Le livre de Ruth : pour que vienne le Messie
POUR QUE LE MESSIE VIENNE...
Commentaire du livre de Ruth par le rabbin Léon Ashkénazi
Et que soit Ta Maison comme la Maison de Perets, que Tamar a enfanté à Juda.
(Ruth IV. 12).
Le livre de la Tora, Livre de la Loi selon le Créateur, commence par le récit généalogique des lignées humaines. C’est ainsi que la Tora se nomme elle-même : « Voici le livre des engendrements de l’homme ». (Gen. V 1 ). Tout ce qu’elle raconte des commencements, elle le nomme, à chaque temps, du nom de l’homme de ce temps : ceux de l’échec et ceux du surpassement ; ceux du renoncement, et ceux de la révolte et ceux de l’espérance ; ceux de la mort et ceux de la vie. Au long de son récit, se mesure l’infinie prodigalité de la patience de Dieu, dans le nombre innombrable des Noms de l’Homme. Chacun d’entre eux reçoit du même Dieu, en privilège d’engendrement, l’inaliénable pouvoir de faire de son propre fils, Celui pour qui Dieu — qu’il soit Béni — avait voulu créer le Monde.
Chacun des hommes, parce que fils de l’Homme premier, peut révéler à Dieu le visage d’un messie possible. Une seule de ces lignées cependant, celle que la Tora nomme Israël, décide que son Messie — qu’il vienne ! — soit tel que Dieu préfère qu’il soit. Lui et pas un autre, quelle qu’en soit la ressemblance, en proximité ou en approximation. Donnant sa liberté à la Loi, voulant ce que Dieu veut, et seul à oser l’entreprendre, c’est pour toutes les lignées humaines qu’Israël accepte, au Sinaï, d’avoir à engendrer le Messie vrai, et d’avoir à vivre les vraies souffrances de l’enfantement : celles-là même qui se racontent dans l’histoire de Naomi. Et c’est pourquoi, sans doute, c’est seulement pour Israël que le livre des engendrements — la Tora — a raconté la Révélation de la Loi : au Sinaï, comme dans l’enseignement répété par Moïse aux plaines de Moab.
Jusqu’au temps des Patriarches, où par Léa et Rachel fut enfanté Israël, c’est toute l’humanité qui attend le messie, dans la patience de Dieu. Mais depuis Abraham, Isaac et Jacob, Juda et ses frères, c’est Dieu qui attend dans la patience d’Israël. Et certes, l’on n’aurait jamais compris le secret de l’attente de Dieu, si le livre de Ruth ne nous en donnait l’étonnante et consolante — si consolante ! — explication.
En Israël, au temps où de nouveau l’on récolte les moissons, Boaz fils de Juda est là. Ce miracle, notre miracle, est permanent, car il est celui de la fidélité d’Israël à lui-même. Mais pour que Boaz soit aussi le père de David, il faut que vienne Ruth, ramenant avec elle — en grâce et charité — la promesse de retour des lignées de l’échec. Ce miracle là est le plus grand, parce qu’il n’est pas entre nos mains, et parce qu’il faut attendre que la fille de Moab soit transfigurée.
Qu’on se souvienne ! Moab est issu de la plus grande des désespérances, celle des filles de Loth. Loth, «frère » d’Abraham qui ne pût devenir Abraham ! Loth dans la maison de qui s’inventa la plus tragique des tentatives que l’homme puisse inventer, pour assurer le salut d’une humanité que l’on croyait perdue au temps du jugement de Sodome et de Gomorrhe !
Or, voici que le livre de Ruth, — Livre de la Loi selon la coutume d’Israël —, commence son récit aux plaines de Moab, à l’endroit même où la Tora interrompait le sien, et s’achève avec le nom de David. « Il est né un fils à Naomi ! » C’est le fils de Ruth, et c’est par lui que se prépare, à la quatorzième génération d’Abraham, la naissance de David. Comme pour la lune à l’apogée de sa lumière, et selon le rythme où se compte le temps d’Israël, apparaît — c’est le dernier mot du livre — le Nom du roi David. On ne s’étonnera pas de savoir que ce nom signifie : « le Bien-Aimé ». Il est cette manière d’être homme grâce à qui Dieu peut connaître sa louange vraie ; il est cette manière d’être roi où Dieu reconnaît sa véridique Royauté ; il est cette manière d’être Israël grâce à qui peut naître le Messie d’Israël.
Et maintenant, de notre temps, Juda est toujours vivant, et c’est lui, Israël. C’est Juda, le peuple des Juifs, qui est Israël ; et Boaz est de nouveau là où il doit être : à l’endroit, le seul endroit du monde, où la coutume des hommes est celle de la Loi de Dieu. Mais où donc est Ruth, et pourquoi a-t-elle tant tardé ?
Qu’elle vienne — Dieu le veuille — vite et de notre temps ! Qu’elle vienne, et qu’avec elle le Messie nous soit donné ! Il y a si longtemps qu’avec Juda pour Tamar la Cananéenne, et qu’avec Boaz pour Ruth la Moabite, nous avons dit : Amen !