Ce que Charles Blé Goudé n’a pas pu dire aux juges de la CPI

22 novembre 2018 à 17h05 | Par

La chambre d’accusation de la Cour pénale internationale (CPI) a refusé jeudi 22 novembre que Charles Blé Goudé s’exprime lors de la clôture de l’audience de non-lieu introduite par les avocats de l’ancien « général de la rue » et de Laurent Gbagbo. Jeune Afrique s’est procuré le discours qu’il comptait lire à cette occasion.

La CPI a notamment justifié cette décision prise jeudi 22 novembre lors de la clôture de l’audience de non-lieu du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé en expliquant qu’une telle déclaration aurait dû se faire sous serment.

En refusant que l’ancien ministre de la Jeunesse prenne la parole, la Cour a répondu favorablement à une requête de l’accusation. Le procureur avait estimé mercredi qu’une « déclaration orale sans serment » était « inappropriée au stade de la présentation actuelle de la défense et tendrait à prolonger la procédure ».

L’un des juges en désaccord

L’italien Cuno Tarfusser s’est dit surpris de la véhémence avec laquelle le procureur s’est opposé cette déclaration de Blé Goudé

La chambre d’accusation n’a cependant pas pris cette décision à l’unanimité. L’un des trois juges qui la compose, l’italien Cuno Tarfusser – qui la préside -, s’est déclaré favorable à ce que Charles Blé Goudé puisse s’exprimer. « S’adresser à son juge est un droit inaliénable », a-t-il déclaré.

Le juge a dénoncé « une violation d’un droit » de la défense et s’est dit « surpris de la véhémence avec laquelle le procureur s’oppose cette déclaration ». « Le procureur devrait plutôt se féliciter du fait qu’un accusé choisisse de présenter sa propre perspective des événements », a poursuivi Cuno Tartusser.

Ce n’est pas la première fois que ce dernier émet une opinion dissidente. Il s’était notamment positionné en faveur d’une libération provisoire de Laurent Gbagbo, mais avait été mis en minorité.

L’audience de non-lieu achevée, les juges de la chambre d’accusation vont désormais décider s’il estime que le procès doit se poursuivre. Quand rendront-ils leur décision ? Les avocats de la défense estiment qu’il faudra attendre le début de l’année 2019. Les parties pourront ensuite faire appel, ce qui retardera encore de quelques semaines le verdict final.

Le « général de la rue » voulait réclamer des preuves

ICC-CPI

Par quelle magie le procureur réussit-il à mettre des mots sur la pensée du président Gbagbo ?

Dans le discours qu’il comptait lire et que Jeune Afrique s’est procuré en exclusivité, celui qui fut surnommé le « général de la rue » conteste plusieurs affirmations de l’accusation.

« Selon le procureur, le président Gbagbo m’aurait nommé ministre pour que j’exerce une autorité sur les jeunes. Honorables juges, quand le procureur compte-t-il produire le moindre document qui atteste cette allégation ? À tout le moins, peut-il indiquer à votre chambre, de quand daterait sa rencontre avec le président Gbagbo ? Rencontre au cours de laquelle le président lui aurait peut être donné les raisons qui sous-tendraient ma nomination. Si non, par quelle magie le procureur réussit-il à mettre des mots sur la pensée du président Gbagbo ? », peut-on lire dans le texte que nous avons reçu.

L’ancien ministre s’en prend également à la représentante des victimes, Paolina Massida. « Pendant deux ans, je suis resté assis ici. Pendant deux ans, j’ai attendu en vain que la représentante des victimes produise des pièces probantes notamment un document audiovisuel, à tout le moins un ou des témoins pour soutenir ses accusations à mon encontre. Que nenni ! Pire, elle n’a même pas jugé nécessaire d’appeler de témoin à la barre lorsque votre chambre lui en a donné l’opportunité. Nous sommes plutôt restés dans les commentaires et les affirmations gratuites », écrit-il.

Le bombardement du marché d’Abobo

Arrêtons de classifier les Ivoiriens en gentils d’un côté, et en méchants de l’autre

Blé Goudé évoque ensuite le cas du bombardement du marché d’Abobo, le 17 mars 2011, un des quatre événements mis en avant par l’accusation. Ce bombardement au mortier avait entraîné la mort d’au moins 25 civils et fait une quarantaine de blessés. 

