Côte d’Ivoire : Quand Mediapart accusait Hamed Bakayoko de corruption dans une affaire de pétrole, voici comment il avait réagi
- 9 juin 2020
Le 7 novembre 2014, le journal français Mediapart mettait gravement en cause, le ministre ivoirien Hamed Bakayoko dans une affaire de corruption dans le domaine du pétrole. L’entreprise russe Gunvor était en cause. Alors ministre de l’Intérieur, il avait réagi en marquant son étonnement. En juin 2020, c’est un autre média, cette fois-ci de droit canadien, qui le met en cause dans une affaire de drogue. Le Premier ministre par intérim a aussitôt déclaré qu’il porterait plainte contre VICE. En définitive, qui en veut à Hamed Bakayoko ? Par devoir de mémoire, nous reproduisons de larges extraits de l’article accusateur et la réaction brève et concise du ministre, qui avait ainsi réussi à dissiper de nombreux soupçons.
Selon nos informations, voilà plusieurs semaines que la direction tremble à l’idée de voir exploser au grand jour un scandale de corruption lié à l’achat de pétrole brut en Côte d’Ivoire. Encore et toujours l’Afrique ! En 2012 déjà, Gunvor s’était retrouvé englué dans une affaire présumée de pot-de-vin liée à un marché au Congo-Brazzaville. Le négociant avait alors tout fait pour charger l’un de ses employés, déposant une plainte contre lui. Cette procédure qui ressemble à une diversion doit être classée, alors que l’enquête ouverte « contre inconnu » pour faits de blanchiment, est toujours instruite à Berne par le ministère public de la confédération helvétique.
Le deal ivoirien qui pose maintenant problème remonte à mars 2014 et il n’est pas encore arrivé entre les mains de la justice. Selon plusieurs sources, il aurait été entaché de graves irrégularités, aboutissant même à la démission mi-septembre d’un des directeurs de Gunvor SA. Mediapart a pu consulter plusieurs documents qui permettent de retracer sa chronologie.
A lire aussi : Hamed Bakayoko cité dans une affaire de trafic de drogue : « Ce sont des calomnies » (Molare)
Après l’ouverture de l’enquête suisse sur le Congo-Brazzaville, Gunvor en disgrâce auprès du clan des Sassou N’Guesso est à la recherche de nouveaux débouchés en Afrique. La société se tourne alors vers Abidjan. Des liens avaient déjà été noués du temps de Laurent Gbagbo, puis Gunvor avait habilement retourné sa veste en volant au secours de son opposant Alassane Ouattara. En avril 2011 alors que les combats faisaient rage, la société avait enlevé 1,6 million de barils de brut, permettant ainsi au nouveau président de démarrer son mandat avec une première rentrée d’argent. La collaboration avec le nouveau pouvoir ne s’était cependant pas poursuivie.
Pour reconquérir le marché ivoirien, Gunvor a fait appel en 2013 à un intermédiaire français. Ce dernier fait valoir des contacts, notamment auprès du ministre de l’intérieur ivoirien Hamed Bakayoko, un homme clé du régime Ouattara et un personnage haut en couleur.
Gunvor va pouvoir ouvrir des négociations avec la Petroci (Société nationale d’exploration pétrolière de la Côte d’Ivoire) pour enlever une cargaison de brut, comme le montrent plusieurs documents. Y participent directement plusieurs membres de la direction de Gunvor SA, dont le responsable du département développement dans le monde, ainsi que son supérieur qui s’occupe du pétrole brut dans le monde entier. Le grand patron, Torbjorn Tornqvist, est lui-même au courant des différentes démarches.
Le pétrole ivoirien a ceci d’attractif : si la production est maigre, les conditions de vente sont très intéressantes, permettant de réaliser une marge d’environ 3 dollars par baril (contre 20 à 30 cents en moyenne), avec tout l’arrière-plan de corruption que cela peut supposer. Une délégation de Gunvor se rend en juin 2013 à Abidjan. Le négociant se dit prêt à participer à des projets de développement de l’industrie pétrolière avec la Petroci et évoque la possibilité d’un « partenariat stratégique » avec la Côte d’Ivoire. Son principal interlocuteur est alors le fameux Hamed Bakayoko, ministre de l’intérieur et de la sécurité, dont le domaine d’action n’a pourtant officiellement rien à voir avec le pétrole. Une lettre de remerciement sur papier en-tête de Gunvor lui est envoyée en septembre 2013
Fin 2013, Gunvor remporte finalement un « appel d’offres » auprès de la Petroci pour acheter 650 000 barils de brut provenant du champ pétrolier Espoir. La valeur du cargo atteint quelque 70 millions de dollars, avec un bénéfice pour le négociant de près d’un million de dollars. La marchandise est enlevée aux alentours du 10 mars 2014, sans encombre.
