Alassane Ouattara ou la parfaite incarnation de Monsieur Thôgo-gnini de Bernard Dadié
Alassane Ouattara
ou la parfaite incarnation de Monsieur Thôgo-gnini
de Bernard Dadié
Au début des années 70, Monsieur Thôgo-gnini, la pièce de théâtre de Bernard Dadié publiée en 1966 – qui fut présentée au festival d’Alger l’année suivante – connut quelque succès. A cette époque, dans le gros village de Bonoua, la petite troupe de collégiens et de lycéens qui – à l’imitation de leurs aînés – avait fait du recueil des pièces du « Cercle populaire ivoirien » leur bréviaire, avait découvert avec délectation le verbe frondeur de Bernard Dadié contre les nouveaux collaborateurs nègres des Européens. J’étais de ces jeunes là.
Quand en 2011, je vis Alassane Ouattara du haut de son piédestal, droit comme un i, déployer son bras dans toute sa longueur – comme pour tenir des ennemis à distance – tendre sa main aux rois Akans qui, dans une profonde génuflexion la prenaient à tour de rôle dans un geste de soumission, j’ai tout de suite reconnu Monsieur Thôgo-gnini, le personnage de Bernard Dadié ! L’inculture et la fanfaronnade s’accomplissent toujours dans l’arrogance et le mépris !
Dans la tradition Akan – et dans bien d’autres traditions ivoiriennes, et peut-être africaines – quelque soit son rang, on ne laisse jamais un vieil homme qui vous tend la main accomplir la totalité de sa génuflexion en signe de respect de votre titre. Cette politesse s’avère encore plus grande quand il s’agit de l’hommage d’une autorité à une autre. En interrompant le geste de soumission, celui qui reçoit les honneurs montre son humilité ; il montre qu’il se satisfait de l’intention de celui qu’il accueille. Quelle magnanimité dans cette tradition ivoirienne !
Le jour de son intronisation – et cela s’est répété par la suite à chacune de ses rencontres avec les rois ivoiriens – notre homme a tenu à faire savoir à tous qu’il n’était pas Alassane Dramane Ouattara mais « Monsieur le président ». Comme Thôgo-gnini, il fallait donner du « Monsieur le président » dans le ton et le geste qui ne peuvent traduire qu’une profonde et totale soumission bien évidente pour tous.
En effet, pour lui, « Monsieur le président » n’est pas un titre ; c’est un nom qui représente le prestige, la notoriété, l’accession à la civilisation. Les autres devaient le savoir très vite et fortement. Lui savait bien que ce nom chargé de notoriété, il ne le doit à personne, du moins à aucun Ivoirien. Comme Monsieur Thôgo-gnini « il s’est fait tout seul ! à la force du poignet ! – et des bombes de ses amis Blancs* – Un nom qui a l’infini mérite de lui donner la grisante sensation d’être au-dessus des siens dans la mesure où il le rapproche du Blanc » (Koffi Kwahulé, Fiche de lecture).
La fragmentation de l’identité de Ouattara
Il faut comprendre que sous le modèle de Monsieur Thôgo-gnini qui se voulait à la fois lion, panthère, léopard, Alassane Ouattara s’est présenté aux Ivoiriens sous une multitude d’identités : Ivoirien, demi-Ivoirien, Burkinabé, demi-Burkinabé, Français etc… Tantôt il est né à Dimbokro, tantôt à Kong, tantôt à Sindou. Comme le personnage de Bernard Dadié, il se perd dans ses contradictions et ne permet ainsi à personne de savoir sa vraie identité. Le premier sens du mot Thôgo-gnini est bien chercher un nom ou son nom. Ouattara a effectivement passé sa vie à se chercher un village, et finalement à se chercher un nom qui ne l’attache à aucun. Un nom transcendant, sans aucune attache ethnique comme les autres Ivoiriens, sans aucune attache religieuse, historique. Oui, sa vrai identité, sera désormais « Monsieur le président ». Sans passé, il ne peut être regardé que comme le présent et l’avenir.
Toutefois, retenons que le nom malinké Thôgo-gnini reprit dans les autres langues ivoiriennes a pris le sens de délateur ; c’est-à-dire qui ne prononce le nom de l’autre que pour ternir sa réputation et renforcer par la même occasion la sienne. Durant plus de dix ans, il a consacré son énergie à salir Laurent Gbagbo ; et une fois que ses amis Français ont défait ce dernier, il a pris soin de le faire déférer devant la Cour pénale internationale en l’accusant de crime contre l’humanité. Un Thôgo-gnini cherche toujours sa gloire dans la chute de l’autre parce qu’il n’a pas d’identité ou de valeur propre à montrer. Les nombreux voyages en France, les serrements de mains blanches, les invitations de ministres et de députés français aux nombreux galas et autres fêtes que son épouse organise à Abidjan ou à Paris vont tous dans le même sens : installer le nouveau nom et la nouvelle notoriété de « Monsieur le président » dans la conscience collective.
