant table ouverte à l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Et des Américains qui ne l’auraient pas adoubé en 1942-1943 mais lui auraient préféré le général Giraud !
– Dernier point enfin et les terres étant enfin revenues entre des mains autochtones (elles leurs furent en effet confisquées sans indemnité par les colons de Cecil Rhodes, leurs propriétaires originaux étant parqués dans des réserves), les productions s’africanisèrent : pour les marchés locaux d’abord (alors qu’auparavant, les fermiers blancs exportaient une grande partie de leurs productions, notamment en Afrique du sud), non déclarées ensuite, tout comme cela se fait encore dans pratiquement toute l’Afrique subsaharienne (seules les productions dites « de rente » entrent dans les statistiques) Si bien qu’on ne peut pas en fait comparer vraiment ce qui s’est passé au Zimbabwe à ce qui s’est passé en Afrique et dans la sous-région. En Afrique du sud par exemple, les terres sont restées entre les mains des Blancs et les productions sont largement destinées à l’exportation. Les tensions sont donc aujourd’hui extrêmes dans les campagnes tandis que les statistiques sont meilleures qu’au Zimbabwe. L’informel a gagné terriblement dans ce dernier pays du fait de la passation de pouvoir aux Noirs. Au point d’avoir pratiquement tué la monnaie locale, remplacée sur place par le dollar américain et le rand sud-africain. Le Zimbabwe est redevenu africain mais pas forcément dans le mauvais sens du terme : cet informel est très largement à l’origine de la forte croissance économique de ces dernières années face à des Etats tués dans l’œuf par les « remèdes » ultra libéraux des Occidentaux. N’oublions pas que les Bantous ne connaissaient pas d’Etat puissants à l’européenne avant les invasions occidentales. Il s’agissait plutôt de structures légères, fondées sur des princes encadrées par des sages et des traditions très fortes. Seules quelques royaumes un peu plus organisés sortaient du lot, tel celui de la vallée du Limpopo à l’est, des Ashantis à l’ouest ou des Zoulous au sud : « l’âme » africaine était pétrie de liberté et non de soumission à des despotes comme l’on décrit beaucoup trop de lettrés occidentaux. Tout bêtement parce que s’il n’était pas content de son sort, le Subsaharien pouvait aisément prendre ses cliques et ses claques. Alors qu’au même moment moyenâgeux, l’Européen restait servilement attaché à sa terre…