Mediapart, Hamed Bakayoko et le vrai faux scandale du pétrole ?
C’est à partir de ce moment que se met en place une bien étrange opération, pilotée par le service genevois de compliance (conformité juridique) et le bureau de Gunvor à Dubaï, et attentivement suivie par plusieurs cadres de Gunvor SA à Genève, comme le prouvent plusieurs documents consultés par Mediapart.
Que se passe-t-il exactement ? Il est décidé que Gunvor Dubaï signera un contrat de service (« service agreement ») avec une obscure petite société basée à Abidjan nommée Petro-consulting. Officiellement, il s’agit de rémunérer son directeur pour les services qu’il est supposé avoir rendus pour faciliter le deal pétrolier. La chronologie est surprenante puisqu’en principe, ce genre de contrat d’intermédiaire ou d’apporteur d’affaires est rédigé et pré-signé avant la concrétisation de l’opération pétrolière. Ici, tout a été fait après coup.
Or comme l’a appris Mediapart, le directeur de Petro-consulting vit au Mozambique et n’a jamais fourni aucun travail. C’est un partenaire de l’intermédiaire français et il a juste accepté de jouer l’homme de paille pour réceptionner des fonds. Certains documents montrent comment une employée du bureau compliance à Genève l’a guidé pas à pas, dès le 1er avril (soit vingt jours après que Gunvor a levé le brut), pour qu’il rédige en bonne et due forme le « service agreement ».
Le 14 et le 28 avril 2014, plus de 400 000 dollars sont versés sur les comptes de la Petro-consulting à Abidjan. Selon nos informations, la BNP Paribas aurait refusé d’effectuer la transaction estimant que les garanties de transparence n’étaient pas suffisantes. Une banque moyen-orientale aurait finalement accepté. Plusieurs sources indiquent que l’argent a ensuite été reversé ailleurs, atterrissant in fine dans la poche d’un officiel ivoirien.
Tout aurait pu en rester là et ne jamais apparaître au grand jour. Mais cet été, des preuves ont commencé à fuiter dans certains milieux du pétrole. C’est alors la panique au siège de Gunvor à Genève qui croit revivre l’épisode de l’été 2012 quand le ministère public de la confédération avait perquisitionné les locaux sur le dossier Congo-Brazzaville. Celui qui s’est le plus exposé dans l’opération ivoirienne, le directeur du bureau pour le développement, est invité à quitter le navire. À la mi-septembre, ce cadre signe sa lettre de démission avec un salaire payé jusqu’en décembre 2014.
Au registre du commerce, son nom a effectivement été rayé de la direction de Gunvor SA. Certaines sources indiquent qu’il aurait touché, en échange de son accord pour jouer les fusibles, une très grosse somme. Joint par Mediapart, il réfute ces informations affirmant avoir démissionné en « raison de désaccords professionnels » et avoir désormais « tourné la page », estimant qu’il revient à la direction de Gunvor de répondre aux questions sur le deal ivoirien.
Les ponts ont aussi été rompus avec le Français qui avait joué les intermédiaires auprès du ministre Bakayoko et qui a été pour cela rémunéré par Gunvor. Toute perspective de transaction avec la Côte d’Ivoire a été abandonnée et le négociant a décidé de quitter le marché africain, décidément trop compliqué et dangereux.
Contacté par Mediapart, un membre de la direction de Gunvor à Genève confirme l’achat de 650 000 barils de brut ivoirien en mars 2014, se défendant de toutes malversations. Il affirme que le directeur de Petro-consulting à Abidjan n’est pas un homme de paille et qu’il a fait, dès novembre 2012, l’objet d’un examen scrupuleux de la part du service de compliance, et même d’une enquête de Salamanca Group, une société d’intelligence économique. Le CV de cet ancien d’Elf Aquitaine aurait été jugé parfaitement sérieux.
La réaction d’Hamed Bakayoko publiée le 10 novembre 2014
« Lors d’une mission à Paris, j’ai accordé une audience au groupe Gunvor, qui m’a fait part de son intérêt d’investir en Côte d’Ivoire. Je l’ai rassuré sur le net progrès de l’environnement sécuritaire et l’ai encouragé à le faire. J’ai à nouveau reçu une délégation de ce groupe, cette fois à Abidjan, lors de l’un de ses passages en Côte d’Ivoire.
