Paris va organiser les JO 2024.
La suite va vous déprimer.
C’est une affaire faite : Paris organisera les JO 2024. Cela a au moins un avantage: comme à chaque fois, on peut facilement prévoir ce qui va arriver.
1-Le budget va exploser
Ce n’est même pas une prévision, c’est une certitude. Tous les JO, sans exception jusqu’à présent, ont dépassé leur budget prévisionnel, pourtant très élevé, car l’organisation des JO est à la fois le type méga-projet le plus cher qu’une collectivité publique puisse entreprendre, et celui qui connaît les dépassements les plus élevés. En moyenne, c’est 156% de dépassement pour les jeux en général, 176% pour les jeux d’été. Pour un budget prévisionnel d’environ 6.6 milliards d’euros pour l’instant, cela nous conduirait pour Paris 2024 aux alentours de 18 milliards d’euros de coût global. Et ne venez pas me dire que cela sera différent pour Paris, « parce que toutes les infrastructures sont déjà construites » : ce taux de dépassement porte sur le coût d’organisation des jeux hors infrastructures. Or celles-ci sont aussi victimes de la tendance aux surcoûts systématiques.
Car la tendance aux surcoûts s’explique par les caractéristiques spécifiques des jeux olympiques. Tendance, au départ, à minimiser les coûts anticipés et multiplier les promesses pour obtenir l’organisation des jeux, pour ensuite refaire un budget plus réaliste. Ensuite, l’ampleur de l’événement à organiser, sa très forte médiatisation (qui fait que rien ne peut apparaître comme raté) et les délais très stricts (on ne va pas annoncer au dernier moment que les jeux sont décalés de 6 mois) multiplient les occasions de dépassements budgétaires. Les incidents sont systématiques et ne peuvent être résolus qu’avec des dépenses supplémentaires. Les bailleurs de fonds publics – ville, région, Etat – n’ont pas d’autre choix que de payer si on leur annonce que tel problème (sécurité, chantier non terminé, quoi que ce soit d’autre) nécessite une rallonge. Encore une fois il ne s’agit pas de théorie : c’est arrivé dans 100% des jeux, parfois dans des proportions grotesques (budget multiplié par 8 pour les jeux de Montréal en 1976, qui ont endetté la ville pour les trente années suivantes) parfois de manière un peu moins contrôlée, une fois de manière entièrement bidonnée (le dépassement de Pékin, 2% seulement, est peu crédible).
Pensez-y la prochaine fois qu’on vous dira qu’il faut faire des efforts de dépenses publiques, qu’il faut rogner telle allocation ou telle dépense parce que l’intérêt supérieur de la nation l’exige. Les mêmes personnes iront ensuite communier toutes ensemble pour se livrer à ce qui constitue la dépense la plus ruineuse qui soit.
Ah, et pour les JO de Tokyo, les organisateurs japonais envisageaient un budget de 5 milliards : ils projettent maintenant 17 milliards.
Les bénéfices seront surévalués
Deuxième caractéristique des JO : la tendance à surestimer les gains, de préférence dans des études de complaisance commandées par le comité d’organisation pour cacher les réalités au public. Ainsi le comité d’organisation des jeux de Londres est arrivé à un « bénéfice » en comptant comme gains liés aux JO tous les investissements réalisés dans la ville par des multinationales étrangères les années suivant les jeux. Car bien évidemment, si Goldman Sachs a acheté des bureaux à Canary Wharf en 2013, c’est parce qu’ils ont été subjugués par les exploits des cyclistes britanniques en 2012… de la même façon tout le supplément de touristes venus à Londres l’année suivante a été imputé aux JO.
Or si effectivement les jeux attirent des visiteurs pendant qu’ils ont lieu, ils chassent aussi d’autres visiteurs peu intéresses par l’ambiance sportive, ou simplement chassés par l’affluence. L’été 2024, les lunes de miel se passeront à Venise plutôt que dans un Paris aux hôtels remplis de supporters. Pour des villes qui d’habitude n’attirent pas grand-monde, cela peut être un avantage. Pour la capitale du pays attirant le plus de touristes au monde en temps normal, l’intérêt est beaucoup plus limité.
