Affaire Benalla : Vers des sanctions?
Le mal est fait : en mettant plus de 24 heures à annoncer une procédure de licenciement à l’encontre d’Alexandre Benalla, l’Elysée a raté sa communication autour de cette affaire. Le président de la République et son palais n’ont pas réussi à prendre les devant pour éteindre l’incendie. Bien au contraire. Analyse de ce fiasco avec Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences-Po.
LCI : L’Elysée a annoncé ce vendredi matin avoir engagé une « procédure de licenciement » à l’encontre d’Alexandre Benalla. Est-ce trop tard ?
Philippe Moreau-Chevrolet : « Oui l’annonce est tardive. L’Elysée a mis trop de temps à réagir à cette crise. La façon de communiquer de l’Elysée rappelle beaucoup l’affaire Fillon. Le contexte était un peu le même : il était accusé de faits très graves, il a commencé par nier, par refuser de s’expliquer et de reconnaître la réalité alors que tout était sorti dans la presse. Dans l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui, Emmanuel Macron et son cabinet ont appris des faits particulièrement graves et ont mis 24 heures avant de prendre la bonne décision qui était de se séparer du collaborateur concerné. On ne comprend pas ce retard : est-ce lié à la rigidité d’Emmanuel Macron qui ne veut jamais avoir l’air de répondre à la rue et à la presse ; ou alors est-ce que c’est un vrai embarras par rapport à Alexandre Benalla, qui était un élément clé du dispositif de l’Elysée ? »
LCI : Interrogé à plusieurs reprises par des journalistes à ce sujet hier, Emmanuel Macron a refusé de répondre. Pourquoi ?
Philippe Moreau-Chevrolet : « Emmanuel Macron refuse de répondre à la presse parce qu’il ne veut pas céder à la pression des médias. Ca fait partie de sa psychologie, de ce qu’il essaye de défendre comme notion de l’Etat. Mais ce n’est pas du tout adapté parce que là, véritablement, on est dans une affaire très grave. Il ne faut pas oublier que Macron a vécu l’affaire Leonarda où Hollande était descendu dans la rue, avait répondu aux chaînes d’info sur une affaire particulièrement grave qui mettait en cause le gouvernement. L’ancien président avait perdu énormément de crédit dans l’opinion. Donc Emmanuel Macron se dit : ‘Tant que moi je n’en parle pas, tant que mon image n’est pas complètement mise en cause je peux m’en sortir ; donc je fais silence radio et je laisse les autres avancer à ma place’. »
LCI : Comment peut-on analyser l’allocution de Bruno Roger-Petit hier matin, au cours de laquelle le porte-parole de l’Elysée explique qu’Alexandre Benalla a déjà été sanctionné, et que ça n’ira pas plus loin ?
Philippe Moreau-Chevrolet : « Ils ont vraiment envoyé Bruno Roger-Petit en première ligne, au casse-pipe, et c’est très étonnant qu’ils aient fait ça. Probablement que personne n’avait envie politiquement d’aller défendre ça. Benjamin Griveaux ou les autres, personne n’avait envie d’aller défendre l’Elysée dans cette affaire. Bruno Roger-Petit a probablement été le seul à bien vouloir le faire. Le problème c’est qu’il n’avait aucun argument. L’Elysée s’est dit : ‘On doit quand même dire quelque chose donc on ne va rien dire’. Et ça c’est de la vieille politique, c’est le vieux monde. Aujourd’hui quand on n’a rien à dire soit on se tait, soit on annonce quelque chose de vraiment fort pour mettre tout de suite un terme à la polémique. »
Des députés difficiles à museler
LCI : On a vu également qu’à part quelques-uns, les députés de la majorité avaient fait bloc derrière l’Elysée…
Philippe Moreau-Chevrolet : « Le but était de sauver l’image du président Macron, donc une consigne a été donnée aux députés : se taire et ne pas commenter pour ne pas alimenter la machine. Surtout, il fallait éviter les dérapages parce qu’on sait que les députés En Marche sont profondément divisés sur cette affaire. Beaucoup de ces primo-députés sont venus avec des vraies convictions, des vraies valeurs, et ça ça les met vraiment en porte-à-faux. Certains députés En Marche ont publié des communiqués de presse pour demander la démission de Benalla, mais s’ils étaient allés dans les médias on aurait eu une cacophonie monstrueuse.
Pour la première fois, on a une vraie divergence au plan des valeurs entre la majorité et le gouvernement. Jusqu’à présent les dissensions concernaient des questions politiques, mais à la limite ils pouvaient suivre. Or sur la question des valeurs, beaucoup de députés En Marche ont adhéré au mouvement précisément parce que c’était une rupture avec les valeurs de l’ancien monde. Là on leur met dans la figure que non c’est comme avant, que des conseillers de l’Elysée peuvent se balader avec une voiture de police, avec des uniformes et taper les gens dans la rue. »
La position délicate d’Emmanuel Macron
LCI : Comment le président de la République doit-il se comporter maintenant ? Doit-il parler ?
Philippe Moreau-Chevrolet : « Le président ne peut pas s’exprimer. S’il le fait cela va dramatiser tellement l’événement qu’il deviendra une affaire Macron. Le chef de l’Etat est coincé, il ne peut pas en parler. Ils ont pris la bonne décision : lâcher Benalla, qui va aller en garde à vue, laisser le déballage se faire et protéger Macron. Le seul souci de la majorité et de l’Elysée aujourd’hui est de protéger le président autant qu’il peut l’être. C’est un peu tard déjà mais c’est la seule préoccupation. »
La voiture de fonction d’Alexandre Benalla était équipée d’accessoires policiers
Une photo, que BFMTV a pu obtenir, montre que le véhicule de fonction d’Alexandre Benalla était également équipé de dispositifs policiers. Selon nos informations, la voiture a été enlevée ce jeudi matin.
