Remise en cause de la Cei par l’Union africaine/ Geoffroy-Julien Kouao : « Cet arrêt a une valeur obligatoire et exécutoire »
« Abidjan est dans une posture inconfortable »
L’analyste Geoffroy-Julien Kouao craint que l’arrêt de la Cour de l’Union africaine n’impacte le déroulement des législatives du 18 décembre 2016 en préparation (Photo d’archives)
48h après l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’Homme saisie par l’Association pour la protection des droits de l’Homme (Apdh) sur la crédibilité de la Commission électorale indépendante (Cei) en Côte d’Ivoire, nous avons joint le juriste et analyste politique Geoffroy-Julien Kouao, qui décrypte cette décision.
Geoffroy-julien Kouao, la Cour africaine des droits de l’Homme a rendu vendredi, un verdict suite à une saisine de l’Apdh en mars 2016. Dans sa décision, cette Cour remet en cause la Commission électorale indépendante, qu’elle trouve « non conforme aux instruments internationaux ». Elle souligne que la Cei, dans sa composition actuelle, n’est « pas démocratique et indépendante » et ordonne de modifier la loi 2014-335 du 18 juin 2014 relative à cet organe. Quelles sont les implications d’une telle décision ?
– Comme toute décision de justice, l’arrêt de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme a une valeur obligatoire et exécutoire. Cet arrêt s’impose à la Côte d’Ivoire. Mais, au-delà de sa portée juridique, la décision de la haute juridiction africaine a une grande portée politique. C’est une véritable gifle politique adressée aux autorités ivoiriennes quand on sait le rôle plus qu’important de la Cei dans le corpus institutionnel ivoirien.
Ce verdict peut-il remettre en cause les scrutins organisés par cette Cei, notamment le référendum du 30 octobre 2016 et la présidentielle d’octobre 2015 ?
– Je ne le pense pas. Même si la décision de la Cour africaine peut laisser le supposer. Cette décision est moins une remise en cause des actes posés par la Cei qu’une invitation à une redéfinition de l’organisation, de la composition et du fonctionnement de l’institution chargée des élections en Côte d’Ivoire. Avant cette décision judiciaire, la doctrine ivoirienne (les intellectuels, les juristes, les politistes) avait dénoncé la composition de la Cei et critiqué le lien ombilical qui la lie à l’Exécutif de par son statut de structure administrative autonome.
Quid des élections législatives du 18 décembre prochain ?
– Votre question est pertinente. Mais, la réponse est malaisée. Si la Cei, comme le soutient la Cour africaine, ne respecte pas les règles de bonne gouvernance définies par les institutions sous-régionales et régionales, peut-elle valablement continuer d’exercer ses prérogatives sans avoir opéré les changements souhaités ? Quel crédit donner à une élection organisée par la Cei après que la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme, dans un arrêt, l’a déclarée non conforme aux valeurs démocratiques de bonne gouvernance ? La réponse va dépendre du rapport que les autorités ivoiriennes entretiennent avec la démocratie, d’une part, et de l’importance qu’elles accordent aux décisions des institutions internationales, d’autre part.
La Cour ordonne également que lui soit soumis un rapport sur l’exécution de sa décision dans un délai raisonnable qui ne doit pas excéder une année à partir de la date du prononcé de l’arrêt. Les décisions de cette Cour ont-elle une prépondérance sur les lois nationales ? Peuvent-elles s’imposer aux dirigeants ivoiriens ? Si oui, que va-t-il se passer dès maintenant ?
– Si la Côte d’Ivoire est partie au protocole de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme, et c’est le cas, alors les décisions de cette Cour s’imposent à elle. La Côte d’Ivoire ne peut pas évoquer éloquemment le principe de souveraineté dans l’espèce. Et je pense que le respect ou non, par Abidjan, de cette décision judiciaire africaine va beaucoup influencer sa politique vis-à-vis de la justice internationale, surtout avec la Cour pénale internationale.
La Côte d’Ivoire peut-elle remettre en cause la décision? Ou, quelles sont les optons qui s’offrent aux dirigeants ivoiriens?
– Selon le protocole de la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme, la Côte d’Ivoire peut introduire une demande de révision de la présente décision. Elle a six mois pour le faire. Encore faudrait-il qu’elle présente des faits nouveaux pertinents qui étaient ignorés au moment où la Cour rendait sa décision. Mais, avant même d’introduire cette demande en révision, le protocole l’oblige à d’abord exécuter la décision rendue. Comme on le voit, Abidjan est dans une posture inconfortable.
Propos recueillis par F.D.BONY, Linfodrome