La tornade Wauquiez s’est emparée de l’espace politique français. Mais quelle tornade? Douze heures de cours et un journaliste mal intentionné qui contacte des étudiants pour qu’ils enregistrent en cachette des propos pour ensuite les monter en fonction de la commande passée. Le pire restant à venir, Laurent Wauquiez rejette la règle sacrée du jeu : il ne s’excuse pas, il assume. Une tornade dans un verre d’eau qui nous en dit long sur l’état de déliquescence avancé de notre système, qui n’a plus grand-chose de politique.
La France traumatisée. La France insultée. La France rabaissée. ??? Non, redescendons sur terre, il n’est pas nécessaire d’en appeler à l’ombre rassurante et confortable de De Gaulle, la France n’y est ici pour rien, les Français non plus, il s’agit d’une petite élite autoproclamée qui se retrouve dénudée, mise face à sa misère et qui le vit mal. Très mal.
Mais que s’est-il passé? Un homme politique a eu la mauvaise idée d’avoir dans un cadre non public une discussion pas vraiment dogmatique sur les mécanismes politiques, cette cuisine un peu sale que l’on cache toujours aux clients d’un restaurant. Et les
étudiants ont apprécié, même s’ils furent un peu secoués:
Le contenu du cours ? « Douze heures passionnantes sur les fondements de la politique, de la démocratie, bourrées de références philosophiques, historiques, abordant les différences entre les fondements des sociétés américaines, européennes, asiatiques… » « C’est le cours le plus intéressant que j’aie suivi en quatre ans, de loin le plus passionnant », estime Jean, qui décrit sur la forme « une intervention entrecoupée de questions des étudiants et de relances ».
Mais dès l’annonce du cours, le bon journaliste de Quotidien a préparé son travail, un peu comme les taupes de la Gestapo montaient des dossiers: l’essentiel est trouver le bon délateur, le reste coule tout seul. Il a de la chance, aujourd’hui comme à l’époque, les balances sont à la mode.
Ensuite, un bon montage bien mesuré et ce petit monde part en croisade: il faut bien défendre son bout de gras. Si le bon peuple est obligé d’ouvrir les yeux, alors que jusqu’à présent il résiste de toutes ses forces, dans ce cas ça risque de sauter. Le jeu de l’indignation est le meilleur: la vertu égratignée par l’arrivisme. Magnifique et joué dans toutes ses variantes.
Sans surprise chez
Bourdin, dont on ne peut attendre autre chose. Ainsi, Wauquiez est un homme « dangereux », d’ailleurs un livre de dénonciation, pardon de témoignage, l’affirme … et il tombe à pic! Décidément, comme le hasard fait bien les choses, incroyable quand même! Comme cela est affirmé:
Dans ce portrait au vitriol du président des Républicains, Philippe Langenieux-Villard explique, sur RMC, qu' »il s’agit à la fois d’un homme dominateur, solitaire et qui, par conséquent, me semble assez dangereux dans le paysage politique d’aujourd’hui ».
En effet, comment ose-t-on être dominant dans le mou politique actuel, baigné de guimauve bien pensante. Ici, Wauquiez cumule toutes les tares que l’on peut accoler à un homme politique : il ne « joue pas collectif » pour reprendre le vocabulaire sportif et stupide incontournable, mais est solitaire; il n’est pas soumis, mais dominateur – comment un mâle oserait-il encore être dominateur? S’il s’agissait au moins d’une femme, ce serait acceptable, même une qualité, mais un homme? Non, quelle idée! D’une certaine manière, Wauquiez révèle au grand jour non seulement la faiblesse extrême du système politique français, mais aussi le mensonge hypocrite qui est à son fondement.
Et sur les plateaux, le bal des hypocrites est ouvert et chacun s’y précipite pour montrer sa dextérité. Puisque c’est non seulement autorisé, mais recommandé, autant se défouler: on vous l’avez dit, et bien voilà! Un argumentaire d’une profondeur … qui descend dans le caniveau.
