la fête de la Liberté vire à la ghettoïsation.
Le rêve de Gbagbo tourne au cauchemar
Laurent Gbagbo voulait un rassemblement certainement symbolique, mais surtout populaire, qui par sa pertinence et son éclat, finirait par emporter l’adhésion de la plupart sur l’échiquier politique ivoirien. Échec et mat. «Sa» fête de la Liberté est aujourd’hui le masque grimaçant d’une manifestation victime de handicap.
L’alinéa 3 de l’article 2 des Statuts du Front populaire ivoirien (FPI) dispose: «Le FPI célèbre, tous les ans, la fête de la Liberté pour commémorer la réinstauration du multipartisme en Côte d’Ivoire».
En 1990, le PDCI-RDA, parti unique et parti-État, a lâché du lest. Le Bureau politique, confronté à une vague sociale qui menaçait d’emporter le pouvoir de Félix Houphouët-Boigny, n’a eu d’autre choix que d’actionner le 30 avril, l’article 7 de la loi n°60-356 du 03 novembre 1960 portant Constitution, qui autorisait le pluralisme politique.
«Les partis et groupements politiques, -dispose cet article-, concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leurs activités librement sous la condition de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, et les lois de la République». Le 03 mai, l’État, à son tour, donnait le feu vert à la création d’autres partis politiques concurrents de l’ex-parti unique.
C’est pour célébrer cette victoire politique longtemps recherchée que Laurent Gbagbo, alors secrétaire général du FPI, a instauré la fête de la Liberté dont la première édition a eu lieu le 30 avril 1991. Il fut copieusement moqué de tous ses alliés de l’ex-Coordination de la Gauche démocratique (alliance politique de quatre partis – FPI, PIT, USD et PSI- revendiquant l’idéologie socialiste).
Car, selon ses détracteurs, la dénomination «fête de la Liberté» n’est pas, en soi, une nouveauté. Elle a existé en France durant la Révolution, elle existe notamment en Guadeloupe depuis 1981 et au Portugal depuis la Révolution des œillets en avril 1974 pour célébrer respectivement l’abolition de l’esclavage et la fin de la dictature de Salazar. Sans compter que la liberté reste, soutenait-on, une quête permanente.
Mais, pour Laurent Gbagbo, l’obtention du multipartisme correspondait à la prise de la Bastille en Côte d’Ivoire. De ce fait, sa célébration a été prévue dans les textes fondamentaux du FPI. Et à défaut d’être universelle, cette fête, à son sens, devrait être nationale. Elle devrait pouvoir être célébrée par tous les partis politiques et autres organisations assoiffés de droits de l’Homme et de liberté.
Cela veut donc dire que, selon l’entendement de Gbagbo, la fête de la Liberté ne devrait pas être la propriété exclusive du FPI; le parti n’en étant que l’initiateur. A l’instar de la fête de la Bière ou de la fête du Travail, qui, en provenance d’Allemagne et des USA, ont fini par contaminer le monde entier.
Depuis bientôt trois ans, le FPI est officiellement divisé et scindé en deux blocs rivaux. L’un, reconnu par les autorités ivoiriennes et donc légal, est mené par Pascal Affi N’Guessan. L’autre, condamné par la Justice à la clandestinité et donc dissident, est conduit par Abou Drahamane Sangaré. Conséquence, depuis deux ans, la fête de la Liberté, dans l’étau de la guerre de leadership qui fait rage, est prise dans le tourbillon des antagonismes politiques et des positions à l’aveugle du Pouvoir ivoirien.
En 2015, les deux tendances ont voulu se mesurer à distance mais l’épreuve de force n’a pas eu lieu. Si la manifestation de la branche dissidente du parti, à Mama, village de Gbagbo dans la sous-préfecture de Ouragahio, dans le département de Gagnoa (région du Gôh, du 30 avril au 02 mai), a été dispersée par les forces de l’ordre, l’aile légale a pu organiser la fête de la Liberté, le 23 mai dans la commune abidjanaise de Yopougon.
La démonstration de force n’a pas eu lieu, non plus, en 2016. La tendance légale, conduite par Pascal Affi N’Guessan, a placé la fête de la Liberté sous le signe de la solidarité aux prisonniers politiques de la crise post-électorale. Quant aux adversaires, ils ont célébré, en toute liberté, cette fête, le 30 avril à Orbaff, sous-préfecture du département de Dabou (région des Grands ponts).
C’est le même scénario en cette année 2017. La «fronde» remet ça à Akouré, chef-lieu de commune dans le département d’Alépé (région de la Mé), le 29 avril. La partie légale qui, officiellement, n’a prévu aucune manifestation, se démarque ostensiblement. «Si une fête a lieu à Akouré, ce ne sera pas celle du FPI. Ce qui relève du FPI est décidé par la direction du parti et son président que je suis. Donc, pour le moment, on n’a pas décidé de faire une fête de la liberté à Akouré. Tous ceux qui ne veulent pas encourager la division ne doivent pas aller là-bas», a déclaré Pascal Affi N’Guessan, le 10 avril à Montezo, village de la sous-préfecture d’Alépé.
Le rêve de Gbagbo est ainsi devenu un cauchemar. Ses héritiers politiques ou prétendus tels, non contents de réduire le FPI, son legs, à sa plus simple expression, s’écharpent sur la paternité d’une initiative politique qu’il voulait ouverte à tous. Et au lieu d’attirer, la fête de la Liberté vire à la ghettoïsation.
Bally Ferro