Mon contact avec ce groupe se limite à ces deux rencontres, qui ne sont que des rencontres classiques dans le cadre du travail gouvernemental. Je m’étonne qu’une lettre de remerciement fasse l’objet d’interprétations tendancieuses. Pour être clair, je n’ai perçu aucune rémunération d’aucune sorte du groupe Gunvor. Personne ne peut et ne pourra établir le contraire. Le Gouvernement est engagé dans la mise en œuvre des principes de bonne gouvernance. J’en fais une valeur essentielle dans la conduite de ma mission. »
Le 7 novembre 2014, le journal français Mediapart mettait gravement en cause, le ministre ivoirien Hamed Bakayoko dans une affaire de corruption dans le domaine du pétrole. L’entreprise russe Gunvor était en cause. Alors ministre de l’Intérieur, il avait réagi en marquant son étonnement. En juin 2020, c’est un autre média, cette fois-ci de droit canadien, qui le met en cause dans une affaire de drogue. Le Premier ministre par intérim a aussitôt déclaré qu’il porterait plainte contre VICE. En définitive, qui en veut à Hamed Bakayoko ? Par devoir de mémoire, nous reproduisons de larges extraits de l’article accusateur et la réaction brève et concise du ministre, qui avait ainsi réussi à dissiper de nombreux soupçons.
Selon nos informations, voilà plusieurs semaines que la direction tremble à l’idée de voir exploser au grand jour un scandale de corruption lié à l’achat de pétrole brut en Côte d’Ivoire. Encore et toujours l’Afrique ! En 2012 déjà, Gunvor s’était retrouvé englué dans une affaire présumée de pot-de-vin liée à un marché au Congo-Brazzaville. Le négociant avait alors tout fait pour charger l’un de ses employés, déposant une plainte contre lui. Cette procédure qui ressemble à une diversion doit être classée, alors que l’enquête ouverte « contre inconnu » pour faits de blanchiment, est toujours instruite à Berne par le ministère public de la confédération helvétique.
Le deal ivoirien qui pose maintenant problème remonte à mars 2014 et il n’est pas encore arrivé entre les mains de la justice. Selon plusieurs sources, il aurait été entaché de graves irrégularités, aboutissant même à la démission mi-septembre d’un des directeurs de Gunvor SA. Mediapart a pu consulter plusieurs documents qui permettent de retracer sa chronologie.
A lire aussi : Hamed Bakayoko cité dans une affaire de trafic de drogue : « Ce sont des calomnies » (Molare)
Après l’ouverture de l’enquête suisse sur le Congo-Brazzaville, Gunvor en disgrâce auprès du clan des Sassou N’Guesso est à la recherche de nouveaux débouchés en Afrique. La société se tourne alors vers Abidjan. Des liens avaient déjà été noués du temps de Laurent Gbagbo, puis Gunvor avait habilement retourné sa veste en volant au secours de son opposant Alassane Ouattara. En avril 2011 alors que les combats faisaient rage, la société avait enlevé 1,6 million de barils de brut, permettant ainsi au nouveau président de démarrer son mandat avec une première rentrée d’argent. La collaboration avec le nouveau pouvoir ne s’était cependant pas poursuivie.
Pour reconquérir le marché ivoirien, Gunvor a fait appel en 2013 à un intermédiaire français. Ce dernier fait valoir des contacts, notamment auprès du ministre de l’intérieur ivoirien Hamed Bakayoko, un homme clé du régime Ouattara et un personnage haut en couleur.
Gunvor va pouvoir ouvrir des négociations avec la Petroci (Société nationale d’exploration pétrolière de la Côte d’Ivoire) pour enlever une cargaison de brut, comme le montrent plusieurs documents. Y participent directement plusieurs membres de la direction de Gunvor SA, dont le responsable du département développement dans le monde, ainsi que son supérieur qui s’occupe du pétrole brut dans le monde entier. Le grand patron, Torbjorn Tornqvist, est lui-même au courant des différentes démarches.
Le pétrole ivoirien a ceci d’attractif : si la production est maigre, les conditions de vente sont très intéressantes, permettant de réaliser une marge d’environ 3 dollars par baril (contre 20 à 30 cents en moyenne), avec tout l’arrière-plan de corruption que cela peut supposer. Une délégation de Gunvor se rend en juin 2013 à Abidjan. Le négociant se dit prêt à participer à des projets de développement de l’industrie pétrolière avec la Petroci et évoque la possibilité d’un « partenariat stratégique » avec la Côte d’Ivoire. Son principal interlocuteur est alors le fameux Hamed Bakayoko, ministre de l’intérieur et de la sécurité, dont le domaine d’action n’a pourtant officiellement rien à voir avec le pétrole. Une lettre de remerciement sur papier en-tête de Gunvor lui est envoyée en septembre 2013
Fin 2013, Gunvor remporte finalement un « appel d’offres » auprès de la Petroci pour acheter 650 000 barils de brut provenant du champ pétrolier Espoir. La valeur du cargo atteint quelque 70 millions de dollars, avec un bénéfice pour le négociant de près d’un million de dollars. La marchandise est enlevée aux alentours du 10 mars 2014, sans encombre.
Mediapart, Hamed Bakayoko et le vrai faux scandale du pétrole ?
