Recomposition politique: Les fronts patriotique et républicain en gestation
Les querelles domestiques entre le RDR et le PDCI-RDA pourraient occasionner une recomposition du paysage politique. Les fronts patriotique et républicain sont en voie de renaître de leurs cendres pour les adieux au RHDP. Des improbables et imprévisibles alliances, avec pour principal objectif pour Bédié de prendre sa liberté et pour Ouattara, sauver la face et sortir du guêpier de la crise post-électorale par la grande porte. C’est l’effervescence politique. Et le chamboulement qui se prépare pourrait être celui d’un tsunami. Le divorce enclenché entre le RDR et le PDCI-RDA, les deux poids lourds du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition au pouvoir réunissant le RDR, le PDCI-RDA, l’UPCI, l’UDPCI et morceau du MFA), menace d’explosion en plein vol la plateforme politique.
Le 15 janvier 2018, à la présentation des vœux de nouvel an du PDCI-RDA à son président, Bédié a annoncé les couleurs. En terminant ses propos par «Longue vie au PDCI», il a décrété l’inhumation en première classe du parti unifié qui tient tant à Ouattara, pour continuer de tirer les ficelles. Quatre jours auparavant, soit le 11 janvier, des jeunes de ce parti ont empêché la réunion du Comité de haut niveau pour la mise en place du RHDP, comme parti unifié.
Les contentieux sont des sujets sensibles qui fâchent au RDR: «réforme de la CEI, reprise du découpage électoral, révision de la liste électorale» et «nécessité d’une application stricte des termes de l’Appel de Daoukro et sur la préparation concertée du succès d’un cadre militant actif du PDCI-RDA, candidat à l’élection présidentielle de 2020 en RHDP».
De ce fait, en cette année 2018 d’élections locales (municipales, régionales et sénatoriales) et trois ans avant la présidentielle attendue d’octobre 2020, des tractations politiques plus ou moins discrètes sont en cours et des déclarations d’amour calculées sont en train d’être formulées. Sans état d’âme.
Toutes les formations, au pouvoir comme dans l’opposition, savent qu’aucun parti ivoirien ne peut gagner seul ce scrutin. Ainsi, pour mieux préparer ces échéances et parer aux crises dans les partis et autres dysfonctionnements dans les coalitions qui battent de l’aile, de nouvelles alliances sont à l’étude et au centre des débats.
L’aile légale du FPI dirigée par Pascal Affi N’Guessan a ouvert le bal et mis les pieds dans le plat. Les 24 janvier et 7 février 2018, elle a rencontré respectivement Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, et Albert Mabri Toikeusse, président de l’UDPCI. Pour Affi, «le RHDP est un échec et il faut donner une nouvelle chance à la Côte d’Ivoire».
En présentant ses vœux de nouvel à Bédié, Affi n’a pas fait mystère de sa volonté de contracter une alliance avec le PDCI-RDA.
«Nous sommes venus présenter nos vœux au président Henri Konan Bédié qui, au-delà de nos spécificités politiques, représente pour chacun d’entre nous une référence, un acteur avec lequel nous avons compté hier, nous allons compter aujourd’hui et nous devons compter demain», a déclaré Affi avant de poursuivre: «Étant donné la place du président Henri Konan Bédié, il était bon que le FPI soit là pour lui dire bonne et heureuse année, et souhaiter que Dieu le garde, le fortifie, parce que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens ont encore besoin de lui pour construire la paix et la prospérité de ce pays».
Et en rencontrant Mabri, Affi propose des rapprochements en vue de mettre sur pied une nouvelle alliance qui répondrait mieux aux attentes des Ivoiriens. «Il était important d’échanger avec ces leaders pour qu’il intègre dans leurs stratégies la possibilité d’une alternative, d’une alliance dans l’intérêt de notre pays. Notre pays a besoin d’un instrument pour promouvoir son développement et ce sont les organisations politiques qui, ensemble, pourront construire ce nouvel instrument», a-t-il affirmé.
Vis-à-vis du PDCI-RDA, cette tentative n’est pas nouvelle. Le 15 avril 2013, alors que Pascal Affi N’Guessan était détenu à Bouna, chef-lieu de la région de Bounkani, dans le cadre de la crise post-électorale, Sylvain Miaka Ouretto, son intérimaire, a directement et ouvertement interpellé l’ancien parti unique et ses militants.
«Frères et sœurs du PDCI, il est encore temps de sauver la démocratie dans notre pays, disait-il. L’enjeu est clair et dépasse de très loin les frontières idéologiques (libéralisme et socialisme). C’est la survie de notre nation qui est en jeu.» «Le moment du grand sursaut national est venu (…) Resserrons nos rangs pour faire barrage aux prédateurs. Rassemblons-nous, pour défendre la nation en péril. Nous n’avons que cette patrie, alors défendons-là ensemble, au risque de disparaître ensemble, quand l’on nous demande de vivre ensemble chez nous, sans nous», mobilisait-il dans un appel patriotique.
La réponse de Bédié, sèche, ne se fut pas alors attendre. Le 23 mai 2013, à la réunion du Bureau politique de son parti, il a certes reconnu des dysfonctionnements et des désagréments au RHDP, mais il rejeta du revers de la main la proposition du FPI, à travers une série de reproches pour régler ses vieux comptes politiques à ce parti et d’interrogations qui signifiaient «niet», une fin de non-recevoir parce que son cœur n’était plus à prendre.
«Mais faut-il, pour cela, revenir sur la parole donnée et quitter une alliance parce que des éléments de l’association n’ont pas réussi à se maitriser? Faut-il oublier ce que cette alliance a apporté à chaque membre et qu’elle a permis de débarrasser le pays d’un tyran? Que le RHDP ne fonctionne pas, comme nous l’aurions souhaité est un fait, mais ne faut-il pas plutôt chercher à l’améliorer, que de la quitter? Par ailleurs, le FPI, nous fait un appel du pied, dans les journaux. Quelle peut être la sincérité d’un tel appel quand on se souvient que c’est le même FPI qui a fondé le Front Républicain, qui s’est régulièrement proposé de «tuer le serpent» que nous sommes supposés être. En quoi, ce parti a-t-il changé fondamentalement, avec le lourd passé qu’il traine comme un boulet?»
Les contextes et la donne ont changé. Le FPI, l’ancien parti au pouvoir, est traversé par une grave crise politique et est divisé entre deux clans: une aile dite modérée (qui a accepté d’entrer dans le jeu politique en participant à tous les scrutins); elle est conduite par Affi qui, après avoir été caressé dans le sens du poil, est aujourd’hui en délicatesse avec le pouvoir.
L’autre tendance, en principe clandestine, est présentée comme radicale. Elle a refusé, depuis le renversement de Laurent Gbagbo en 2011, de faire allégeance à Ouattara. Elle a boycotté toutes les élections et les opérations électorales parce qu’elle a une question préjudicielle: le préalable de la libération de Laurent Gbagbo; elle est, malgré son illégalité, tolérée et a comme leader Abou Drahamane Sangaré.
C’est ce contexte dont voudraient profiter chacune des parties en bisbille au RHDP pour tirer le meilleur parti. Bédié sera-t-il intéressé cette fois-ci, surtout cette demande formelle, respectant les règles de l’art, lui a été directement adressée? Cette fois-ci, il pourrait mordre à l’hameçon.
Car, des gestes de rapprochement se sont rapidement multipliés. Le 18 janvier, à la tête d’une forte délégation, Konaté Navigué, secrétaire national à la jeunesse, était reçu au PDCI-RDA par Kouassi Valentin et ses collaborateurs, membres de la jeunesse urbaine du vieux parti.
Et puis le PDCI-RDA et le FPI ont flirté durant la transition militaire en 2000. Pendant l’exil de Bédié en France après son renversement par la junte militaire, ces deux partis ont formé le Front patriotique. Si le but affiché ne fut pas électoraliste, il a néanmoins empêché le général Guéi, chef de la junte militaire, de phagocyter le plus vieux parti de Côte d’Ivoire, et permis de se mettre ensemble pour dénoncer la fraude à grande échelle sur les pièces d’identité ivoiriennes.
Au RDR, les états-majors ne veulent pas s’en laisser conter. Ils sont eux aussi à l’œuvre pour un réajustement politique. Les indésirables d’hier sont à nouveau courtisés.
Il s’agit d’une part de Mabri Toikeusse, président de l’UDPCI, et Gnamien Konan, ex-président de l’UPCI. Ces deux personnalités ont été limogées le 25 novembre 2016 du Gouvernement où elles occupaient les fonctions respectives de ministre des Affaires étrangères de la Côte d’Ivoire et ministre de l’Habitat et du Logement social.
