procès Gbagbo : La Cpi épinglée pour procédures illégales et mauvaise gouvernance
Le procès Gbagbo : La Cpi épinglée pour procédures illégales et mauvaise gouvernance
La Cour pénale internationale (CPI) est de nouveau pointée pour sa mauvaise gouvernance. Fin janvier, le tribunal de l’Organisation internationale du travail (OIT) a rendu six jugements dénonçant «l’illégalité» de procédures prises par le greffier, Herman von Hebel, dans le cadre d’une réforme initiée en 2014. Ces décisions tombent alors que la Cour s’apprête à élire son prochain greffier. Quatorze candidats sont en lice, dont le sortant, Herman von Hebel. Le Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail (OIT), instance de recours des salariés de la CPI, a rendu six décisions, le 24 janvier 2018, condamnant la Cour à des dommages matériels et moraux suite aux licenciements de plusieurs employés. Les juges de Genève estiment que la procédure de licenciement mise en place par le Greffier lors de la réforme ReVision, était en partie « sans fondement juridique, et partant, illégale ». Un paradoxe de taille pour une organisation qui emploie des centaines de juristes et se veut un modèle en matière de droit.
Pour la Cour, le coût n’est pas anodin : la facture s’élève à quelques 660 000 euros, auxquels s’ajoutent au moins 100 000 euros de dossiers, soit l’équivalent de six mois d’enquête du bureau du procureur au Mali (en 2017). Le montant pourrait s’avérer plus lourd encore, puisque sept autres affaires concernant cette réforme sont en attente sur le bureau de l’OIT. Chaque dossier coûtant au moins 17 000 euros à la Cour, quel qu’en soit le résultat, ils alourdissent déjà l’enveloppe de 120 000 euros supplémentaires. La réforme, pourtant, était appelée par tous. Depuis au moins 2009, l’Assemblée des Etats parties demandait à la Cour de réformer ses procédures, de « débureaucratiser » la machine. Plusieurs audits étaient réalisés dont l’un du Cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC). Peu après, en 2013, Herman von Hebel, ancien greffier au tribunal pour la Sierra Léone puis pour le Liban, était élu greffier de la CPI sur la base d’un projet devant permettre « d’optimiser les opérations du Greffe ». A l’époque, les Etats « espéraient que des économies budgétaires seraient réalisées », souligne l’auteur d’un audit du projet ReVision, réalisé à l’automne 2016. Le Greffe, placé sous l’autorité du président de la Cour, remplit de nombreuses fonctions, de coopération, de protection des témoins, de traduction, d’appui aux avocats et aux victimes, d’outreach et d’autres. A l’heure où les juges s’apprêtent à élire le futur greffier pour un mandat de 5 ans, les décisions de l’OIT et la contestation qu’ils suscitent, deviennent un véritable enjeu. Le sortant, Herman von Hebel, fait partie des quatorze candidats sélectionnés. Son mandat expire le 16 avril.
Des méthodes contestées
Dès janvier 2014, l’équipe de ReVision, nom donné à la réforme, démarrait ses travaux. Elle est alors composée de fonctionnaires de la Cour et de consultants extérieurs. Mais ces derniers sont embauchés « sans définition de leur rôle, sans publication d’une annonce de poste et sans procédure de sélection », lit-on dans le rapport de l’auditeur externe de la Cour. S’ils ont « une expérience dans la justice internationale », ajoutait-il, ils n’en ont pas dans l’audit, les finances et les ressources humaines. Herman von Hebel explique alors avoir été pressé par le temps, et voulu éviter… les lenteurs d’un appel d’offres. Sans surprise, l’auditeur rejette le curieux argument. Mais le mal était déjà fait : à la Cour, les suspicions vont alors bon train sur de supposées motivations du greffier, vite accusé de vouloir placer ses hommes, non seulement au sein de l’équipe ReVision mais aussi, aux futurs postes qui en découleraient. Un climat de défiance s’installe. D’autant qu’une fois dressé l’état des lieux, l’équipe de ReVision doit désormais s’attaquer au cœur du projet : rationaliser le Greffe. Pour modifier sa structure, l’équipe décide d’abolir 120 postes à la Cour et d’en créer autant. Les fonctionnaires concernés ont alors le choix entre un départ indemnisé et la possibilité de postuler sur les postes fraichement créés. Le rapport d’audit de 2016, réalisé par la Cour des comptes française, souligne que « si une douzaine de personnes devaient quitter la Cour en raison de leur maigre performance, cela aurait dû être fait autrement qu’à travers ReVision ». Il ajoute que « le transfert de postes aurait pu s’effectuer plus simplement, sans licenciement suivi d’un nouveau recrutement. »
Toujours est-il que sur les 120 employés, 53 resteront au Greffe et 67 décideront de partir, bénéficiant d’indemnités de départ habituelles augmentées de 50%, de trois mois de salaire, et du paiement du délai de préavis légal. En échange, ils assurent qu’ils ne feront pas appel. Mais la facture est lourde et dépasse les 5,3 millions d’euros. Aux allocations de départ des employés, s’ajoutent les émoluments de l’équipe ReVision, de plus d’un million d’euros.
