«La déclaration de M. Ouattara n’a aucune valeur juridique»
Geoffroy-Julien Kouao est juriste, écrivain et analyste politique ivoirien. Auteur de plusieurs ouvrages dont «Cours de droit constitutionnel et institutions politiques» et «Côte d’ivoire : La troisième république est mal partie», il a accepté, après la dernière sortie du chef de l’Etat Ouattara, de se prononcer sur la fièvre qui s’est emparée du microcosme politique ivoirien en faisant confiance aux Institutions républicaines.
Comme avant la présidentielle de 2010 et 2015, la candidature d’Alassane Ouattara est encore et toujours au centre de la polémique. Comprenez-vous la passion qui s’empare du microcosme politique ivoirien?
– Cette passion s’explique doublement. D’abord M. Ouattara est le président de la république en exercice, donc toutes ses déclarations, ses gestes ont un sens politique. Ensuite, l’élection présidentielle est l’événement politique majeur de notre vie républicaine.
La Côte d’Ivoire s’est dotée en novembre 2016 d’une nouvelle constitution qui reconduit la disposition relative à la limitation du mandat présidentiel à deux. Ouattara peut-il, après deux mandats sous l’empire de la défunte constitution (2011-2015 et 2015-2020), briguer un autre mandat en 2020?
– Selon M. Ouattara, oui. Mais sa déclaration publiée par votre confrère Jeune Afrique, est une déclaration politique qui n’a aucune valeur juridique. Selon le droit positif ivoirien, seul le Conseil constitutionnel est compétant pour dire qui est éligible à l’élection présidentielle. Cependant, M. Ouattara est un citoyen ivoirien comme les 23 millions d’Ivoiriens, il peut donc émettre des souhaits, des intentions, c’est légitime. Même un enfant de 2 ans peut dire qu’il peut être candidat en 2020, mais c’est au Conseil constitutionnel que revient la décision finale.
Pourquoi alors que Pr Ouraga Obou, président du comité des experts qui a produit le projet de nouvelle constitution, et Cissé Ibrahima dit Bacongo, membre de ce comité et conseiller aux Affaires juridiques de Ouattara, ont déclaré le contraire, le chef de l’État acte-t-il une nouvelle candidature en 2020 puisque l’intention vaut l’acte?
– Non, en droit, l’intention ne vaut acte. ET MM. Ouraga Obou et Cissé Bacongo n’ont aucune compétence pour dire qui sera candidat ou qui ne sera pas à l’élection présidentielle de 2020. Constitutionnellement, seul le Conseil constitutionnel a cette compétence.
Ne faut-il pas craindre, face aux appétits du pouvoir, de nouvelles menaces sur la paix quand le chef de l’État lui-même fait un chantage à la stabilité du pays?
– Non, n’exagérons pas, le chef de l’Etat ne fait pas de chantage. Il dit simplement que sa candidature dépendra de la situation sociale du pays. C’est sa lecture des choses mais, nous sommes dans une république où seule la volonté générale, exprimée par la loi, s’impose. En 2020, c’est la volonté générale qui s’imposera et non celle d’un individu fut-il président de la République.
Savez-vous pourquoi la communauté internationale, d’ordinaire remontée contre les chefs d’État africains qui tentent de s’éterniser au pouvoir, se montre complaisante et clémente avec Ouattara?
– Jusqu’à preuve du contraire, M. Ouattara n’a pas dit qu’il veut s’éterniser au pouvoir. Si par extraordinaire, en 2020, sa candidature était rejetée par le Conseil constitutionnel et qu’il refusait de respecter la décision juridictionnelle, ou si par extraordinaire, candidat, il perdait les élections et qu’il refusait de reconnaître sa défaite, alors nous pourrions dire que M. Ouattara veut s’accrocher au pouvoir. Et alors il sera traité comme tout individu en conflit avec la démocratie.
La garde rapprochée de Kakou Guikahué, secrétaire exécutif en chef du PDCI-RDA, a été relevée et des allégations font état de l’attaque de sa résidence. Y a-t-il un lien de causalité. quand on sait qu’il défend la candidature d’un militant de son parti contre le projet de Ouattara?
– Je ne peux répondre aisément à cette question puisque je n’ai pas tous les éléments qui permettent une analyse objective. Seulement M. Guikahué est un citoyen ivoirien, donc libre de donner son opinion sur toutes les questions relatives à l’actualité politique nationale.
Les relations entre le PDCI, ancien parti unique, et le RDR, part sorti de ses entrailles, se dégradent au fur et à mesure que 2020 approche. Au-delà de l’écume, n’y a-t-il pas de part et d’autre une volonté de puissance?
– La volonté de puissance politique, dans une démocratie, est déterminée par les résultats électoraux. Or les deux formations politiques sont allées à des élections en RHDP et comptent le faire pour les élections locales. Ce qui divise la coalition au pouvoir, c’est la présidentielle. Ce qui gêne, c’est la terminologie usitée. Le PDCI souhaite une alternance. Laquelle ? L’alternance suppose qu’une autre coalition ou formation politique prenne le pouvoir en 2020. Souvent le PDCI s’exprime comme s’il était dans l’opposition. Non le PDCI est comptable de la gestion du pouvoir d’Etat depuis 2011.
La plate-forme du RHDP précise clairement qu’au premier tour de la présidentielle, comme ce fut le cas le 31 octobre 2010, chaque parti présente librement un candidat. Qui a donc peur de la compétition en interne pour que la candidature unique au nom de la coalition devienne l’objectif à atteindre?
– Je ne sais pas qui a peur de qui. Mais dans une démocratie, les primaires devraient départager les différentes tendances de la coalition.
Pourquoi Ouattara se bétonne-t-il, comme un boulanger, dans le double langage pour enfariner adversaires et partenaires?
– Le propre de tous les hommes et femmes politiques est de dire une chose aujourd’hui et son contraire le lendemain, M. Ouattara n’est pas seul dans cette posture qui abîme le discours politique.
La probable candidature d’Alassane Ouattara ne pourrait-elle pas susciter celle de Konan Bédié quand on sait que ruminant sa colère d’avoir été spolié, selon lui, de 600 mille voix en 2010, il pourrait vouloir prendre sa revanche dans un autre duel avec son allié?
– Je ne pense pas que les décisions politiques de M. Bédié sont tributaires des agissements de M. Ouattara. M. Bédié est un citoyen ivoirien; il lui est loisible de vouloir briguer la magistrature suprême. Et comme je l’ai dit plus haut, le Conseil constitutionnel appréciera.
Alassane Ouattara ne demeure-t-il pas la quadrature du cercle depuis son entrée sur la scène politique ivoirienne?
– Ouattara est une figure majeure de la politique nationale comme le sont également MM. Bédié et Gbagbo. Ces trois personnalités politiques sont comptables des avancées et des régressions de la vie politique nationales depuis 1990.
Vous avez publié un essai politique intitulé: « Côte d’Ivoire, la IIIè République est mal partie ». Est-ce prémonitoire?
– Je suis un intellectuel, constitutionnaliste, pour être précis. J’ai émis des réserves sur la forme et le fond de la nouvelle constitution. Comme dans tous les Etats passablement démocratiques, personne n’écoute les intellectuels. J’ai bien peur que les événements à venir me donnent raison.
Interview réalisée par Internet par