Procès de Bouaké vu par le ministre Koné Katinan
QUAND LE BOMBARDEMENT DE BOUAKE DONNE LIEU AU PROCES DE LA FRANCAFRIQUE
Les croyants l’appellent Dieu, les athées le nomment la fortune ou le destin ; peu importe son nom, il reste un acteur majeur, certes invisible, de l’histoire de l’humanité. Il n’est pas seulement un acteur majeur, il porte toutes les caprices d’une belle dame, se jouant le plus souvent des attentes des puissants courtisans et se laissant séduire par les plus faibles. Il est le maître de son jeu dont il adore surtout les tours d’ironie. Depuis quelques jours, il est à l’œuvre tantôt à Abidjan, tantôt à la Haye, et ces derniers jours à Paris.
En seulement moins d’une semaine, cet acteur prépondérant a fait passer le Président Laurent GBAGBO des sombres et obscures profondeurs de l’histoire, dans lesquelles tout un système maléfique s’est attelé à le maintenir, à la plénitude de la lumière de celle-ci dans un scénario fantastique quasi-indescriptible. De ce point de vue, le procès qui s’est tenu à Paris relatif au bombardement à Bouaké d’une base militaire de l’armée française en novembre 2004 a un effet amplificateur de la décision d’acquittement définitif du Président Laurent GBAGBO et du ministre Charles Blé Goudé rendue par la chambre d’appel de la CPI le 31 mars dernier. Laurent GBAGBO, blanchi à la Haye, est immaculé à Paris et, suprême délice, par ceux qui depuis plus de 20 ans (à compter du 26 Octobre 2000) se sont appliqués à le salir.
Ainsi, tous les témoins clés : le général Henri Poncet, Dominique de Villepin, Michèle Alliot Marie, Michel Barnier, Michel de Bonnecorse, à quelques mots près, ne tiennent plus le Président Laurent GBAGBO pour coupable dans cette affaire qui a couté la vie à des soldats français. Pourtant, aucune de ces personnes n’est amie à celui-ci. Bien au contraire, elles ont rivalisé d’ingéniosité pour le combattre sans lui faire le moindre quartier de 2000 jusqu’en 2011.
Si pour une bonne partie de l’opinion ivoirienne, ces dépositions à décharge pour le Président Laurent GBAGBO de la part de ses pires ennemis n’apportent rien de nouveau à l’évidente vérité sur l’innocence de celui-ci, le procès de Paris a au moins l’avantage de renseigner sur la complexe articulation de la Françafrique et sur son mode opératoire, et surtout sur l’intention réelle qui se cachait derrière la manipulation de l’aviation ivoirienne ce 6 novembre 2004.
1. La Françafrique, comme une mafia La Françafrique est une organisation hétéroclite qui articule dans un but criminel des barbouzes du CAC 40 français d’un côté et, de l’autre côté, des barbouzes politiques ou certains cercles ésotériques, tous unis par l’appât du gain financier. Sur ce point, le témoignage de l’ancien patron du COS en est le plus révélateur. Dans le compte rendu du procès qu’il fait dans son édition du 10 Avril 2021, Emmanuel Leclère de France Inter écrit ceci : « Henri Poncet en veut également beaucoup aux milieux d’affaires franco-ivoiriens qui ont poussé des cercles proches du pouvoir ivoirien à en finir avec les rebelles. Il désigne ces milieux d’affaires qui n’en pouvaient plus de la crise économique, des banques qui commençaient à fuir le pays, des factures d’électricité qui n’étaient plus payées au nord. Il parle de chemin de fer à l’arrêt entre la Côte d’Ivoire et les pays plus au nord (Burkina Faso et le Mali) qui ne permettait plus d’écouler les marchandises depuis le port d’Abidjan et vice-versa) ». Qui est assez aveugle pour ne pas voir dans cette description les nouveaux « seigneurs des brousses africaines » que sont la Générale et la BNP pour les banques et évidemment Bouygues pour l’eau et l’électricité, et Bolloré pour les rails. Ce sont les acteurs de l’ombre de la Françafrique qui tirent les ficelles et font danser, en Afrique comme en France, les hommes politiques dont ils contrôlent tous leurs gestes comme de vrais pantins. Ce rôle que Gbagbo a refusé de jouer. Pour le combattre, toute la machinerie de l’Etat est mobilisée ; les services secrets, l’armée, les tueurs de l’ombre de la république, les fonctionnaires des grands centres de décisions forment autant de centres opérationnels. Ce détournement de l’appareillage de l’Etat à des fins personnelles ne se fait pas souvent sans accrocs. C’est le deuxième enseignement de ce procès.
