Affaire Fillon: Quand le monde politique « découvre » un secret de polichinelle
Le 10 juin dernier, Eliane Houlette, ancienne patronne du Parquet national financier, a évoqué devant une commission parlementaire « l’énorme pression » qu’elle a subie de la part de sa hiérarchie lorsqu’elle instruisait l’affaire Fillon en 2017. Le spasme qui a saisi le monde politique depuis ces déclarations est finalement très amusant.
Régis de CASTELNAU, Avocat et blogueur Publié le 23 juin 2020
Tout le monde savait que le raid judiciaire contre François Fillon était une opération savamment préparée et exécutée avec zèle par des magistrats parfaitement d’accord pour la mettre en œuvre. Depuis trois ans et en dehors de quelques aboiements (dont ceux de votre serviteur) et quelques contritions discrètes signées Davet et Lhomme ou Marc Endeweld, tout le monde a fait semblant. Il n’est que de se rappeler l’absence totale de critiques dans la presse suite aux réquisitions du Parquet national financier contre les époux Fillon le 10 mars dernier, pourtant surprenantes de sévérité. Ou de se souvenir du silence gêné des journaux devant l’attitude scandaleuse du parquet qui durant tout le déroulement de l’audience n’a laissé aucun doute quant à son objectif: justifier la violence procédurale du printemps 2017 et parer les accusations d’instrumentalisation de la justice, dont on savait bien sûr qu’elles étaient parfaitement fondées.
Alors livrons-nous à un petit passage en revue des différentes réactions.
Le réveil des LR
Les LR se réveillent d’un long sommeil sur cette question, alors qu’ils étaient parfaitement au courant depuis le premier jour de l’existence de l’opération visant à disqualifier leur candidat et à permettre l’élection d’Emmanuel Macron. Un mélange de lâcheté, d’envies d’aller à la soupe et d’aversion pour François Fillon ont abouti à l’instauration d’un pieux silence. Dont ils sortent aujourd’hui, car ils sentent le chef de l’Etat affaibli et sont soucieux de continuer de redorer leur blason après leur opposition victorieuse, quoique tardive, à la loi scélérate Avia (tant mieux, et merci à eux quand même). Alors, bardés de fausse ingénuité, ils font semblant de découvrir la lune avec les déclarations d’Éliane Houlette, et enfoncent vaillamment des portes ouvertes.
Jean-Luc Mélenchon a compris
Pendant la campagne de l’élection présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon a donné tout son crédit aux fuites ciblées parues dans la presse sur l’enquête puis l’instruction de l’affaire Fillon. Ses partisans et lui n’hésitèrent pas à se servir de ces « informations » pour contrer leur concurrent LR. C’est aujourd’hui une autre chanson, car entre-temps, le patron de LFI a goûté à l’instrumentalisation politique de la justice en se faisant appliquer le même genre de traitement. Et douloureusement surpris, a trouvé cela passablement désagréable, et donc changé de discours. Le voilà qui nous dit: « Il y a eu un effet de meute. Il est clair que sa liquidation politique a servi l’ascension de monsieur Macron. C’est de la grossière manipulation. » Carrément?
Socialistes et éditocrates, Joffrin porte-parole
Il est nécessaire de faire un lot commun dans la description du comportement des socialistes et des journalistes soutiens indéfectibles d’Emmanuel Macron. D’abord parce qu’ils appartiennent au même monde et ensuite parce que ce sont eux qui ont été ensemble à la manœuvre. Les uns organisant et soutenant la manipulation, les autres la relayant dans un invraisemblable bombardement médiatique. Ils auraient du mal à prétendre qu’ils entendaient là soutenir Benoît Hamont, candidat officiel du PS! Non: c’était bien Macron qu’ils voulaient. Le problème, c’est que les Français en ont fait l’expérience depuis, et allez savoir pourquoi, ils ont quand même l’impression d’une superbe erreur de casting.
Alors, beaucoup rasent les murs, mais pas Laurent Joffrin comme d’habitude qui s’y colle dès qu’il faut afficher son ignorance et déployer sa mauvaise foi. Et comme à chaque fois, on n’est pas déçu. Le directeur de Libération défend bec et ongles la fable d’une justice indépendante et révèle en creux sa conception de la démocratie: « On parle d’instrumentalisation, de forfaiture, de cabinet noir et on regonfle le mythe d’une élection volée qui aurait privé un Fillon blanc comme neige de son ticket d’entrée à l’Elysée. »
Mais dites donc Monsieur Joffrin, vous savez bien que ce n’est pas le principe même d’une procédure à l’encontre de François Fillon qui pose un problème, mais la façon dont elle s’est initialement déroulée. Dont vous ne dites pas un mot. Le caractère exceptionnellement fulgurant à ce moment-là, à un rythme que je n’ai JAMAIS VU en 48 ans de carrière, à partir, non d’un réquisitoire ni d’une plainte ou d’un signalement article 40 mais d’un article de journal opportunément publié à quelques semaines du scrutin, tout ça ne vous dérange en rien?
