Bombardement de Bouaké : l’avocat du copilote ivoirien Patrice Ouei jette un pavé dans la mare
kouamouo May 7 |
Je voudrais retranscrire pour les lecteurs de cette newsletter un entretien que j’ai eu avec Pierre Dagbo, avocat du colonel ivoirien Patrice Ouei, condamné à perpétuité par la Cour d’assises de Paris pour son rôle supposé dans le bombardement qui a coûté la vie à neuf soldats français et un civil américain à Bouaké, le 6 novembre 2004.
Cet entretien est édifiant et confirme l’analyse que j’avais faite il y a quelques jours. Je disais que la condamnation des deux copilotes ivoiriens était grotesque. Celle d’Ange Gnandouillet d’abord, tout simplement parce qu’il est mort depuis plus de cinq ans. Et celle de Patrice Ouei, aussi, parce que l’avion de guerre mis en cause avait à son bord le pilote biélorusse Yury Sushkin et le copilote ivoirien Ange Gnandouillet. Je disais que de plus, Ouei, avait toujours nié avoir piloté le deuxième avion qui avait volé ce jour-là. Ce qui est confirmé par de nombreux éléments du dossier judiciaire et par des sources directes que j’ai pu interroger aujourd’hui. L’avocat de Patrice Ouei clame l’innocence de son client, qui n’aurait jamais reçu de convocation de la justice française. En creux, il relève le caractère kafkaïen de cette histoire. Un feuilleton judiciaire grotesque dans lequel la justice française sabote manifestement sa propre enquête pour mieux protéger le pouvoir français de l’époque, qui a très clairement aidé les mercenaires qui ont tué ses soldats à disparaître dans la nature. Je publierai bientôt une ou plusieurs analyses plus poussées sur ce sujet.
Vous êtes l’avocat du colonel Patrice Ouei, un officier ivoirien qui a été condamné en France à la perpétuité en son absence pour son rôle supposé dans la mort de neuf soldats français et d’un Américain à Bouaké, en novembre 2004. Votre client a rejeté cette décision. Il a demandé à être entendu par la justice française. Est-ce que votre client a été un jour convoqué par la justice française ?
Mon client n’a jamais reçu de convocation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il s’oppose à cette condamnation.
Est ce qu’il reconnaît avoir fait partie de ceux qui ont bombardé le camp français de Bouaké ? Est-ce qu’il a été un jour accusé ? Mis en cause? Emprisonné ou jugé en Côte d’Ivoire ?
La réponse est également non. Jusqu’à ce jour, il n’a jamais été condamné et n’a jamais été interpellé. Tout au plus avait-il été entendu par le passé par le procureur militaire. Mais pas plus. Et d’ailleurs, il est étonné que les choses se passent comme s’il n’existait pas. C’est un colonel d’aviation, quelqu’un qui a une grande connaissance des choses qu’on lui confie. Il ne comprend pas qu’on puisse le traiter comme un soldat du rang. C’est un officier supérieur, qui a le sens du professionnalisme, qui a le sens de la loyauté. C’est quelqu’un d’intègre, et c’est d’ailleurs pour cela qu’il réfute toute cette accusation. Et il ne comprend pas. Et nous, en tant qu’avocat, nous allons l’aider à ce que ce qu’il comprenne, à ce que la vérité éclate pour que les vrais coupables soient punis. Et non qu’on punisse des innocents à la place des coupables.
Est ce que le colonel Patrice Ouei est en fuite, comme ont pu le dire ou le suggérer un certain nombre de médias ?
Non, le colonel Patrice Ouei n’est pas en fuite. Il est résident à Abidjan. Tout le monde sait où il habite. Ce n’est pas quelqu’un qui se cache. La preuve, il se déplace comme tout le monde. Nous avons eu une séance de travail encore ce matin même à mon cabinet. Il est reparti chez lui. Donc, on ne peut pas dire qu’il est en fuite. Il est là. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il s’étonne de n’avoir jamais été entendu. Et il veut être entendu. Il veut dire sa part de vérité. Il veut que la vérité éclate parce qu’il n’est pas l’homme qui a bombardé le camp militaire français pour qu’il puisse être condamné à perpétuité.
Est ce que le colonel Ouei a été mise en cause ou a été visé après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, dans la mesure où une certaine analyse considère que les copilotes des Sukhoi ont été protégés par Laurent Gbagbo, donc on peut supposer qu’Alassane Ouattara, arrivant au pouvoir grâce aux soldats français, grâce à l’armée française, grâce à Nicolas Sarkozy, son premier réflexe aurait été de traquer les personnes qui « ont tué des soldats français ». Est-ce que le colonel Patrick Ouei a été visé depuis, ou alors interrogé ou interpellé depuis qu’Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir ?