Contestations de plusieurs juges
Dès 2014, et à plusieurs reprises depuis, plusieurs juges s’alertaient des méthodes initiées par le greffier. Ils formulaient aussi des doutes sur les motivations d’une telle procédure de licenciement puis d’embauche, et demandaient à la présidente de suspendre provisoirement l’exercice. Les jugements rendus par l’OIT fin janvier ont réactivé les contestations. Dans un courriel daté du 30 janvier, qui depuis, circule à la Cour, le juge Cuno Tarfusser reproche à la présidente, Silvia Fernandez de Gurmendi, d’avoir « systématiquement écarté et essayé de marginaliser » les juges qui ont alerté de l’illégalité du processus, ses modalités, ses coûts, et se sont interrogés sur sa valeur ajoutée. Il estime que « la bonne gouvernance soulève les questions de responsabilité ». Et interroge : « Qui prendra la responsabilité, administrative et économique, de ce qu’il s’est passé ? » L’italien, ex vice-président de la Cour (2012-2015), et candidat malheureux à la présidence en 2015, juge que le silence pourrait être interprété comme une façon « d’attendre tranquillement la fin de votre mandat et de partir sans avoir à rendre compte en laissant ce gâchis pour la future présidence ». Elue en novembre 2009, Silvia Fernandez de Gurmendi doit quitter la présidence de la Cour en mars. Interrogé sur les décisions de l’OIT par Justice Info, le Greffier écrit que la Cour « est lié par les arrêts » et « respecte pleinement et a toujours pleinement mis en œuvre les décisions prises ». Mais suite aux jugements de l’OIT, Herman von Hebel s’était adressé par email aux employés de la Cour, expliquant avoir demandé l’avis d’experts pour analyser les derniers jugements de l’OIT. Assez, pour s’attirer les foudres de l’italien, qui, en réponse, lui rappelle qu’un jugement doit être respecté, quel que soit le désaccord, avant de revenir sur le coût exorbitant de la réforme, et d’interroger : « Ne pensez-vous pas que c’est un gaspillage de l’argent public ? » Juge à la Cour depuis neuf ans, Cuno Tarfusser réclame pour finir la démission du néerlandais. « Dans une organisation bien gérée qui adhère aux principes de responsabilité, votre démission aurait été attendue », écrit-il. Le seul pan du projet ReVision sur lequel les juges ont dû véritablement se prononcer, parce qu’il nécessitait d’amender des règles internes, avait été retoqué par une partie des juges et abandonné. Herman von Hebel prévoyait de fondre dans un même bureau deux services dédiés à la défense. L’un administratif, et l’autre, le Bureau du Conseil public pour la Défense, chargé d’épauler les avocats sur des questions de fonds touchant à leurs dossiers. La même opération était prévue pour les services dédiés aux avocats des victimes. Le projet avait suscité de nombreuses protestations dont celle d’un ancien juge de la Cour, Adrian Fulford. Dans une tribune, publiée dans le Guardian en novembre 2014, le britannique avait dénoncé un projet touchant à l’équilibre institutionnel de la juridiction.
Bilan impossible
Difficile de tirer un bilan précis de la réforme. Les rapports budgétaires et les rapports d’audit donnent quelques indications. Ainsi en 2016, la Cour des comptes indiquait qu’en réorganisant les lignes hiérarchiques au sein du greffe, la réforme a permis au Greffier de « se concentrer sur le management stratégique de son administration » et non plus sur les questions d’intendance quotidienne. Mais l’auditeur reprochait néanmoins l’absence de lignes directrices concernant les méthodes de travail. Et surtout, il s’inquiétait du fait que le budget et les finances soient désormais divisés en deux sections, rendant difficile le suivi de trésorerie, pourtant essentiel. A ce jour, aucun audit supplémentaire, spécifique à cette question, n’a été conduit, comme ce fut le cas pour la nouvelle Division des opérations extérieures, en charge des bureaux installés dans les pays où la Cour enquête, comme en République démocratique du Congo, en Ouganda, au Mali, et ailleurs. Dans un rapport de novembre 2017, la Cour des comptes concluait que les principaux acteurs de la Cour donnent « une évaluation unanime et positive » de la création de cette nouvelle division. Si l’auditeur ne donnait pas un plein satisfecit, il estimait qu’en tout état de cause, la nouvelle structure était plus efficiente. La réforme a-t-elle permis des économies à la Cour ? A la demande du Comité du budget et des finances (CBF) de la Cour, Herman von Hebel expliquait, dans un document annexé au budget prévisionnel 2018, que « malheureusement, la masse salariale représentant 70 pour cent des coûts dans la plupart des services, les gains d’efficacité ne peuvent être le plus souvent obtenus qu’en optimisant l’utilisation du temps du personnel avec la même enveloppe budgétaire au titre des frais en personnel. » Il prenait pour exemple la réduction du nombre de réunions… Au final, le personnel de la Cour continue d’augmenter régulièrement. Depuis des années, le Comité budgétaire s’inquiète du poids salarial, y compris celui des retraites à venir, et demande à la Cour de faire la clarté sur les procédures internes d’évaluation du personnel, notant en substance que les promotions accordées ne seraient pas toujours justifiées. ReVision n’y changera rien.
Par Stéphanie Maupas (La Haye)
pris sur le tempsinfos.com