La violation des règles de la loi sur le secret de l’enquête, probablement par des gens liés à celle-ci, pour que des pièces de la procédure habilement sélectionnées paraissent dans la presse avant même qu’elles soient côtées dans le dossier judiciaire, pour vous tout va bien? Aucun problème quand la loi devient à géométrie variable, et que des fonctionnaires violent leurs obligations légales et par conséquent leur serment sous votre nez. Ces délinquants-là seraient donc blancs comme neige?
Et puis on voit en creux l’argument, tant de fois entendu, d’une culpabilité affirmée concernant François Fillon qui aurait justifiée qu’on l’écarte de la course à la présidence dont il était le favori. Jolie conception de la séparation des pouvoirs que cette présentation des choses qui trouve normal qu’en déclenchant une procédure judiciaire ultrarapide et en la mettant en scène dans un grand tintamarre médiatique illégalement organisé, ce soient les procureurs qui désormais choisissent qui peut se présenter à l’élection la plus importante de la République. Dans une démocratie normale, c’est le juge du fond après un débat contradictoire dans le respect des règles qui peut décider d’infliger la peine complémentaire d’inéligibilité.
En revanche, Laurent Joffrin ne voit aucun inconvénient à ce que l’affaire Arif qui jetait un drôle d’éclairage sur les conditions financières de la campagne de hollande en 2012, dorme paisiblement du sommeil de l’injuste depuis plus de six ans, celle de Ferrand depuis trois ans. Benalla bien sûr, El Guerraj et toutes les autres quand, d’enlisements en classements sans suite, on épargne soigneusement la macronie. Il n’a aucun souci pour la procédure jumelle contre le ministre socialiste de l’Intérieur de Hollande, Bruno Le Roux, à qui l’on reprochait les mêmes faits qu’à Fillon, soit silencieusement encalminée depuis plus de trois ans.
La défense de Fillon et « les magistrats en campagne »
Un des avocats de François Fillon vient quant à lui nous dire aujourd’hui que, pendant l’information judiciaire, il avait eu l’impression d’être devant, non un magistrat instructeur, mais devant un militant. On veut bien le croire, mais on va peut-être quand même s’interroger sur cette prise de conscience tardive. C’était en effet le même magistrat qui avait instruit la procédure diligentée à l’encontre de Nicolas Sarkozy pour le règlement par l’UMP en 2012 de l’amende fixée par le Conseil constitutionnel au titre du dépassement des comptes de campagne. À ce moment-là l’instruction complètement à charge et les mises en examen multiples du « magistrat militant » n’avaient pas beaucoup gêné François Fillon, alors à la tête de l’UMP, qui avait été les solliciter de Jean-Pierre Jouyet (en ce temps-là secrétaire général de l’Élysée sous François Hollande). Dites Monsieur Fillon, un « magistrat en campagne », un coup c’est bien, un coup c’est mal, c’est ça?
Macron veut qu’on vérifie…
Emmanuel Macron quant à lui fait très fort. Il a annoncé à grand son de trompe qu’il avait saisi le Conseil supérieur de la magistrature pour vérifier « l’indépendance de l’enquête ». On a bien entendu, Emmanuel Macron ne parle pas « d’impartialité » mais « d’indépendance ». Mais pardi, la procédure a bien sûr été « indépendante », puisqu’il n’y a eu nul besoin de pressions sur Éliane Houlette pour qu’elle lance soigneusement le premier étage du missile anti-Fillon. Le juge d’instruction Serge Tournaire du Pôle financier allumera le second, et ce sera suffisant pour sortir Fillon de la course et ouvrir un boulevard à Macron. Et nul besoin non plus d’instructions de la chancellerie ou de l’Élysée pour que Catherine Champrenault apporte tous ses soins à l’opération. La duplicité de cette annonce présidentielle fait sourire. C’est comme si après l’assassinat de Jules César aux ides de mars 44 avant J.-C., Brutus avait demandé au Sénat romain de « vérifier » son innocence dans le complot.
Des magistrats un peu gênés
Il y a enfin des magistrats, dont beaucoup sont bien embêtés, qui rappellent les grands principes, se réfugient dans le déni, ou bien essaient une fois de plus de faire avancer la mauvaise cause de l’indépendance du parquet. Et puis, ceux qui accusent les copains, histoire de se défausser de leur responsabilité dans la manipulation du printemps 2017. Dont, on ne sait jamais, il faudra peut-être un jour en rendre compte.
L’instrumentalisation politique de la justice pour disqualifier le favori de l’élection présidentielle de 2017 est une évidence depuis trois ans.
L’épisode consécutif aux déclarations de Madame Houlette ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà. Mais dévoile la nature du consensus qui avait tenu à jeter un voile pudique sur la manipulation antidémocratique qui avait permis à Emmanuel Macron d’arriver au pouvoir.
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