Le mal absolu a changé de nom, Le Pen trop vieux, sa fille inconsistante, enfin un os à ronger:
Dans les rangs de cette Assemblée qui sous la Ve République n’a jamais atteint un tel niveau d’amateurisme, l’on s’emballe: mais comment, enfin, mais comment? Le populisme en guise de ligne politique, c’est parti:
Car le pire a été atteint, Laurent Wauquiez a commis un autre crime de lèse-dogmatique: il ne s’est pas excusé. A l’ère du repentir actif et continuel, il est impensable de ne pas s’excuser. Pour ce qu’on a dit. Pour ce qu’on n’a pas dit. Pour ce qu’on aurait pu dire. Pour ce qu’on aurait risqué de dire. Et, non, il assume.
Mais d’où sort-il? En plus, il se trouve que les
partisans de droite, dans l’ensemble, le soutiennent et apprécient même. A 70%, ils estiment que Wauquiez a raison d’assumer et autant estiment qu’il veut vraiment changer les choses. Mais BFM continue en montrant que son caractère « autoritaire » est reconnu par 80% (difficile de changer les choses autrement, mais passons) – j’aimerais savoir quel était le choix présenté et comment la question était posée, mais ça on ne le saura pas. Ce qui lui serait le plus reproché, en tout cas ce qui est accentué par BFM, est le fait qu’il ne soit pas rassembleur.
Ca aussi, ça ne colle pas aux dogmes actuels. Il faut rassembler large. Ce qui permet d’affaiblir, de noyer et d’empêcher d’avoir une ligne politique. Car il ne s’agit pas de rassembler autour d’une idée, mais de rassembler des personnes ayant des visions politiques différentes. Schéma idéal pour détruire et discréditer les partis politiques et conduire à l’échec, Fillon a payé cette erreur.
Historiquement, la politique et les partis politiques permettaient de regrouper des personnes ayant une même vision de la société autour d’une idée et d’un chef pour gagner les élections et diriger le pays. Maintenant, le parti est un ascenseur social permettant à un groupe d’individus de faire une carrière dans les organes politiques ou les grandes structures proches de l’Etat en menant et défendant une ligne politique, dont l’essentiel n’est plus déterminé par les instances nationales, toujours présentes essentiellement pour maintenir les apparences et satisfaire la population qui n’est pas – encore – prête à renoncer ouvertement à l’Etat. Mais on l’y prépare avec un discours permanent sur l’inefficacité des structures étatiques et l’incompétence croissante des nouveaux visages sans aucune expérience en la matière permet de renforcer cette impression: l’incontournable recrutement dans la société civile permet d’obtenir ce résultat sous couvert de démocratisation du système. Le courant Macron et ses hurluberlus sont ici extrêmement utiles, aux côtés des technocrates, qui remplissent la mission demandée.
La politique fait peur, car ces néophytes ne tiendraient pas la distance. Pour reprendre leurs critères d’évaluation: quelle efficacité des « nouvelles » politiques? Le retrait de l’Etat constant ces dernières années a-t-il permis une amélioration des services administratifs? de la médecine? de l’école? de la sécurité? Non, évidemment. Donc il faut aller encore plus loin, encore plus vite. Car si ça ne marche pas, nous explique-t-on, c’est parce qu’il y a encore trop d’Etat – et non parce qu’il a été systématiquement déstructuré. Logique.
Donc, en replaçant le discours sur le plan politique, il lui est bien sûr reproché d’avoir un « vieux discours populiste », d’avoir « des déclarations déplacées ». Le discours doit être formaté, pour être inodore, incolore, indolore. Ne laisser aucune trace. Aucun souvenir. Etre immédiatement digéré et oublié. Il est évidemment autorisé de taper, mais le cercle des personnes autorisées est prédéterminé et les cibles aussi. On ne peut pas laisser cela au hasard de la volonté de quelques trublions, qui ne sauraient pas où est leur place.
Donc les rats quittent le navire, les membres LR qui veulent rester dans le marais vont petit à petit rejoindre le nouveau Jupiter, sous l’égide du passeur Juppé.
Finalement, quand un homme fait à ce point l’unanimité contre lui, il est dans le vrai. Et personnellement, il me deviendrait même sympathique))