Quand il estime que c’est chose faite, comme Monsieur Thôgo-gnini, Dramane Ouattara impose le mal sans se retourner. Plein de certitudes, il n’hésite jamais. Il fait construire des prisons d’un type nouveau à Abidjan pour enfermer ses nombreux ennemis imaginaires. Il ne se pose jamais de question. Il parle et agit en son nom et tout lui obéit : on assassine, on matraque, on se suicide. Le pouvoir se confond à sa personne, l’espace ivoirien tout entier se confond à sa propre histoire.
Un nouvel homme dans le regard du Blanc
Mais Alassane Ouattara prend également grand soin à montrer aux Ivoiriens que la puissance tient aussi à l’argent qui va bien sûr de pair avec l’amour de la compagnie des Blancs. Comme Monsieur Thôgo-gnini, il tient à avoir le monopole du café, du cacao, de l’huile de palme… les produits qui alimentent l’économie française en même temps qu’ils appauvrissent aujourd’hui les Ivoiriens. Il autorise même ses amis Blancs à s’accaparer des quartiers pauvres d’Abidjan pour leurs rêves de cités urbaines futuristes, et les terres des planteurs pour des cultures nouvelles dont a besoin l’Europe ou pour enfouir les déchets toxiques français. Vous l’aurez compris : le couronnement de Dramane Ouattara est avant tout pour le peuple ivoirien une tragique confiscation du pouvoir et des biens locaux.
Quand les autres chefs d’Etat africains francophones parlent d’une nécessaire autonomie monétaire , il est le seul à clamer que « le Franc Cfa est notre monnaie », que « nous sommes autonomes » ! Il est le seul à nier l’histoire de cette monnaie, le seul à nier qu’elle est la propriété et donc l’instrument de la France pour contrôler les économies africaines et par voie de conséquence les politiques de développement des Africains francophones. Comme Monsieur Thôgo-gnini, « Monsieur le président » est le seul à s’affubler d’une valeur étrangère par souci d’être blanc. Un esclave de maison qui connaît le confort aux côtés de son maître envisage rarement d’autres voies d’épanouissement.
Paradoxalement, plus Dramane Ouattara se rapproche des Français et leur permet d’avoir la mainmise sur la Côte d’Ivoire, plus il se sent en sécurité. Il a si bien intériorisé le regard de l’homme blanc que sa couleur de peau semble lui peser lourdement. Cette peau qui lui rappelle constamment cette Afrique qu’il méprise, cette Côte d’Ivoire qui ne lui sert plus à rien, cette peau est devenue une source d’insécurité. Alors non seulement il est plus souvent en France qu’en Côte d’Ivoire, mais quand il y est il invite régulièrement ministres et députés français à le rejoindre pour qu’il n’ait pas le sentiment d’avoir quitté la France.
Ce que Dramane Ouattara ne voit pas, c’est que ce nom, « Monsieur le président » arraché avec violence et qui fait sa notoriété, est devenu aliénant puisqu’il n’est reconnu par personne d’autre que lui ; pour les Ivoiriens, il demeure celui qui cherche son nom, ou encore le délateur ou traitre ! Par ailleurs, en s’achetant pour ainsi dire une place parmi les Blancs – n’existant donc qu’aux yeux des Blancs parce qu’ils sont les seuls à le reconnaître – Dramane Ouattara se présente à nous comme un fruit qu’on attend qu’il soit mûr pour le cueillir. Exactement comme Monsieur Thôgo-gnini à la fin de la pièce de Bernard Dadié.
S’il ne voit pas ce qu’il représente aux yeux des Ivoiriens, on peut croire que Dramane Ouattara sait qu’il n’est pas aimé d’eux. Le nom – « Monsieur le président » – qu’il a arraché à force de longues luttes et qu’il a misé dans le pacte avec l’Occident l’a irrémédiablement éloigné des Ivoiriens. La prise de conscience de ce sentiment est sans doute pour beaucoup dans sa farouche recherche de la proximité des Blancs. Il doit sûrement, comme Monsieur Thôgo-gnini, pour se donner un peu de contenance ou d’assurance, se répéter souvent : « Moi, Dramane ouattara, je ne suis peut-être pas aimé, mais je suis craint, respecté [pas sûr]. Eh oui, je puis impunément faire ce qui me plaît. Demain, vous serez nombreux à être condamnés à vivre pour payer des dettes. C’est moi Dramane Ouattara qui vous le dis. »
Et c’est vrai, l’ami des Blancs, le collaborateur des anciens colonisateurs ou néo-colons fait ce qu’il veut : il signe des contrats très avantageux pour eux, il leur concède des pans entiers de l’économie et des travaux publics condamnant ainsi les générations futures à être dépendantes des Français durant des décennies et des décennies. En effet, non seulement les futures générations ne pourront pas entretenir tout ce qui se construit – et qui tombera donc en ruine – mais encore elles ne pourront même pas disposer de terres pour se nourrir ou se loger parce que les étrangers se les accapareront en paiement des dettes contractées par Ouattara. Oui, « demain, vous serez nombreux à être condamnés à vivre pour payer des dettes ». C’est Dramane Ouattara qui vous le dit !
* L’expression n’est pas de Koffi kwahulé mais de moi.