Une grande muette vermoulue
UNE GRANDE MUETTE VERMOULUE
Le sombre tableau qu’a dressé, le 26 septembre 2017 à la Cour pénale internationale (CPI), le général de corps d’armée et ex-chef d’état-major des armées ivoiriennes, Philippe Mangou (photo avec Laurent Gbagbo), est désolant et triste. Même si à la différence du général français Pierre de Villiers, il n’a pas rendu le tablier.
Le 19 juillet 2017, s’opposant aux coupes claires dans le budget de l’armée française, de Villiers rendait sa démission. « Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays », a expliqué l’officier français.
Mangou n’a pas franchi ce Rubicond alors que la situation était dramatique. Les munitions achetées, accuse-t-il, par «des civils» ne correspondaient pas aux armes et vice-versa, de même que les chars à chenilles étaient inadaptés sur le terrain des combats faute de porte-chars; confondu à un trafiquant d’armes, le colonel Yao N’Guessan, envoyé pour y pallier, a été arrêté et écroué aux États-Unis; les mortiers fournis par la France au début de la crise étaient sans percuteur; les pilotes ivoiriens étaient incapables de conduire les Mig24 et Sukhoï achetés en Russie, …
Un vrai désastre. Mieux ou pis, l’armée ivoirienne, «largement infiltrée» par des taupes selon Mangou, souffrait de trois maux:
1. Il n’y avait pas de munitions pour mener le combat. Aussi, l’ex-chef d’état-major a-t-il présenté ses «excuses» aux populations d’Anonkouakouté et d’Abobo que l’armée n’a pu secourir.
2. L’effectif était insuffisant au point que, durant la crise post-électorale, les positions victorieusement acquises au carrefour Ndotré, sur la route nationale menant aux villes de l’Est dont Adzopé et Abengourou, et au PK 18, quartier d’Abobo contigu à Anyama, ont fini par être abandonnées, pour tomber dans l’escarcelle du Commando invisible du «général» Ibrahima Coulibaly dit IB.
3. Les troupes étaient démobilisées. Car contrairement à Ouattara qui s’est exécuté en donnant à chacun de ses 8.400 soudards mutins douze millions de nos francs, Laurent Gbagbo a refusé de répondre à l’attente des soldats qui réclamaient dix millions de nos francs chacun. Son argument, «vous n’avez pas gagné la guerre».
C’est donc un miracle que cette grande muette vermoulue et aux abois ait tenu la dragée haute aux rebelles et à leur soutien durant une dizaine d’années. C’est un miracle que le pouvoir de Gbagbo, dont la seule vraie béquille était le peuple de ses partisans, ait pu résister durant toutes ces années.
«J’étais entouré de compromissions, de traîtrises, d’alliances mercantiles, de duplicité. Bien sûr qu’on avait noyauté mon entourage… C’était facile: autour de moi, certains misaient sur ma chute et sur ma survie», raconte Gbagbo dans l’ouvrage qu’il a co-écrit avec le journaliste français François Mattéi, Pour la vérité et la justice, Éditions du Moment, page133.
Et alors on tombe des nues quand, avec ces moyens dérisoires qui contraignaient les troupes à se replier, à décrocher de toutes les positions à l’intérieur du pays et les témoignages unanimes de tous les officiers à la CPI, Gbagbo est encore détenu à la CPI. Accusé d’avoir ourdi un «Plan commun» pour conserver le Pouvoir en exterminant les partisans d’Alassane Ouattara, il a échoué, le 25 septembre 2017, dans sa douzième demande de liberté provisoire.
Bally Ferro