« Affirmer ici, à la face du monde, qu’un marché aurait été la cible d’un bombardement car uniquement fréquenté par les partisans d’Alassane Ouattara, c’est méconnaître la réalité sociologique en Côte d’Ivoire. (…) Les femmes qui vendent au marché sont de toutes les ethnies, écrit-il. Les clients qui y vont pour faire leurs achats sont aussi d’ethnies et de religions diverses. Il n’y a donc pas un jour spécial où les partisans de Gbagbo vont au marché et un autre jour réservé exclusivement aux partisans d’Alassane Ouattara. »

La question du « plan commun »

Poursuivi pour son rôle dans trois événements survenus lors de la crise postélectorale, contre cinq initialement, Blé Goudé s’attaque également au fond du dossier. Selon lui, si le procureur « peine à prouver » que lui et Laurent Gbagbo ont « conçu et mis en œuvre un plan commun à travers une politique systématique visant à exterminer des populations de manière ciblée et organisée », c’est « simplement parce qu’il est impossible d’apporter la preuve de ce qui n’a jamais existé. »

Et de conclure par un plaidoyer en faveur de sa libération : « Honorables juges, ma question de départ reste toujours sans réponse : qui a introduit la violence politique en Côte d’Ivoire ? Qui est le vrai responsable des violences à répétition à chaque scrutin électoral ?  Le président Gbagbo et moi-même, nous ne sommes plus en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années. Et pourtant, aux élections locales dernières, il y a encore eu des morts et de nombreuses violences. (…) Alors, honorables juges, je plaide à la suite de mes avocats pour que vous m’autorisiez à rentrer chez moi, auprès des 25 millions d’Ivoiriens, pour bâtir avec eux cette belle Côte d’Ivoire qui rassemble toutes ses filles et tous ses fils. Arrêtons de classifier les Ivoiriens en gentils d’un côté, et en méchants de l’autre côté. Mon pays est à la recherche de son équilibre social, aidons-le à panser ses plaies et à apaiser les esprits. »
JeuneAfrique.com

texte intégral, qui « fuite » sur la toile. Ce que CBG aurait dit.

Honorables juges, merci de m’avoir donné la parole ! Merci pour la conduite de ce procès sensible qui suscite tant d’attention et de passion. Merci surtout de votre patience!
A toute mon équipe de défense, elle a travaillé et elle a bien travaillé. Je voudrais ici lui exprimer mon infinie gratitude et toute mon admiration.

Honorables juges, J’ai quelques observations à faire.
Selon le procureur, le Président Gbagbo m’aurait nommé Ministre pour que j’exerce une autorité sur les jeunes. Honorables juges, quand le procureur compte-t-il produire le moindre document qui atteste cette allégation? A tout le moins, peut-il indiquer à votre chambre, de quand daterait sa rencontre avec le Président Gbagbo ? Rencontre au cours de laquelle le Président lui aurait peut être donné les raisons qui sous-tendraient ma nomination. Si non, par quelle magie le procureur réussit-il à mettre des mots sur la pensée du Président Gbagbo ?
Voyez-vous, honorables juges, des allégations semblables à un nénufar juridique singulièrement constitué d’affirmations gratuites, interprétations, impressions, suppositions, supputations, approximation et déductions qui pourtant contrastent violemment avec la vérité et la réalité, voilà ce dont l’accusation et la représentante des victimes usent depuis plusieurs années pour me dépeindre comme un criminel devant votre auguste chambre. Je m’explique

