Gbagbo : le drôle de retour au pays natal
Les signaux problématiques de l’ancien numéro un ivoirien
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Jeudi prochain, cela fera une semaine que l’ancien président ivoirien aura foulé le sol de son pays pour la première fois après dix années terribles : la prison, la réprobation internationale puis l’exil.
Que peut-on, avec un peu – mais très peu – de recul, tirer comme leçons de ce retour au pays natal ? Premièrement, que la ferveur populaire visible à Abidjan traduit une réalité : l’échec de la stratégie de la « page tournée » et de la construction d’un nouvel ordre politique purgé du « gbagbo-isme » et de tout ce qui y ressemble. La « démocratie des bombes » n’a pas triomphé de la conscience historique de nombre d’Ivoiriens et d’Africains qui, dans le chaos de l’actualité, savent reconnaître la trame d’une revendication têtue : celle de l’affranchissement d’un ordre impérial qui n’en finit pas de se renouveler.
Double discours
Gbagbo est rentré. Il a été acclamé. Mais la scénographie du pouvoir d’Abidjan a témoigné d’un double discours qui n’est franchement pas de bon augure.
D’un côté, Alassane Ouattara dit que Gbagbo est naturellement bienvenu chez lui – ne faisant en réalité que se conformer à la Constitution qui stipule qu’aucun Ivoirien ne peut être contraint à l’exil. De l’autre, non seulement il n’efface pas une condamnation fantaisiste à 20 ans de prison pour le prétendu « casse » de la BCEAO, mais en plus il fait traîner le processus jusqu’à ce que son rival annonce unilatéralement la date du 17 juin.
D’un côté, il affirme les droits de son prédécesseur à une confortable rente viagère. De l’autre, il ne débloque pas son unique compte en banque.
D’un côté, le gouvernement « prend acte » du retour de « l’enfant du pays » et de la manière dont il sera organisé. De l’autre, la police brutalise, arrose de gaz lacrymogène, bastonne, blesse et arrête ses partisans afin de briser l’ampleur – et l’effet médiatique – de leur liesse.
Gbagbo et Ouattara sont sur le même « terrain ». Et aucun signe ne montre que Ouattara s’en accommodera, en laissant Gbagbo se déplacer accompagné de foules en délire, faire des meetings, peser dans le rapport de forces politique.
“Extimité” affichée
Mais Laurent Gbagbo est-il vraiment revenu au pays pour faire de la politique, c’est-à-dire réunifier son parti dans la perspective des nécessaires batailles pour la démocratisation du pays ? Rien n’est moins sûr. Les signaux qu’il a choisi d’envoyer à l’opinion publique sont en effet terriblement ambigus. L’ancien numéro un ivoirien n’en finit pas d’afficher son “extimité” de manière franchement problématique. Dès le 16 juin, se met en place un feuilleton tournant autour de la “non-désirabilité” à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny de Simone Ehivet Gbagbo – son épouse et dans les faits la première vice-présidente de son parti.
Puis, le 17 juin, ceux qui attendaient des images fortes et un message politique puissant ont eu droit à un gigantesque chaos dont le seul message audible était la “titularisation” officielle de celle qui était depuis plus d’une décennie “la femme cachée”.
Le 20 juin, Laurent Gbagbo et le cardinal Jean-Pierre Kutwa mettent en scène – après avoir pris le soin d’inviter la presse, nationale et internationale – le retour du premier cité à l’église catholique et son désaveu des églises évangéliques avec lesquelles il avait longtemps cheminé aux côtés de… Simone Ehivet Gbagbo.
Et le 21 juin, Claude Mentenon, l’avocat de Laurent Gbagbo, annonce dans un communiqué massivement diffusé avoir saisi la justice ivoirienne en vue d’un divorce suite au “refus réitéré depuis des années de Simone Ehivet de consentir à une séparation amiable”. Drôle de sens de priorités, alors même que des dizaines de jeunes venus participer à l’accueil historique du 17 juin sont toujours dans les liens de la détention, que les blessés sont nombreux – certains étant même, selon des sources proches du comité d’organisation, dans le coma.
Humiliations
Encore plus spécieux : si l’on met bout à bout les signaux envoyés par l’ancien numéro un ivoirien, on en finit par en conclure qu’il fait sien le narratif franco-ouattariste de 2010-2011, selon lequel s’il s’est “entêté” à faire front jusqu’au 11 avril de sinistre mémoire, c’est parce qu’il a été induit en erreur par “Simone et ses évangéliques”. L’humiliation dont l’ancienne présidente du groupe parlementaire du Front populaire ivoirien a été victime après avoir été livrée aux hordes rebelles il y a dix ans et l’humiliation actuelle semblent curieusement converger. Et c’est cet empilement de symboles explicites qui rend grotesque la défense des “inconditionnels” – lesquels en appellent au respect d’une “vie privée” pourtant exposée de manière fort peu élégante par Laurent Gbagbo himself.
Bilan de ces premiers “jours d’après” : là où ils attendaient des actes forts ouvrant la voie à la réunification des différentes tendances du Front populaire ivoirien, les observateurs en sont à s’interroger sur l’éventualité d’un troisième schisme, après ceux de Mamadou Koulibaly et de Pascal Affi N’Guessan.
Pour le parti à la rose, c’est catastrophique.
Théophile Kouamouo