Plusieurs Etats africains ont annoncé leur retrait de la Cour Pénale Internationale (CPI), il s’agit de l’Afrique du Sud, du Burundi et de la Gambie. La Russie a également décidé de retirer sa signature du traité de Rome, qu’elle n’avait, par ailleurs, pas ratifié. L’hémorragie ne devrait pas s’arrêter là puisque d’autres pays, le Kenya, les Philippines, et l’Ouganda ont déjà fait part de leur intention de claquer la porte de cette Institution. La Namibie, quant à elle, a adopté une position originale, elle reste, mais à une condition : que les Etats-Unis en deviennent membre. Ces départs sont importants ; pour autant, ils ne sont pas responsables de l’état de mort cérébrale dans lequel se retrouve cette juridiction, ils ne sont que la conséquence de l’agonie de cette forme de justice internationale. Si la CPI n’a aucune chance de sortir de l’unité de soins palliatifs dans laquelle elle s’est elle-même installée, c’est avant tout parce que l’idéologie qui l’a portée sur les fonds baptismaux a trépassé. Cette Cour a été fondée pour porter les « nobles idéaux » de ses principaux bailleurs de fonds occidentaux : droits de l’homme, droit d’ingérence, protection des populations civiles avec la Responsabilité de Protéger (R2P). Ces « valeurs », répétées à l’infini et tordues dans tous les sens, se sont révélées être de simples instruments d’une politique internationale au service d’un monde unipolaire. Les conflits de 2011, en Libye et en Côte d’Ivoire, ont dévoilé l’imposture. Quels droits humains ont été préservés alors que les résolutions des Nations Unies n’ont pas été respectées et le droit international bafoué ? Quelles populations ont été protégées par la R2P, pour la première fois mise en œuvre lors de ces deux guerres menées par des coalitions occidentales [1] ? Sûrement pas celles de Duekoué en Côte d’Ivoire ou de Tawergha en Libye. Les secousses telluriques qui traversent le monde actuellement sont dues aux retours de boomerang des conflagrations de 2011. Si les Russes et les Chinois ont, dès octobre 2011, mis leur véto au Conseil de Sécurité au projet de résolution sur la Syrie, c’est parce qu’ils avaient retenu les leçons des conflits libyen et ivoirien. La Syrie a redistribué les cartes, les va-t-en-guerre américains et leurs alliés européens ne décident plus seuls, le monde devient multipolaire et entre de plain-pied dans le 21ème siècle, emportant avec lui l’étendard des « valeurs » occidentales du siècle dernier. La CPI aurait pu sortir de son coma et survivre à ces bouleversements si elle avait su dépasser son rôle d’instrument de « l’approche globale » [2], de gardienne du temple du droit du plus fort et qu’elle était devenue la Cour d’une véritable justice internationale impartiale et efficace. Il n’en est rien…
Une année dans la vie de la CPI…
Le procès de Laurent Gbagbo et de son co-inculpé Charles Blé Goudé s’est ouvert le 28 janvier 2016. Le 9 décembre 2016, la Chambre a décidé d’interrompre les débats pendant deux mois au motif que les Etats parties n’avaient pas attribué assez de fonds pour que la Cour soit en mesure de mener trois audiences à la fois. Pourtant, chaque année, son budget est en augmentation, il est passé de 130 millions d’euros en 2015 à 139 millions d’euros en 2016 et sera encore en nette progression en 2017 avec 148 millions d’euros alloués. Mais il est vrai que cette somme reste faible au regard de la nouvelle politique de cette Institution. Aux abois, elle adopte une stratégie de survie et tente de parer les coups de ses contempteurs qui l’attaquent politiquement mais également sur son efficacité et son bilan. Ainsi, pour réfuter l’argument selon lequel seuls les pays africains sont poursuivis, elle a ouvert en janvier 2016 une enquête sur les événements de 2008 en Géorgie. Accusée de lenteur, elle a condamné en un temps record le Malien, Ahmad Al Faqi Al Mahdi à neuf années de prison. Il était jugé pour la destruction de mausolées à Tombouctou. La tâche des juges a été grandement facilitée par le fait qu’Al Mahdi plaide coupable. Si dans cette affaire, la Cour a exaucé les vœux de l’Unesco, elle a outragé les Maliens, comme si les exactions contre le patrimoine étaient plus importantes que les crimes de sang commis dans leur pays. Toujours dans la même idée de redorer son bilan, la CPI a, 12 ans après le début de son enquête, ouvert le procès de l’Armée de Libération du Seigneur (LRA). Mais faute d’avoir pu mettre la main sur Joseph Kony, le chef de cette milice ougandaise toujours en fuite, elle juge aujourd’hui Dominic Ongwen. Ce dernier est à la fois une victime et un bourreau, un ancien enfant-soldat devenu seigneur de guerre. Enfin, elle a condamné en juin le Congolais Jean-Pierre Bemba, détenu à la Haye depuis huit ans, à 18 ans de prison. Il a fait appel. Puis elle l’a déclaré coupable une nouvelle fois en octobre, avec quatre de ses co-accusés, dans une sombre affaire de subordination de témoins. Cinq condamnations en un seul jugement… La Cour fait du chiffre, comme d’autres organisations internationales, elle adopte une pratique entrepreneuriale et améliore ses performances. En moins d’une année, elle est passée de deux condamnations à neuf. La CPI maquille son bilan comptable, mais elle n’évitera pas la faillite, comme le démontre le procès Gbagbo.
