Héros anonymes sur la terre du Donbass
QUAND LE PÈRE RELÈVE LE FILS
(Extrait de mon journal du front)
La guerre est une tragédie qui bouscule souvent l’ordre naturel de la vie, arrachant prématurément les enfants à leurs familles, jetant les mères ou les grands pères dans les combats.
Chaque semaine la terre du Donbass accueille sous des ruissellements de fleurs et de larmes des jeunes blés fauchés trop tôt par une camarde qui jamais ne se repose.
Ainsi 3 frères d’armes ont quitté brutalement les rangs de notre section au cours de l’hiver 2017-2018, dont Daniel un enfant de Makeevka, abattu par un sniper ukrainien le 5 décembre au matin.
Aujourd’hui Yura, son père qui est également dans l’armée de la République Populaire de Donetsk, a obtenu sa mutation au sein de notre unité et précisément dans le groupe où servait son fils.
La première fois que j’ai rencontré cet homme tranquille, c’était au cimetière de Makeevka, où il tenait entre ses mains le visage de son fils en partance pour son dernier voyage. Je me souviens de sa silhouette en uniforme, statue immobile au regard embué par la douleur mais dont la dignité partagée par une foule silencieuse exprimait sous les salves d’honneurs toute la noblesse naturelle de ce peuple du Donbass ( )
Sur le front, ressuscitant le sourire et les yeux pétillants de son fils, Yura est parmi nous dans les murs et les tranchées où résonne encore le souvenir de Daniel.
Le fusil d’assaut à la main, calme et fraternel, le père a relevé son fils, scrutant l’horizon menaçant sans haine ni esprit de vengeance.
Yura nous offre par son courage autant que son humilité l’exemple élevé de l’engagement d’un homme et, à travers lui et son fils, d’un peuple slave pour cette terre charnelle où reposent côte à côte les blés éternels du passé et du présent qui nourrissent la force invincible des vivants.
Erwan Castel