Combattre le sensationnel au profit du nécessaire :

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Depuis un certain temps, des images très peu reluisantes de la route principale, qui dessert le septentrion et qui assure la liaison entre la Côte d’Ivoire et ses voisins du nord, nous parviennent. Ces images sont assorties de commentaires qui étayent, si besoin en était encore, le désarroi des automobilistes et de tous les autres usagers de cette voie dont l’importance s’impose d’elle-même. Il revient qu’après Katiola, il vaut mieux être sur une deux roues, si l’on veut économiser du temps pour cette traversée périlleuse.

Au-delà du drame certain que vivent tous les usagers de cette route, le débat et les commentaires à relents claniques ou régionalistes démontrent le degré de corruption de notre société.

L’ethnocentrisme entraine, chaque jour, notre pays vers des lendemains incertains. Pire, ces genres de débats, parce que hautement pervers et corruptifs, détournent l’attention de la nation sur la contradiction principale de la lutte qu’elle doit mener pour assurer son développent. Cette contradiction principale se rapporte à la notion même du développement. C’est quoi, trivialement dit, le développement.

La question est essentielle parce que c’est la réponse qui en est donnée qui détermine la compréhension que chacun se fait du contrat social qui fonde la Côte d’Ivoire.

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Le système, qui a installé le régime ivoirien, fait du beau et du sensationnel, les critères de choix du développement. Or, le beau et le sensationnel créent l’illusion. Comme dans un cirque, les tours de passe, rondement exécutés par des techniciens, vous plongent dans l’illusion qui vous faire voir et percevoir une réalité déformée des choses.

Ainsi l’ordre de priorité des investissements est totalement renversé pour répondre à la logique du sensationnel. Le beau et le sensationnel soumettent l’utile et le nécessaire. Le gouvernement ivoirien, fidèle à sa vocation de serviteur du système dominant, dont il tient du reste sa légitimité, ne fait plus de mystère sur ses choix d’investissements. Entre une ligne de métro et l’autoroute principale du pays, le choix est vite fait. 665 milliards de FCFA, ( 1 milliard d’Euros) juste pour ouvrir une ou deux lignes de métro à Abidjan, pour faire sensation. De toutes les façons, ceux qui les jugent et qui les notent ne se rendront jamais à Niakara, à Tafiré, à Korhogo, à Ferké et à Ouangolo par voie routière. Leur jugement et leurs appréciations se limitent à Abidjan, et bien sûr, aux plages berceuses d’Assinie.

Ce sont leurs priorités qui importent. Dès lors, croire que le gouvernement ivoirien, parce qu’il est dirigé et monopolisé par des ressortissants du Nord, devrait s’occuper, pour cela seul, de l’autoroute du Nord, c’est méconnaître les enjeux et les mécanismes qui gouvernent l’ultra-libéralisme.

L’ethnocentrisme ou toutes les formes de sectarisme sont les instruments que le système dominant utilise pour diviser les plus faibles afin de mieux les exploiter. C’est ainsi partout en Afrique. Là où les intérêts économiques et financiers des dominateurs du monde s’entrechoquent, le sectarisme devient la source nourricière d’un humanisme malhonnête qui sert, tout juste pour un moment, de moyen de légitimation de leurs incursions impitoyablement meurtrières dans nos pauvres pays. S’accrocher aux chimères du sectarisme, de quelque forme que ce soit, c’est être auxiliaire de toutes les formes d’entreprises criminelles qui s’opèrent en Afrique.

La question essentielle que l’on doit se poser, en ce qui concerne le sort de cette route du nord, devenue l’objet de toute les récriminations, est la suivante :
Quelle est la priorité entre un métro, qui ne répond en réalité qu’aux besoins réels immédiats et médiats d’une portion très minime de la population ivoirienne, en plus d’avoir un impact très faible sur l’économie, et une autoroute internationale par laquelle se réalisent l’essentiel du trafic commercial entre trois pays ? le lieu par lequel passe cette route reste sans incidence sur cette question essentielle.