La révélation mercredi soir des coups portés par un chargé de mission à l’Elysée, Alexandre Benalla, contre un manifestant à Paris le 1er mai dernier, et de son maintien en poste après une simple suspension de quinze jours en mai dernier ont semé le trouble dans la classe politique et l’opinion publique toute la journée de ce jeudi.
Une photo prolonge la polémique
L’apparence d’Alexandre Benalla sur les vidéos l’ayant filmé le 1er mai a aussi interrogé: comment est-il possible qu’un homme n’appartenant en aucune façon à la police et n’assistant à une opération du maintien de l’ordre qu’en tant qu’observateur ait porté un casque à visière, et même un brassard « Police »? Une photo montrant la voiture de fonction d’Alexandre Benalla dans un parking et que BFMTV a pu se procurer ce jeudi soir prolonge la polémique. Sur le cliché, on distingue en effet des dispositifs lumineux en principe réservés à l’usage de la police à l’intérieur de l’habitacle de la Renault. Selon nos informations, le véhicule a été enlevé ce jeudi matin.
Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a annoncé saisir l’Inspection générale de la police nationale pour faire la lumière sur les conditions de la présence d’Alexandre Benalla auprès de la police le 1er mai, initialement comme « observateur », et son encadrement. Il s’agira par la même d’y voir plus clair sur les conditions d’accueil des observateurs extérieurs par les services de police. Le syndicat VIGI CGT Police a quant à lui déclaré porter plainte dans l’affaire Benalla pour « usurpation de fonction » et « usurpation de signe réservé à l’autorité publique »
BFMTV.com
La présidence Macron face à sa part d’ombre
L’affaire Benalla évoque un climat nauséabond de basse police et de cabinet privé au cœur de l’Élysée. Cette privatisation de la sécurité présidentielle, avec ses dérives barbouzardes, dévoile la part d’ombre du monarchisme macronien.
Voici donc deux collaborateurs de la présidence de la République, Alexandre Benalla et son acolyte Vincent Crase, surpris dans leurs méfaits : faux policiers mais vrais cogneurs de manifestants. Il n’est pas exclu que ces irréguliers abrités par l’Élysée soient plus nombreux, comme le suggère l’énigme d’un troisième homme, Philippe Mizerski, également présent le 1er mai. Il n’est pas exclu non plus que leurs méfaits soient eux aussi plus nombreux, comme le montrent leur aisance à s’imposer aux forces de police sur le terrain, leur capacité de faire interpeller les manifestants victimes de leurs coups (lire là nos révélations) et leurs relais au sein de la préfecture de police pour obtenir des informations.
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LREM a fini par céder aux demandes de l’opposition : la commission des Lois de l’Assemblée nationale s’est dotée pour un mois des pouvoirs d’une commission d’enquête. Plusieurs personnes, dont le ministre de l’Intérieur, vont être auditionnées.
L’affaire Benalla, du nom du collaborateur d’Emmanuel Macron qui a frappé un jeune homme en marge de la manifestation du 1er mai, vient s’immiscer dans l’hémicycle. Comme le réclamait l’opposition, les membres de la commission des Lois de l’Assemblée nationale ont voté à l’unanimité dans la soirée du 19 juillet pour se doter des prérogatives d’une commission d’enquête.
Yaël Braun-Pivet (LREM), présidente de la commission des Lois, sera co-rapporteur de ses travaux en compagnie du député LR Guillaume Larrivé, auxquels sera associé le bureau de la commission. Conférés pour un mois, les pouvoirs d’enquête porteront sur les événements survenus à l’occasion de la manifestation du 1er mai.
L’objectif est notamment d’entendre le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb et ce très rapidement, dès le 23 ou le 24 juillet, selon une source parlementaire citée par l’AFP. Les auditions, dont le programme sera fixé dans la journée du 20 juillet par le bureau de la commission, se tiendront sauf exceptions à huis clos.
Pression de l’opposition
LREM a dans un premier temps opposé une fin de non recevoir aux demandes de commission d’enquête formulées par l’opposition, mais la majorité présidentielle a fini par céder sous une pression qui n’a fait que s’accroître au fil de la journée et des révélations. La décision a finalement été prise sur proposition du président de l’Assemblée nationale et en accord avec les présidents de l’ensemble des groupes à l’issue d’une réunion convoquée en urgence.
«La commission des Lois pourra procéder à des auditions dans les prochains jours, sans tarder», a confirmé le président de l’Assemblée François de Rugy (LREM) à la presse. «Elle auditionnera sans doute dès demain», a pour sa part soutenu le député Philippe Gosselin (LR) sur Twitter, y voyant «un premier pas».
Richard Ferrand, patron des députés LREM et proche d’Emmanuel Macron, veut de son côté croire que «toute la lumière sera faite sur ces faits qui nous ont choqués». Le président du groupe LR, Christian Jacob, a salué «une bonne décision», dénonçant notamment le fait que les services de police aient été «infiltrés par des gens qui n’ont rien à y faire».
Le leader Insoumis Jean-Luc Mélenchon souhaite quant à lui que les députés déposent une motion de censure du gouvernement, qui nécessiterait 58 signatures, afin de contraindre le gouvernement à venir s’expliquer sur l’affaire.