Fraternité Matin: Le plan de redressement en pleine de noyade
Le Gouvernement ivoirien a adopté, le 16 novembre 2017, un plan de redressement opérationnel, financier et social de la Société Nouvelle de Presse et d’Édition de Côte d’Ivoire (SNPECI, société éditrice du journal pro-gouvernemental Fraternité Matin). Plus de trois mois après, il est dans ses petits souliers. Ni calendrier, ni programme pour sauver le premier quotidien ivoirien vieux de 54 ans.
L’atmosphère est électrique à Fraternité Matin; le 5 décembre 2017, les quatre syndicats rassemblant tous les travailleurs, décriant une mauvaise gestion et un management désastreux, ont déterré la hache de guerre pour exiger le départ de Venance Kouassi Konan, le directeur général, et Saganogo Lamine, son adjoint chargé des Finances et de l’Administration.
Les deux responsables du groupe de presse sur la sellette sont, entre eux, à couteaux tirés. Ils ne s’adressent plus la parole, se rejetant la responsabilité de la banqueroute.
Le 16 novembre 2017, le Conseil des ministres a pris la pleine mesure de la situation financière catastrophique de Fraternité Matin:
un plan de redressement a été retenu pour éviter la faillite de l’entreprise dont le pronostic vital est engagé.
«Depuis plus d’une dizaine d’années, diagnostique le Gouvernement, la Société Nouvelle de Presse et d’Édition de Côte d’Ivoire (SNPECI) est confrontée à des difficultés d’ordre opérationnel et financier, qui se caractérisent globalement par une gestion opérationnelle peu efficace et de très fortes tensions de trésorerie.»
«Ces difficultés ont conduit à des pertes successives d’un montant cumulé d’environ 9,2 milliards de francs CFA au 31 décembre 2016», a-t-il poursuivi avant de proposer un plan de redressement de la société «articulé autour de deux axes principaux:
– Une gestion opérationnelle plus performante avec la restauration des capacités de production de l’entreprise et
– La restauration de sa situation financière, par le renforcement des fonds propres et l’injection de subventions d’exploitation.»
Le pouvoir ivoirien, adepte de la politique de l’autruche, a joué avec le feu. Le «Collectif des travailleurs « Sauvons FratMat » ou COSAF a tiré la sonnette d’alarme en avril 2014. Dans un mémorandum au vitriol posté sur sa page Facebook, il a stigmatisé la gestion de Venance Konan dans tous les compartiments de l’entreprise (la rédaction du journal, les finances, les ressources humaines, l’imprimerie et le commercial) avant de demander sa démission. En vain.
Car un autre groupe de travailleurs, le «Collectif Sauvons vraiment Fraternité matin», est également monté au créneau sur les réseaux sociaux pour défendre la gestion de Venance Konan. Il a donc choisi de porter la contradiction à un «groupuscule de la boîte, animé du dessein de prendre la tête du quotidien devenu leader de la presse nationale depuis la nomination du DG» et qui se «livre abondamment à des attaques ad personam totalement diffamatoires».
Le plan de redressement annoncé, s’il existe réellement, est encore dans les placards. Aucun calendrier n’est connu, aucun programme n’est à l’ordre du jour pour son examen. C’est le flou artistique.
Le problème auquel est confronté le Gouvernement est sans aucun doute politique. Les responsables de tout acabit ont vite fait de s’affranchir de toute orthodoxie managériale en transformant le quotidien en une officine du RHDP: recrutements à l’emporte-pièce, promotions, nominations et décorations sont opérés sur cette base.
Des travailleurs de l’entreprise sont, en effet, adossés à des barons du RDR et du PDCI-RDA. Quand on se rappelle que, pour cette raison, certains agents limogés ont été réintégrés envers et contre la direction générale, parce qu’ils bénéficient de ce parapluie atomique, on se rend à l’évidence de toutes les précautions à observer avant de prendre et passer la serpillière.
De même, alors que Venance Konan soutenait après le limogeage pour malversations, le 19 février 2013, de Koné Moussa, son premier DGA, qu’«il n’y aura plus de poste de DGA jusqu’à nouvel ordre», un autre, Saganogo Lamine, venu officiellement pour redresser la situation de l’entreprise, lui a aussitôt été imposé.
La montagne a accouché d’une souris et les relations ont tourné au vinaigre. Le torchon brûle entre les deux têtes fortes de l’entreprise. Venance Konan est accusé d’avoir adressé, en janvier 2018, des courriers aux membres du Conseil d’administration pour fustiger la gestion scabreuse de son DGA. Sans suite.
Dans la crise de confiance où chacun veut montrer patte blanche et accabler l’autre, le DG et son adjoint auraient porté plainte l’un contre l’autre à la Police économique (nos efforts pour confirmer cette rumeur ont été vains). C’est la preuve d’une gestion chaotique d’une équipe duelliste, qui se regarde en chiens de faïence.
Cette coexistence houleuse est exacerbée par des antagonismes politiques. Le premier, Venance Konan, c’est un secret de polichinelle, est le protégé de Konan Bédié, président du PDCI-RDA et président de la conférence des présidents des partis membres du RHDP.
Le second, Saganogo Lamine, est soupçonné de bénéficier de la tutelle de Mme Masséré Touré épouse du ministre Bruno Koné, nièce d’Alassane Ouattara, membre du Conseil d’administration de l’entreprise et conseillère spéciale du chef de l’Etat chargée de la Communication. C’est un combat de titans.
Et puis, à un moment où les rivalités entre les deux poids lourds du RHDP (coalition de cinq partis politiques au pouvoir) sont perceptibles, le terrain est glissant. Le Gouvernement sait qu’il marche sur des œufs et tente de manœuvrer pour ne pas mettre le feu aux poudres. Comment effectuer le plan social qui suppose le dégraissage de l’effectif sans susciter des courroux de chapelle politique ou donner l’impression d’un règlement de compte?
Prisonnier de ces (petits) calculs politiciens, Fraternité Matin se meurt à petit feu. Et alors qu’on lui promettait un avenir lumineux en devenant le premier quotidien d’informations générales… en Afrique, c’est le cauchemar qu’il vit. En tirant le diable par la queue.
FERRO M. Bally, JournaldeFerro