C’est à partir de ce moment que se met en place une bien étrange opération, pilotée par le service genevois de compliance (conformité juridique) et le bureau de Gunvor à Dubaï, et attentivement suivie par plusieurs cadres de Gunvor SA à Genève, comme le prouvent plusieurs documents consultés par Mediapart.
Que se passe-t-il exactement ? Il est décidé que Gunvor Dubaï signera un contrat de service (« service agreement ») avec une obscure petite société basée à Abidjan nommée Petro-consulting. Officiellement, il s’agit de rémunérer son directeur pour les services qu’il est supposé avoir rendus pour faciliter le deal pétrolier. La chronologie est surprenante puisqu’en principe, ce genre de contrat d’intermédiaire ou d’apporteur d’affaires est rédigé et pré-signé avant la concrétisation de l’opération pétrolière. Ici, tout a été fait après coup.
Or comme l’a appris Mediapart, le directeur de Petro-consulting vit au Mozambique et n’a jamais fourni aucun travail. C’est un partenaire de l’intermédiaire français et il a juste accepté de jouer l’homme de paille pour réceptionner des fonds. Certains documents montrent comment une employée du bureau compliance à Genève l’a guidé pas à pas, dès le 1er avril (soit vingt jours après que Gunvor a levé le brut), pour qu’il rédige en bonne et due forme le « service agreement ».
Le 14 et le 28 avril 2014, plus de 400 000 dollars sont versés sur les comptes de la Petro-consulting à Abidjan. Selon nos informations, la BNP Paribas aurait refusé d’effectuer la transaction estimant que les garanties de transparence n’étaient pas suffisantes. Une banque moyen-orientale aurait finalement accepté. Plusieurs sources indiquent que l’argent a ensuite été reversé ailleurs, atterrissant in fine dans la poche d’un officiel ivoirien.
Tout aurait pu en rester là et ne jamais apparaître au grand jour. Mais cet été, des preuves ont commencé à fuiter dans certains milieux du pétrole. C’est alors la panique au siège de Gunvor à Genève qui croit revivre l’épisode de l’été 2012 quand le ministère public de la confédération avait perquisitionné les locaux sur le dossier Congo-Brazzaville. Celui qui s’est le plus exposé dans l’opération ivoirienne, le directeur du bureau pour le développement, est invité à quitter le navire. À la mi-septembre, ce cadre signe sa lettre de démission avec un salaire payé jusqu’en décembre 2014.
Au registre du commerce, son nom a effectivement été rayé de la direction de Gunvor SA. Certaines sources indiquent qu’il aurait touché, en échange de son accord pour jouer les fusibles, une très grosse somme. Joint par Mediapart, il réfute ces informations affirmant avoir démissionné en « raison de désaccords professionnels » et avoir désormais « tourné la page », estimant qu’il revient à la direction de Gunvor de répondre aux questions sur le deal ivoirien.
Les ponts ont aussi été rompus avec le Français qui avait joué les intermédiaires auprès du ministre Bakayoko et qui a été pour cela rémunéré par Gunvor. Toute perspective de transaction avec la Côte d’Ivoire a été abandonnée et le négociant a décidé de quitter le marché africain, décidément trop compliqué et dangereux.
Contacté par Mediapart, un membre de la direction de Gunvor à Genève confirme l’achat de 650 000 barils de brut ivoirien en mars 2014, se défendant de toutes malversations. Il affirme que le directeur de Petro-consulting à Abidjan n’est pas un homme de paille et qu’il a fait, dès novembre 2012, l’objet d’un examen scrupuleux de la part du service de compliance, et même d’une enquête de Salamanca Group, une société d’intelligence économique. Le CV de cet ancien d’Elf Aquitaine aurait été jugé parfaitement sérieux.
La réaction d’Hamed Bakayoko publiée le 10 novembre 2014
« Lors d’une mission à Paris, j’ai accordé une audience au groupe Gunvor, qui m’a fait part de son intérêt d’investir en Côte d’Ivoire. Je l’ai rassuré sur le net progrès de l’environnement sécuritaire et l’ai encouragé à le faire. J’ai à nouveau reçu une délégation de ce groupe, cette fois à Abidjan, lors de l’un de ses passages en Côte d’Ivoire.
Mon contact avec ce groupe se limite à ces deux rencontres, qui ne sont que des rencontres classiques dans le cadre du travail gouvernemental. Je m’étonne qu’une lettre de remerciement fasse l’objet d’interprétations tendancieuses. Pour être clair, je n’ai perçu aucune rémunération d’aucune sorte du groupe Gunvor. Personne ne peut et ne pourra établir le contraire. Le Gouvernement est engagé dans la mise en œuvre des principes de bonne gouvernance. J’en fais une valeur essentielle dans la conduite de ma mission. »