Parce que les bénéfices tangibles des jeux sont limités, la tentation est grande d’aller imaginer tout et n’importe quoi et de le rebaptiser « bénéfice des jeux olympiques ». Ou d’expliquer qu’il ne faut pas regarder les bénéfices mais se dire que c’est l’occasion de « construire des infrastructures utiles », dans le cas parisien « de faire le grand Paris ». Sauf que les infrastructures en question sont plus adaptées aux besoins de l’évènement sportif qu’à ceux de la population. On se retrouve avec des logements inutilisables, ou nécessitant des aménagements supplémentaires pour être exploités. Que penseriez-vous si en allant à l’épicerie pour acheter une laitue, et qu’on vous dise que vous ne pouvez acheter que de la salade frisée, et à la condition d’acheter en même temps quatorze tablettes de chocolat?
A partir de 2025, tout le monde s’en fiche
« Mais les JO, c’est le prestige, la grande fête du sport, être au centre du monde pendant un mois, ça n’a pas de prix ». Voilà l’argument : les JO ne doivent pas être considérés au travers des lunettes bornées des coûts et des bénéfices. Ce sont des dépenses de prestige dont l’intérêt est de rendre heureux ceux qui les organisent.
Et c’est vrai que tout ne devrait pas être jugé en termes de coûts et de bénéfices. Le problème, c’est que même à cette aune-là, les JO sont une catastrophe. Soyez honnête. Je vous dis « Londres » pensez-vous aux JO? je vous dit « Rio » cela vous évoque des exploits sportifs ou un mélange de statue du christ rédempteur et de carnaval? Je vous dit Athènes, pensez-vous au Parthénon ou aux stades olympiques? Je vous dit « Sydney », n’est-ce pas l’image de l’opéra dans la baie qui vous vient immédiatement en tête?
L’essentiel du prestige apporté par les JO ne bénéficie pas aux villes, parce que les exploits sportifs sont accomplis dans des stades ou installations sportives interchangeables. Rien ne ressemble plus à une piscine olympique en Chine qu’une piscine olympique n’importe où ailleurs. Résultat, les amateurs de sport n’attachent pas d’importance à la ville dans laquelle les performances sont réalisées. Pour les habitants du pays organisateur, il ne reste que la gueule de bois, les infrastructures peu utilisables, et la dette à payer.
rabat-joie!
Depuis 12 ans que je rappelle ces tristes réalités (qui se sont avérées depuis trois olympiades, mon meilleur record de prévisions sur le long terme) j’entends le même commentaire : « vous n’êtes qu’un rabat-joie, on a besoin de faire la fête de temps en temps, de ne pas être sans arrêt soumis à la comptabilité, vous n’êtes qu’un de ces pisse-froid qui ne savent pas s’enthousiasmer ».
Rien n’est plus faux. J’aime bien le sport, je regarde les JO avec plaisir. Ce que je déplore c’est une procédure de désignation des villes aberrante, qui pousse au gaspillage, voire à la ruine des pays organisateurs, pour le seul profit du Comité International Olympique qui s’arrange pour faire monter les enchères et faire payer le plus possible des jeux par les contribuables des pays organisateurs, avec la complicité de politiciens plus doués pour leur auto-promotion que pour la gestion des deniers publics.
Et cette fois-ci, on était proche de vrais changements. Les révélations systématiques sur les coûts des jeux et de leurs maigres bénéfices avaient fait bouger les choses, conduit des citoyens à abandonner l’unanimisme béat pour se demander ce qu’ils avaient à y gagner, et des élus à faire leurs comptes. Ainsi, Rome, Budapest, ont abandonné leur candidature en voyant que l’opération n’était pas rentable. Mais il reste des pigeons, et le CIO pourra organiser les jeux comme avant, ayant échappé à sa remise en question.
Car la solution au problème existe : il suffit d’allouer les jeux différemment, plutôt qu’avec ce système de candidatures de villes. Il serait possible par exemple de désigner une ville par continent, et de faire tourner l’organisation tous les 4 ans entre ces villes qui verraient ainsi leurs investissements olympiques rentabilisés. Encore mieux : pourquoi ne pas organiser à chaque fois les jeux à Athènes, en revenant ainsi aux racines de l’olympisme? Les équipements grecs pourraient ainsi être pérennisés et rentabilisés au lieu de pourrir sur place.
Et c’est ce qui est le plus déplorable avec cette organisation parisienne des jeux. Au lieu d’apporter une solution au problème en mettant le CIO dans l’obligation de faire autrement, cela permet de continuer les gaspillages, comme si de rien n’était.
Alexandre Delaigue, prof d’Economie, Lille I