En novembre prochain, le Chef de l’Etat français est annoncé à Abidjan pour le lancement des travaux du train urbain d’Abidjan. Il sera là, pour féliciter et pour encourager son homologue ivoirien pour son travail bien fait. Ce beau travail, c’est d’ouvrir un chantier totalement français, mais simplement localisé en Côte d’Ivoire.

En effet, pour la réalisation de ce projet très cher, il faudra fournir des rails ainsi que tous leurs accessoires. Aucune fonderie ivoirienne ne produit ces rails. Elles viendront donc, tout naturellement d’Europe, probablement de France. Dans ce cas, ce sont donc les fonderies françaises et la main d’œuvre française qui vont tirer profit de la commande des rails nécessaires audit projet.
Il faudra un centre électronique et informatique de contrôle des trains. Aucune entreprise ivoirienne n’a cette compétence technique. Il faudra l’importer.

Il faudra des câbles électriques de plusieurs kilomètres qui seront produits par des entreprises françaises.
Sur le chantier lui-même, certaines taches exigent une qualification particulière et une forme d’expérience qu’il faudra rechercher outre-Atlantique.

En phase d’exploitation, les trains consommeront de l’électricité qui est vendue, en Côte d’Ivoire, par la Compagnie Ivoirienne d’Electricité, contrôlée depuis quelques temps par le groupe d’assureur français AXA. La production de l’électricité, vendue par la CIE, est assurée, en amont, entre autres, par une société du groupe Bouygues qui est leader du consortium chargé d’exploité ce train à travers la Société de Transport Abidjan sur Rails ( STAR).

En définitive, comme l’on peut constater, ce projet pharaonique a des retombées économiques plus importantes pour l’économie française que pour l’économie ivoirienne. Les Abidjanais auront un train urbain pour faire sensation, les travaux vont certainement booster la croissance pendant la phase de réalisation, mais cette croissance aura très peu d’incidence sur l’économie ivoirienne dans ses composantes fondamentales.
Par ailleurs, avec son coût énorme, l’appui de l’Etat, pour sauvegarder l’équilibre financier de la concession, est quasiment une certitude. Donc, tout comme pour le troisième pont, le contribuable ivoirien sera sollicité pour entretenir l’illusion du sensationnel au détriment de l’efficace. Il ne sera pas surprenant, dans ces conditions, qu’au terme de la concession, ce train ne soit plus viable.

C’est à ce niveau qu’il faut mener le débat. Les liens de consanguinité supposés que les populations du Nord auraient avec le Chef de l’Etat et son gouvernement ne sauraient constituer la contradiction sérieuse de ce débat sur l’abandon en ruine de cette partie de la route internationale.

La contradiction principale se rapporte à la notion même de développement. Tant que nos Etats n’auront pas déterminés eux-mêmes, les critères qui déterminent le développement, et tant que ce concept sera perçu à travers le prisme occidental, alors, nous auront beau placer à la tête de nos Etats et de nos administrations, chaque jour, nos pères, nos mères, nos frères et sœurs ainsi que toutes nos tantes et autres oncles ainsi que cousins et neveux etc. rien ne changera véritablement dans notre quotidien. Nos pays porteront, toujours et encore, plus les intérêts des puissances étrangères que les nôtres.

Soyons plus audacieux dans nos débats et dans notre combat politique en rompant avec les chemins obscurs du sectarisme. Devant nos exploitants, nous sommes tous pareils, que nous soyons du septentrion, du midi, de l’orient ou de l’occident. Que nous soyons Ivoiriens, Burkinabés, Sénégalais, Maliens etc. nous sommes assimilés par eux, à de la simple infrastructure économique. Ils ne sont pas élus dans leurs pays pour nous rendre heureux. C’est avant tout, pour les leurs qu’ils se battent. Ils n’ont pas fait une guerre en Côte d’Ivoire pour développer le Nord ou le Sud ou tout autre endroit de ce pays ; c’est avant tout pour leurs intérêts individuels et collectifs. Tant pis si les nôtres sont plus leurs auxiliaires que nos Chefs.

Bonne fête de Tabaski à toutes et à tous.

Le Ministre JUSTIN KATINAN KONÉ