Votre question a une dimension politique à laquelle nous ne pouvons pas répondre. Nous restons simplement sur la procédure judiciaire en tant qu’avocat et nous voulons nous concentrer sur les vices de forme et de fond qui ont eu lieu dans le procès qui condamne notre client à perpétuité. Les autres problèmes sont des relations d’Etat à Etat et nous n’avons pas à nous prononcer dessus. Toujours est il que le colonel Ouei n’a jamais été entendu malgré le changement de régime. Nous n’avons pas connaissance que des autorités françaises aient demandé aux autorités ivoiriennes de l’extrader en France. Nous n’avons pas connaissance que les autorités françaises aient demandé aux autorités ivoiriennes de l’entendre ici à Abidjan. Nous n’avons pas connaissance qu’un juge français soit venu à Abidjan à la demande des autorités françaises pour entendre le colonel Ouei. Voilà tous les vices que nous dénonçons. Et voilà pourquoi nous ne voulons pas que quelqu’un qui clame son innocence soit condamné à la place des coupables à une peine aussi maximale que la perpétuité.
Certains analystes estiment que nous sommes face à une impasse vu que les autorités ivoiriennes, désormais, estiment qu’il ne peut pas être extradé vu qu’il y a eu la loi d’amnistie de 2007. Et de l’autre côté, certaines personnes estiment que dans ce cas, il faudrait qu’il se constitue prisonnier. Ce qu’il se refuse à faire. Est-ce que vous pensez qu’il y a une voie judiciaire qui permet peut-être de réouvrir une enquête ou alors de casser ce jugement dans la mesure où le vice de forme que vous évoquez serait reconnu par un tribunal, notamment une cour d’appel ?
Si le droit ne prévoit pas de possibilité autre que celle que vous avez évoquée, c’est-à-dire se constituer prisonnier, c’est dangereux. C’est dire qu’on peut condamner un innocent à perpétuité. Et dire que la seule voie qui lui reste, c’est de se constituer prisonnier. Mais pourquoi le ferait-il s’il clame son innocence? Soit on veut connaître la vérité sur ce qui s’est réellement passé à Bouaké et on ouvre une enquête. Il y a plusieurs juridictions, juridictions nationales et juridictions internationales. Soit on veut faire porter le chapeau à un innocent. Patrice Ouei ne peut pas se constituer prisonnier parce que tout simplement, il n’a pas bombardé le camp de Bouaké. Il n’était pas copilote, il n’était pas dans l’avion. Je crois que ça, il le dit depuis toujours. C’est à ceux qui l’ont condamné de chercher à l’entendre. Je n’ai pas toute la maîtrise du Code de procédure pénale français, mais c’est un Ivoirien qui a été condamné. Au sujet de la loi d’amnistie, elle ne concernait que des personnes coupables de faits connus. Or M. Ouei considère qu’il n’a jamais commis de faute professionnelle, qu’il n’a jamais commis de faute en tant qu’individu. Donc, il n’est pas concerné par la loi d’amnistie. Maintenant, il s’agit peut-être pour les autorités ivoiriennes qui considèrent que leur compatriote a été condamné de façon arbitraire d’engager une action.
Je pense qu’aujourd’hui nous sommes dans une société mondialisée. Nous sommes à l’heure des droits de l’homme et de la démocratie, il n’y a pas de raison que toutes les conventions internationales, notamment la Charte universelle des droits de l’homme et des droits de l’homme de 1948. Je ne comprends pas que les tribunaux français puissent procéder à ces graves vices de procédure dans le cas de mon client.
Il ne devrait pas y avoir deux poids, deux mesures quand il s’agit des officiers africains, et particulièrement un officier ivoirien. Patrice Ouei est disponible, il est en Côte d’Ivoire, il veut être entendu. Il appartient à ceux qui l’accusent de lui donner les moyens de l’entendre. De plus, le droit à la défense est un droit sacré en matière pénale. Il n’y a pas de raison que l’on ne puisse pas aborder ce droit à mon client. C’est pourquoi je m’interroge encore. Comment a-t-on a pu condamner le colonel Ouei Patrice sans l’avoir entendu alors qu’il était là. Il est là, il est disponible, tous les jours.