Le 29 septembre 2014 à l’audience de confirmation des charges, la représentante des victimes, sans la moindre preuve, a déclaré ici, Pour ne pas édulcorer ses propos, je vais la citer. T5 pp23-24, L1-L6 « il les invite à trouver et à chasser tout étranger du territoire ivoirien. Les 4 millions de Burkinabés, Ghanéens, maliens qui depuis plusieurs générations vivent et travaillent en Côte d’Ivoire sont assimilés à l’étranger, tout comme les ivoiriens du nord qui portent les noms identiques, ne sont pas des ivoiriens.ils sont l’étranger qui usurpe leur terre, occupe leurs postes de travail, et qui maintenant essaie même de conquérir le pouvoir politique. » Fin de citation
Le 02 octobre 2014 dans cette même salle, j’ai demandé si les déclarations de Madame Massida étaient des commentaires propres à elle, dans ce cas, ses commentaires n’engageraient qu’elle et seulement elle. A contrario, si ses déclarations sont une citation de mes discours, je lui serais très reconnaissant d’indiquer à votre chambre, quand et où j’aurais tenu de tels propos. Pendant deux ans, je suis resté assis ici, Pendant deux ans, j’ai attendu en vain que la représentante des victimes produise des pièces probantes notamment un document audiovisuel, à tout le moins un ou des témoins pour soutenir ses accusations à mon encontre. Que nenni ! Pire, elle n’a même pas jugé nécessaire d’appeler de témoin à la barre lorsque votre chambre lui en a donné l’opportunité. Nous sommes plutôt restés dans les commentaires et les affirmations gratuites.
Honorables juges, j’ai tenu à faire cette observation d’autant que le 03 Octobre 2018 dernier, Madame Massida est encore et encore revenue sur le même récit selon lequel en Côte d’ivoire, des personnes auraient été la cible de tueries massives sur mon ordre selon leur appartenance ethnique, religieuse et politique, toujours sans la moindre preuve. Avec un tel récit, il me plait de rappeler que de par son histoire, mon pays la côte d’ivoire est un melting pot, un pays de brassage de plus de soixante ethnies, un pays dans lequel cette théorie d’antagonisme passepartout soutenue par des paradigmes d’opposition nord/sud, ne saurait prospérer. Dans mon pays, il n’y a pas de nord musulman opposé à un sud chrétien. Dans mon pays, au nord il y a des églises comme au sud il y a aussi des mosquées. Dans le quartier administratif du plateau, au cœur d’Abidjan situé au sud, se trouve la plus grande mosquée de l’Afrique de l’Ouest. Chrétiens et musulmans vivent en harmonie. (Saluer Diaby, Awa, Mariam, Saraka). KKB, est du PDCI, il est baoulé, mais depuis l’université, c’est mon ami. C’est avec lui, que nous avons fait cesser les violences relatives aux audiences foraines en 2006. Alors, de quoi parle Madame Massida ? Mieux, née dans mon village à Kpogrobré dans la s/p de Guibéroua, Valentine Tchiemtolé, une jeune fille du Burkina-Faso, vivait chez moi à Yopougon, dans ma maison. Elle était comme ma sœur, elle est ma sœur. Je n’ai pas fini. Au sein de mon cabinet de communication leaders team Associated, j’avais aussi trouvé un emploi à Gobou Victor, un jeune burkinabé qui travaillait avec moi. Alors, au lieu d’aller chercher les ressortissants de la CEDEAO ailleurs pour les faire chasser ou les tuer comme le prétend le récit de Madame Massida, j’aurais pu facilement commencer d’abord par tuer Valentine Tchiemtolé et Gobou Victor qui étaient chez moi. Voyez-vous, honorables juges, les clichés qui m’ont devancé ici ne correspondent pas du tout à la réalité ivoirienne.

Affirmer ici, à la face du monde qu’un marché aurait été la cible d’un bombardement car uniquement fréquenté par les partisans d’Alassane Ouattara, c’est méconnaitre la réalité sociologique en Côte d’ivoire. Je suis curieux de pouvoir découvrir un tel marché unique en son genre dans le monde. Madame et messieurs les juges, dois-je rappeler que par définition, le marché est un lieu d’échanges où se rencontrent des personnes de toutes catégories qui partagent deux objectifs : vendre, acheter. En côte d’ivoire par exemple, les femmes qui vendent au marché sont de toutes les ethnies. Elles sont des femmes Gouro, des femmes bété, des femmes Dioula, des femmes Ebrié, des femmes baoulé, pour ne citer que celles là. Les clients qui y vont pour faire leurs achats sont aussi d’ethnies et de religions diverses. Il n’y a donc pas un jour spécial où les partisans de Gbagbo vont au marché et un autre jour réservé exclusivement aux partisans d’Alassane Ouattara.

