Hommage au professeur Raymond Abouo N’dori
Au delà des questions qu’inspirent la vie sur notre terre si généreuse et si nourricière mais en même temps si gloutonne et si insatiable à engloutir ses propres enfants, je demeure encore sous le choc de la disparition de ce grand homme, si juste et si bon, prompt à défendre ses convictions sans complaisance. Les conditions dans lesquelles, à travers les réseaux sociaux, j’ai appris cette brutale disparition, en ajoutent à ma choquante peine.
Comme une piqûre de rappel de la suprématie de sa volonté, Dieu nous ramène parfois à la classique et pathétique histoire du cordonnier mal chaussé, en se servant, ici, de l’éminent professeur agrégé de cardiologie ayant formé tant de promotions de brillants médecins et remis en route tant de cœurs, avant de se laisser surprendre par le sien.
Mes relations avec le ministre Raymond Abouo N’dori constituent une page à part dans ma petite encyclopédie des leçons de vie car elles ont changé radicalement ma perception de l’amitié fraternelle. Avant lui, j’étais persuadé que seules les amitiés d’enfance avaient une valeur sacrée et pouvaient constituer un gage de confiance totale. À lui seul, il a réorienté cette perception, montrant qu’une amitié peut se sacraliser par sa qualité et non par sa durée.
Si notre affection réciproque est née au gouvernement, elle a grandi en dehors de la sphère politique. Alors que j’étais ministre au titre d’une alliance de mon parti d’alors, avec le Fpi, cet aîné si juste, m’avait offert une sorte de soutien face aux machines politiques, marquées d’un esprit de clan. Comme s’il avait lu, je ne sais où, le poids de la sincérité de mon engagement hélas confronté à ma seule technicité qui ne savait guère ruser.
Certes jeune cadre, j’étais déjà membre d’une cellule de prières avec sa fille, dans l’ignorance totale de la filiation de cette dernière avec ce cardiologue de renommée internationale, preuve d’une humilité propre à toute la famille.
A l’avènement de la crise qui me conduisit en exil le 15 avril 2011, son épouse et lui avaient accueilli toute ma famille, lui assurant gîte et couvert pendant plus de 6 mois en attendant de rendre habitable la maison sauvagement pillée. Durant cette longue période, cette touchante et salvatrice invitation fut vécue de façon harmonieuse, la petite Kweety – 9 ans à l’époque – ayant trouvé un vrai père… voire un affectueux grand père qu’elle n’avait de cesse de taquiner.
Quand mon frère de père décède en 2013, le professeur et son épouse Jacqueline sont encore là, pour me remplacer dans mes devoirs. Son épouse Jacqueline ira jusqu’à se rendre à Guitrozon pour les obsèques, au prix de deux nuits à la belle étoile, dans une région marquée par l’insécurité, à l’époque.
Sans doute parce que ce qui nous a uni a été constamment plus fort que ce qui pouvait nous diviser, les parenthèses de divergence de nos approches stratégiques et tactiques face à ce que l’Union Européenne appelle à présent l’autocratie , n’ont guère écorché notre symphonie fraternelle.
Mon aîné Raymond Abouo N’dori part avec son élégance vestimentaire et son attachement à la bonne rédaction des communications en conseil des ministres. Ce scientifique de haut vol, était le grammairien du gouvernement, renvoyant parfois certains collègues à leur copie.
Scientifique rigoureux au point de paraître contestataire, l’homme était juste, simple, bon et chaleureux.
Mes sincères condoléances à son épouse Jacqueline, à ses enfants, à ses grandes familles biologique et politique.
Mon adieu exploré à mon aîné et à l’artiste. L’artiste et l’artisan du cœur qu’il a mille fois dompté avant de se laisser vaincre par lui.
L’artiste du fou rire amical.
Merci pour ces moments.
Eric Kahe
quelques photos de la cérémonie:
Obsèques du VP Abouo N’dori.
Messe de requiem à la cathédrale Saint Jean-Marie Vianney d’Agboville, ce samedi 20 octobre.