Cogner sur le miroir
Cette publication a suscité l’enthousiasme des internautes mais troublé la quiétude estivale de Bernard-Henri Lévy, qui, le 18 juillet, était invité à l’Élysée pour présenter son dernier film au chef de l’État lors d’une projection privée. Très en colère, l’essayiste a consacré la totalité de sa chronique hebdomadaire du Point (20 juillet 2017) à une diatribe qui, sous le titre « Misère et déshonneur du “Monde diplomatique” », ressasse ses vieilles calembredaines contre notre journal : « S’en prendre sans trembler à un écrivain libre » tel que Bernard-Henri Lévy, écrit « BHL », c’est franchir « la ligne rouge-brun ».
Le propos fut aussitôt repris par ses caudataires habituels, Benoît Rayski (Atlantico, 21 juillet) et Philippe Val (L’Express.fr, 24 juillet). Évoquant les autodafés de livres perpétrés par les nazis dans les années 1930, le premier écrit : « Il y avait quelque honneur à être jeté dans les flammes par de sombres brutes. Bernard Henri-Lévy peut être fier d’être brûlé par Le Monde diplomatique… » Pour le second, notre dossier prolongerait une tradition d’« hybridation historique du pire du fascisme avec le pire du communisme » et témoignerait d’une « opération de nettoyage » visant à « exclure de l’humanité » le chroniqueur du Point. Chacun l’a compris : émettre une réserve sur le génie de Bernard-Henri Lévy relève du crime contre l’humanité (1).
Le 23 avril 2013, la 17e chambre correctionnelle de Paris avait condamné « BHL » pour complicité de diffamation publique contre Bernard Cassen, pris pour cible en raison de ses liens historiques avec Le Monde diplomatique. La justice française avait alors fustigé l’« insuffisance de rigueur » et la « carence de fond » de Bernard-Henri Lévy et de Franz-Olivier Giesbert, alors directeur de publication du Point. Quatre ans plus tard, les mêmes travers s’affichent dans la chronique un peu infantile, mais surtout bourrée d’erreurs factuelles, que nous consacre celui que Pierre Bourdieu décrivait, il y a une vingtaine d’années déjà, comme un « intellectuel négatif (…), antithèse absolue de tout ce qui définit l’intellectuel ». Ainsi, il nous qualifie d’admirateurs de Tariq Ramadan (qui, ces dernières années, s’est exprimé plus souvent dans les colonnes du Point que dans celles du Monde diplomatique), de partisans des « thèses conspirationnistes » (alors que nous avons consacré à leur réfutation un dossier entier en juin 2015), d’amoureux du « treillis de Nicolás Maduro » (lire pour s’en convaincre l’article de Renaud Lambert page 13). Tout le reste est du même acabit.
En 2013, le tribunal estimait que « le bénéfice de la bonne foi ne saurait être accordé » à Bernard-Henri Lévy. Rien n’a changé depuis.