Honorables juges, le pays que l’accusation et la représentante des victimes tentent de présenter devant votre chambre n’est pas du tout cette belle Côte d’ivoire, ce beau pays multiethnique qui m’a vu naitre et dans lequel moi j’ai grandi. Heureusement que 82 témoins sont passés par ici pour vous donner une idée de ce qu’est la Côte d’Ivoire et de ce qui s’y est passé. Oui ou non, le président Gbagbo et Charles Blé Goudé ont-ils conçu et mis en œuvre un plan commun à travers une politique systématique visant à exterminer des populations de manière ciblée et organisée ? Voilà ce que le procureur peine à prouver et à faire admettre à votre chambre depuis maintenant sept ans pour le président Gbagbo et bientôt cinq ans pour moi, simplement parce qu’il est impossible d’apporter la preuve de ce qui n’a jamais existé. Dans une vaine tentative de sauver son dossier d’un naufrage juridique certain, le procureur essaie de s’accrocher à tout et à rien en vous demandant par exemple de prendre comme une preuve d’appel à la violence, la manière dont je porte ma casquette. Même un appel où je demande à la population de fléchir genoux pour prier et d’être solidaire, est considéré par le procureur comme une preuve d’appel à commettre des crimes. Il va jusqu’à demander à votre chambre de me condamner parce qu’en 2011 j’aurais demandé aux jeunes ivoiriens pourquoi ils cherchent des kalachnikovs, des machettes, des cailloux alors qu’ils ont l’Eternel des armées avec eux. Je voudrais à toutes fins utiles préciser que je ne suis pas un illuminé, mais je crois en Dieu, car le secours me vient toujours de l’Eternel. Et puis, en quoi l’expression « l’Eternel des armées », expression biblique, est-elle constitutive de crime contre l’humanité ? Honorables juges, selon l’accusation au cours de la crise jamais je n’ai appelé à la cessation des violences, c’est pourquoi la côte d’ivoire se serait embrasée. Cette vidéo que nous allons maintenant visionner prouvera à votre chambre le contraire des allégations du procureur.
(Vidéo CIV OTP 0019-0290 France 24)
Nous pensons qu’il faut le dialogue. Nous avons toujours pensé qu’il faut le dialogue et non la force militaire qui mettrait des vies humaines en danger. Honorables juges, voilà ce que le procureur vous cache. Vous venez de m’entendre vous-même ; c’était en pleine crise post-électorale, période qui couvre les faits incriminés. C’était en direct sur une chaine internationale, France24. Mais l’accusation tient tellement à me faire passer pour ce que je ne suis pas, qu’elle refuse d’entendre ce que je dis. L’accusation préfère se livrer à une reproduction et à une répétition systématique des thèses de nos adversaires politiques, qui se réjouissent de nous voir le plus longtemps possible loin de notre pays. Mais moi, j’ai confiance en votre chambre.

Mon appel
Honorables juges, ma question de départ reste toujours sans réponse : Qui a introduit la violence politique en Côte d’Ivoire ? Qui est le vrai responsable des violences à répétition à chaque scrutin électoral en Côte d’ivoire? La CPI ne laisse-t-elle pas l’épervier en liberté pour emprisonner la mère poule qui pourtant a perdu ses poussins ? Car, voyez-vous honorables juges, le Président Gbagbo et moi, nous ne sommes plus en Côte d’ivoire depuis plusieurs années. Et pourtant, aux élections locales dernières en Côte d’ivoire, il y a encore eu des morts et des nombreuses violences. Alors, réclamons les dents de la panthère à celui qui a consommé la tête. Les sages n’ont donc pas tort de d’enseigner que l’ennemi du mensonge, c’est le temps, et que ce qui n’est pas vrai ne résiste jamais au temps.
Alors, honorables juges, je plaide à la suite de mes avocats pour que vous m’autorisiez à rentrer chez moi, auprès des 25 millions d’ivoiriens pour bâtir avec eux cette belle Côte d’ivoire qui rassemble toutes ses filles et tous ses fils. Arrêtons de classifier les ivoiriens en gentils d’un côté, et en méchants de l’autre côté. Mon pays est à la recherche de son équilibre social, aidons-le à panser ses plaies et à apaiser les esprits.
Madame et messieurs les juges, c’est avec cette demande et sur cette note d’espoir que je voudrais conclure mon propos.
Je vous remercie.
Que Dieu vous inspire.
Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire