Une fois de plus, l’Ouest ivoirien, victime d’un gouvernement irresponsable
Depuis bientôt deux mois, la région de l’Ouest ivoirien a renoué, de nouveau, avec les conflits dits inter-communautaires dont l’évolution et la tournure menacent dangereusement la paix sociale et la cohésion nationale.
En l’absence d’une communication claire et impartiale des autorités administratives et gouvernementales, sur la nature et les causes profondes de ces affrontements, certains acteurs politiques se livrent à des dérives tribales extrêmement graves.
Sur la base de la compilation de plusieurs documents officiels relatifs à l’histoire et à la gestion des forêts classées en Côte d’Ivoire, que corroborent des rapports d’organisations de défense des droits humains, l’AIRD fait les constats suivants :
- Timidement entamée avant les années 2000 mais toutefois combattue par l’administration forestière, les infiltrations et occupations illégales des forêts classées ont été accentuées du fait de la crise de 2002 et se sont exacerbées après 2011, apparaissant aux yeux des populations autochtones comme une récompense à ceux qu’elles perçoivent comme les « partisans des vainqueurs » et qui ont alors envahi les forêts classées, dont la forêt de GOUIN-DEBE, par vagues successives, en convois organisés.
- Cette forêt est le théâtre de conflits sanglants et meurtriers ; d’abord en 2014, entre BAOULE et BURKINABE et à présent entre WE et BAOULE.
- Après moult tensions, le conflit foncier intervenu, en septembre dernier, entre communautés autochtones WE et allochtones BAOULE perdure encore, malgré quelques interventions disparates et cacophoniques.
- Ces conflits récurrents résultent de l’intrusion frauduleuse impunie de populations, majoritairement allochtones BAOULE et allogènes BURKINABE, dans la forêt classée de GOUIN-DEBE.
- Cette forêt est infestée d’armes à feu, d’armes de guerre et l’on assiste désormais à la prolifération de milices, qui, assurées de l’appui d’hommes politiques généralement proches du pouvoir, bafouent quotidiennement l’autorité de l’administration territoriale, pourtant investie de l’autorité de tutelle des forces de police et de sécurité.
- Les rapports entre les communautés se sont fortement dégradés et continuent de s’envenimer sur fond de cupidité, de népotisme et de calculs politiciens. L’enjeu qui a récemment accéléré le pourrissement de la situation est la suite de l’emprisonnement, pour détention illégal d’armes de guerre et entretien de milices, d’un planteur Burkinabé qui avait à son actif des centaines d’hectares de cacao, dont on veut se partager l’exploitation des plantations.
À l’analyse des faits, non seulement les différents accords de partage de l’exploitation des plantations laissées sans propriétaire ont du mal à être respectés, mais force est de reconnaître qu’il ne s’agit, ni plus ni moins, que du partage des fruits d’exploitations frauduleuses acquises par défiance de l’autorité de l’État et en violation de nos accords avec les partenaires au développement ainsi que nos engagements internationaux réaffirmés à la COP21 à Paris.
Cette situation est comparable donc à un cas de recel aggravé avec mort d’hommes, nombreux blessés et des milliers de déplacés. C’est comme si l’on laissait le fruit d’une saisie de stupéfiants donner lieu à des bagarres rangées pour son contrôle. Le refus d’une telle prise de conscience ne serait que tribalisme et opportunisme politique basés sur des intérêts de clan.
Nous sommes face à une irresponsabilité de l’État qui, se détournant de ses obligations régaliennes, ne parvient pas à faire respecter la loi pendant qu’il se satisfait de percevoir le DUS (Droit Unique de Sortie) sur une production illégale et de sang.
En outre, l’État, au nom du seul intérêt du profit fiscal, abandonne les communautés à elles-mêmes dans une sorte d’auto-organisation lourde de dangers.
Considérant le contexte particulièrement fragile, voir explosif de la région de l’Ouest, l’Alliance Ivoirienne pour la République et la Démocratie (AIRD) en appelle à un règlement républicain de cette crise meurtrière et à la prise de mesures conservatoires d’urgence.
En effet, si des communautés naguère propriétaires coutumiers se sont astreintes au respect de la nature et des formes des forêts classées, au nom de quel principe, d’autres arrivées bien plus tard dérogeraient au respect de la loi et de l’État de droit ?
Devant ce qui apparaît comme du recel toléré et vu le contexte de clivages interethniques, ainsi que les urgences écologiques combinées à la menace qui pèse sur la commercialisation du cacao ivoirien, l’AIRD propose les mesures suivantes :
- La démilitarisation et l’interdiction stricte de port d’arme dans cette zone ;
- La suspension immédiate de l’exploitation des plantations de la forêt classée de GOUIN-DEBE ;
- L’expulsion de tous les clandestins de la forêt de GOUIN-DEBE ;
- La mise en place d’un comité tripartite composé de représentants des populations autochtones, des populations allogènes et allochtones, et de l’Administration, chargé de surveiller le respect des mesures ci-dessus et de préparer l’avenir ;
- La prise, en toute sérénité et sur la base des travaux du comité tripartite, d’une décision de restauration du statut de forêt classée ou de déclassification avec des redistributions équilibrées selon les règles coutumières en vigueur.
L’AIRD, qui déplore la folie de gouvernance qui consiste à produire toujours plus de cacao au détriment des générations futures, met en garde contre les conséquences du carnage écologique en cours et se tient à la disposition du Gouvernement pour lui proposer une politique de vision et d’alternatives agricoles crédibles.
En outre, l’AIRD invite les décideurs et acteurs politiques à sortir de la logique des communautés ethniques – qui vivent côte à côte – afin de construire un seul socle commun fondé sur l’école républicaine obligatoire et la communalisation de tout le territoire.
Par cette contribution, l’AIRD souhaite une paix durable en Côte d’Ivoire.
Fait le 22 Octobre 2017
Pour l’AIRD
Le président
Le ministre Eric KAHE