Mabri et Gnamien ont commis le crime de lèse-majesté de présenter des candidats issus des partis politiques qu’ils dirigent, l’UDPCI et l’UPCI (membres du RHDP), contre ceux du RDR et du PDCI-RDA dans certaines circonscriptions électorales. Cette sanction a fait boule de neige. Tous les cadres de ces deux partis, pris dans le collimateur, ont été aussi débarqués de leurs fonctions dans des directions administratives publiques et au sommet de l’Etat. Sans tambour ni trompette. Ils reviennent dans les bonnes grâces du pouvoir.
Il s’agit d’autre part de la tendance du FPI conduite par Sangaré. Le RDR ne s’est pas encore officiellement prononcé, mais l’ex-ministre Ibrahima Cissé dit Bacongo, vice-président du parti chargé des Droits humains, des Affaires juridiques et institutionnelles, a lancé un ballon d’essai.
«Ce n’est pas parce que le groupe de Sangaré n’est pas reconnu juridiquement qu’il n’existe pas. Ils ont fait le week-end dernier (3 février 2018, ndlr) le lancement de la Fête de la Liberté à Gagnoa; ils ont parlé, ils ont pris des décisions et ils sont suivis par des militants qui se reconnaissent dans tout ce qu’ils font. Donc, pour moi, il est important de parler avec eux», tente-t-il, dans les colonnes du quotidien L’Inter du 10 février 2018, de faire passer la pilule.
«Si nous faisons l’analyse de la situation, nous arriverons à la conclusion que nous sommes tous responsables de ce qu’il s’est passé. Alors on devrait pouvoir se donner la main et faire avancer le pays. Moi, je veux quand même espérer que nos frères qui se trouvent du côté d’Abou Drahamane Sangaré auront la hauteur d’esprit et l’intelligence pour arriver à cette conclusion», joue-t-il balle à terre pour amadouer ses interlocuteurs.
Dans le meeting qu’il a organisé, le 4 février 2018, à la place Inch’Ahallah de Koumassi, il a battu campagne pour un rapprochement avec l’aile dite dure du FPI. Il avait même conseillé Kandia Camara-Kamissoko, Secrétaire générale du parti au pouvoir, «d’enfiler» son «manteau pour aller voir Sangaré».
C’est un grand coup de tonnerre. C’est vrai qu’en 1995, le FPI et le RDR ont formé le Front républicain pour combattre le PDCI-RDA, alors au pouvoir. Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Ces alliés, à l’origine dirigés respectivement par Gbagbo et Georges Kobina Kouamé, sont devenus, depuis 2000, des ennemis jurés, alors que le PDCI-RDA et le RDR, parti sorti de ses entrailles en 1994, se contaient fleurette en créant le RHDP en 2005 qui a chassé Gbagbo du pouvoir en 2011.
Ce n’est pas tout. L’ex-chef de l’État est détenu à la prison de Scheveningen, à La Haye, de même que Charles Blé Goudé; son épouse et nombre de ses partisans sont ou en prison sans jugement ou condamnés à de lourdes peines de prison quand d’autres sont en exil.
Mais on le voit, le RDR a commencé à mettre beaucoup d’eau dans son gnanmakoudji (boisson à base de gingembre) vis-à-vis des farouches partisans de Laurent Gbagbo. Ce geste politique n’est pas gratuit ni fortuit.
Car les différents procès en Côte d’Ivoire avec des sanctions à la tête du client trahissent la «justice des vainqueurs» et des règlements de compte politiques. De plus, à la CPI, la vacuité de l’accusation contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ne fait plus l’ombre d’aucun doute. Leur libération n’est plus qu’une question de temps. Et le grand perdant de ce procès est Alassane Ouattara qui est dans ses petits souliers.
Le pouvoir qui traverse des trous d’air veut faire d’une pierre deux coups. D’un, amortir le choc du divorce prévisible annoncé d’avec le PDCI-RDA et de deux, sauver la face et sortir par la grande porte du guêpier de la situation politique trouble ivoirienne avec les différents procès politiques dont ceux à la Cour pénale internationale (CPI).
En se rapprochant des farouches partisans de Gbagbo qui l’ont porté à la tête du parti, Ouattara va donner du crédit à ce que le cardinal Jean-Pierre Kutwa appelle «la grâce de l’indulgence». Dans un contexte de décrispation, il va notamment faire usage de la grâce présidentielle et se présenter comme un chef d’État généreux et magnanime. Le RDR, de son côté, va donner ses lettres de noblesse à son slogan qui est le «Vivre ensemble». Et alors faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, il va être vu comme le parti de paix et de la réconciliation nationale. Et le tour est joué.
FERRO M. Bally, sur son nouveau site « le Journal de Ferro »