Boycottage: Le couteau à double tranchant de Sangaré
J’y suis, j’y reste. Le FPI-tendance Sangaré et la coalition EDS qu’il dirige sont restés fidèles à leur logique: le boycott des activités électorales du régime Ouattara. Mais les grincements de dents montrent clairement que cette stratégie commence à faire long feu. Une fissure s’est créée. Ce ne sont plus tous les militants ou sympathisants qui comprennent l’appel au boycott lancé le 25 mai 2018 par Georges-Armand Ouégnin, président de la coalition Ensemble pour la souveraineté et la démocratie (EDS, alliance politique menée par le FPI-tendance Sangaré Abou Drahamane).
«Nous appelons tous les Ivoiriens épris de paix, de justice, de liberté et de démocratie, à s’abstenir de prendre part de quelle que manière que ce soit, à ces opérations d’enrôlement (révision de la liste électorale du 18 au 24 juin 2018) à laquelle une Institution illégale et illégitime (la CEI) les appelle», a-t-il déclaré.
C’est la première fois que des voix s’élèvent ouvertement pour boycotter ce mot d’ordre de boycott. Après avoir suivi à la lettre ces instructions, des militants et partisans refusent désormais d’être des moutons de Panurge, sans bilan des actes posés et des leçons à en tirer.
Depuis l’arrestation, le 11 avril 2011, et la déportation, le 30 novembre de la même année, de Laurent Gbagbo à la prison de Scheveningen, à La Haye, les responsables du FPI n’ont qu’un seul mot d’ordre politique: le boycott. A toutes les sauces et dans tous les ingrédients, en tout temps et en tout lieu, c’est l’interdiction absolue de participer aux activités électorales entreprises par le pouvoir d’Alassane Ouattara.
Des dirigeants frappés d’illégalité.
Au début, c’était au nom d’une question préjudicielle: la libération de Laurent Gbagbo. Les législatives de décembre 2011, le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2014), les audiences foraines, le recensement général et la présidentielle de 2015 ont été zappés.
Aujourd’hui, la condition sine qua non est la reforme de la Commission électorale indépendante (CEI) et particulièrement le départ de Youssouf Bakayoko, son président. C’est désormais un préalable non négociable/
Successeur de Robert Beugré Mambé, débarqué en janvier 2010 car accusé d’avoir effectué, en interne, un croisement parallèle portant sur 429.030 pétitionnaires non habilités à être sur la liste électorale blanche, c’est-à-dire définitive, Youssouf Bakayoko a été reconduit le 6 septembre 2014 à la tête de l’Institution.
Il est certainement disqualifié et hors la loi. Non seulement cet acteur majeur de la crise post-électorale de 2010 aurait dû, comme Paul Yao N’Dré, ex-président du Conseil constitutionnel, rendre volontairement ou pas le tablier et raser les murs, mais son mandat est censé être unique et non renouvelable.
Cette CEI, comme l’a affirmé, le 22 mai 2018, Pascal Affi N’Guessan, président de l’autre tendance du FPI, pour boycotter sa séance de travail relative à la révision de la liste électorale (RLE), est «illégale et illégitime».
Mais il y a plus grave. La Résolution 2062 du 26 juillet 2012 du Conseil de Sécurité de l’ONU et l’arrêt de la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en date du 18 novembre 2016 disent aux Ivoiriens qu’au-delà de cette CEI contestée, les dirigeants (chef de l’Etat, députés, maires, sénateurs, présidents de conseils régionaux) issus des élections, nulles et de nul effet, organisées par cette Instance forclose sont aussi frappés d’illégitimité et d’illégalité.
Saine appréciation des réalités.
Pourtant chacun de nous le voit: Alassane Ouattara, revendiquant la souveraineté de l’Etat ivoirien et son carnet d’adresses, n’a cure de ces textes dont il se torche. Il est peinard et veinard. Tout baigne pour lui dans l’huile.
Et s’il n’est mis en quarantaine par aucune institution mondiale pour ses manquements démocratiques, personne ne le rappelle à l’ordre. Au contraire, il est reçu par lesdits grands de ce monde qui le félicitent, et il accueille nombreux chefs d’Etat africains et des décideurs comme Michel Camdessus, son ancien patron au FMI. Tout se passe comme dans le meilleur des mondes.
De ce fait, la politique, et la leçon ne date pas d’aujourd’hui, devrait être la saine appréciation des réalités du moment. Sans état d’âme. Dans le rapport des forces, l’Opposition ivoirienne, apparemment dépourvue d’entregent, mène le combat du pot de fer contre le pot de fer, surtout que, depuis la perte du pouvoir en 2011, elle ne dispose ou n’envisage aucun autre plan, en dehors des quelques marches gazées, conférences de presse et du boycott, pour faire plier Goliath.
C’est sans doute pourquoi, après avoir crié son ras-le-bol et menacé, dans l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique du 19 février 2018, d’«attaquer les résolutions prises par cette CEI illégale devant les instances internationales», Pascal Affi N’Guessan, qui compte un représentant au sein de cette Commission, a fait volte-face. Il demande maintenant aux Ivoiriens de participer massivement à la RLE.
C’est également pour cette unique raison de realpolitik que Laurent Gbagbo et Georges Djéni Kobinan, secrétaires généraux respectivement du FPI et du RDR et alliés dans le cadre du Front républicain, ont mis de l’eau dans leur vin en 1995.
«Ce qui est programmé pour le 22 octobre n’est pas une bataille électorale, c’est un piège. Le candidat du FPI ne veut pas y tomber. Le piège consiste à participer au couronnement de Bédié, à le légitimer. Nous ne pouvons pas jouer à ce jeu-là», expliquait Laurent Gbagbo.
Qui perd gagne.
Après avoir lancé le mot d’ordre de boycott actif de la présidentielle du 22 octobre qui a opposé Henri Konan Bédié du PDCI-RDA (96,16%) à Francis Wodié du PIT (3,84%), les leaders du Front républicain sont revenus sur leur décision sans avoir rien obtenu de leurs revendications (révision de la liste électorale, retrait du Code électoral, installation d’une Commission électorale neutre); ils ont levé, un mois plus tard, le mot d’ordre et leurs partis ont pris part aux législatives du 25 novembre 1995 et aux municipales de février 1996. En ayant des élus et en formant des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale.
Mais le père fondateur du FPI et ancien président de la République comparaît depuis le 28 février 2016 devant la Cour pénale internationale (CPI) et le curseur ne glisse plus en raison d’un blocage originel: le refus instinctif d’allégeance au nouveau chef d’Etat qui s’est engagé à «écraser» du FPI après sa prise violente du pouvoir et dont la légitimité n’a jamais été reconnue.
Cette position explique l’immobilisme et la cécité qui plombent les manœuvres. La stratégie électorale reste, depuis sept ans et de ce fait, sans vision et figée autour d’un seul mot d’ordre usé. Cette politique de la chaise vide est en train de devenir un jeu dangereux et un couteau à double tranchant parce qu’elle ressemble de plus en plus à une fuite en avant et un jet d’éponge.
Pendant qu’au nom de la politique du «qui perd gagne», les partisans de cette opération de désobéissance civile se félicitent du relatif succès de leur boycottage qui n’a aucun impact sur le régime ivoirien, Ouattara se frotte les mains. Il gagne le jackpot politique et demeure le seul maître à bord de la nation Ivoirien. Ad libitum. A sa guise et à volonté.