« Aucun système légal au monde ne peut accepter que des témoins soient soudoyés, incités à mentir ou briefés. »
L’ancien Président ivoirien est incarcéré depuis plus de cinq ans, il peut donc patienter deux mois de plus. Les débats reprendront le 6 février 2017. En une année, la Cour n’a entendu qu’une trentaine de témoins sur les 138 annoncés. Depuis la note de l’IVERIS, publiée le 6 février 2016, « CPI chronique d’un désastre annoncé », rien n’est venu contredire la catastrophe prédite, bien au contraire. Lors de son premier exposé ouvrant le procès de l’ancien Président ivoirien et de son co-accusé Charles Blé Goudé, le procureur, Fatou Bensouda, déclarait que le travail de son organisation consistait à : « établir la responsabilité pénale individuelle au sujet des crimes commis par les forces armées de la Côte d’Ivoire ainsi que par les groupes de jeunes, les milices et les mercenaires. »
Or, après une année d’audiences, aucune preuve, aucun élément, aucun témoignage n’aura permis d’apporter de l’eau au moulin de l’accusation. Pire, la vérité, si importante à connaître pour qu’une véritable réconciliation nationale ait lieu dans un pays encore traumatisé par la guerre, s’éloigne un peu plus chaque jour. La CPI offre le spectacle désolant d’une tartufferie parée de procédures et de verbiage juridiques chargés de donner une caution de sérieux à la farce en cours. Le seul moment de bravoure, donnant quelques clés aux juges pour comprendre la complexité du conflit ivoirien, a été la déposition haute en couleur de Sam l’africain. Devant la Cour, cet ancien partisan de Laurent Gbagbo, convoqué par l’accusation comme témoin à charge [3], a déclaré : « Le procureur cherche à déterminer les responsabilités des coupables, c’est son rôle, vous êtes là pour mettre de l’ordre dans les violences qui se créent dans le monde. Pour la crédibilité même de cette Institution, il faudrait que les choses soient faites bien et correctement. Que le débat soit centré sur les vrais problèmes. » Les paroles sages de Sam l’Africain sont restées vaines. Après ce court épisode de lucidité, les audiences ont repris, fastidieuses, sans fil conducteur, brouillonnes, entrecoupées de multiples huis clos partiels qui nuisent au suivi de l’audience et à la compréhension des débats. Aucune figure, aucune personnalité ayant joué un rôle important en 2010-2011 n’a été entendue. Reste un défilé de témoins, dont la crédibilité est trop souvent sujette à caution et qui parfois méconnaissent les faits sur lesquels ils sont pourtant interrogés. Sur quels critères le bureau du procureur choisit-il ceux qui viennent raconter leur histoire à la Haye ?
La CPI devrait méditer sur les propos tenus par le juge Bertram Schmitt, lors du procès pour subordination de témoins dans l’affaire Jean-Pierre Bemba :
« Aucun système légal au monde ne peut accepter que des témoins soient soudoyés, incités à mentir ou briefés. Le jugement d’aujourd’hui envoie un message clair : la cour refuse que ses procédures soient freinées ou détruites ». Sans aucun doute ces deux petites phrases surprendront ceux qui suivent le procès Gbagbo tant la liste de tous les témoins « troublants » appelés à la barre est longue [4]. Mais l’Institution n’en a cure puisqu’elle n’a de compte à rendre à personne, comme le rappelle l’historien John Laughland
« elle incarne le principe de pouvoir sans responsabilité ». Outre les critères du choix des témoins, toutes ces auditions mettent également en lumière l’absence criante d’investigation, tant à charge qu’à décharge, de la part de la CPI, contrairement à sa mission qui consiste à mener des enquêtes pour être en capacité de juger les accusés. Pourtant, elle aurait pu réaliser une instruction sérieuse. Mais le veut-elle ?
Leslie Varenne
[1] La coalition occidentale en Libye était soutenue par certain pays du Golfe, Qatar et Arabie Saoudite.
[2] Le concept d’approche globale désigne la nécessité d’une synergie entre instruments militaires et civils dans la gestion des crises. Il cristallisé sous sa forme actuelle dans la première moitié des années 2000. Présent à la fois dans l’OTAN et dans l’UE, il se réfère à la mise en œuvre d’une palette d’instruments divers pour promouvoir la stabilisation à long terme. Lire l’article « Libye une guerre holistique » de Bruno Husquinet.
[3] Sam l’Africain a été contacté en 2011 par le bureau du procureur d’Abidjan alors qu’il était déténu à l’hôtel de la Pergola. Dans ces conditions, il lui était difficile de refuser la proposition de la CPI, d’autant qu’en cette période post-guerre troublée, sa collaboration avec le bureau du Procureur lui garantissait une certaine sécurité. A la barre, il a fait preuve d’une habileté exceptionnelle pour revenir sur ses premières dépositions.
[4] A ce titre, les deux dernières auditions de l’année sont édifiantes, il est possible de les revoir sur ce site.
Source: iveris.eurepris sur civox.net