2. Les nombreux centres d’intérêts de la Françafrique agissent tantôt en forces centrifuges tantôt en forces centripètes. Ce procès s’est terminé sans que l’on ne sache exactement qui a donné l’ordre de libérer les personnes soupçonnées d’avoir largué des bombes sur des soldats français dans leur quartier général du Lycée Descartes de Bouaké. L’absence desdits auteurs présumés, les seuls à détenir l’identité de celui ou de ceux qui ont donné l’ordre d’attaquer cette base militaire, fait dudit procès une foire aux mensonges et à la mauvaise foi, le tout enrobé dans une certaine arrogance affichée par des personnes assurées de leur impunité. Les uns accusent les autres qui, à leur tour accusent les uns, chacun espérant se dédouaner de cet assassinat prémédité (c’est l’interprétation sui se dégage de la condamnation des fantômes de ce procès). Pour sa part, le ministre des affaires étrangères se dit avoir été exclu du dossier ivoirien sur injonction directe de Jacques Chirac, là où le ministre de l’intérieur qui s’emballe dans un cours de droit constitutionnel devant la Cour, la ministre de la défense se donne ses propres règles du droit international et est immédiatement contredite par son propre conseiller juridique, et des hauts gradés militaires qui renvoient la balle dans le camp des politiques. Tout laisse croire que dans ce dossier ivoirien, certains centres opérationnels ont fait des croc-en- jambes à d’autres dans un jeu de manipulation dont le maître ne pouvait se trouver nulle part ailleurs qu’à l’Elysée. Les nombreux documents déclassifiés dans le cadre de cette affaire attestent que derrière cette bataille entre forces centrifuges et forces centripètes se cachait un projet de coup d’Etat contre le Président Laurent GBAGBO. C’est le troisième renseignement de cette audience assez particulière.
3. Il y avait bel et bien un projet de dégommage du Président Laurent GBAGBO. Celui qui a certainement effleuré la vérité dans sa déposition pourrait bien être Michel Barnier, ministre des affaires étrangères au moment des faits. Le dossier Ivoirien était vraiment une affaire exclusivement militaire. Les nombreuses notes que le général Georgelin, alors Chef de l’Etat-major particulier du Président Jacques Chirac et dont copies ont été régulièrement transmises à Michel de Bonnecorse, Conseiller Afrique de Jacques Chirac à cette époque, n’en sont pas la moindre des preuves. Lesdites notes ne portaient pas seulement sur les questions militaires. Bien plus, elles renseignaient voire conseillaient le Chef de l’Etat français sur les questions diplomatiques et politiques. La position privilégiée de Michel de Bonnecorse au moment des faits le place en sachant le plus averti sur le coup tordu perpétré contre le Président Laurent GBAGBO. L’une de ces notes reste énigmatiques. Bien lue et recoupée avec celles qui l’ont précédée et certaines qui lui ont succédé, cette note ne laisse aucun doute sur la volonté délibérée d’en finir avec GBAGBO.
L’opération dignité, nom de code donné aux opérations de reconquête du nord tenu par les rebelles, a commencé le 4 novembre 2004. Le lendemain 05 novembre, dans sa note écrite au Président Chirac, voici exactement ce qu’écrit le général Georgelin : « La situation est calme ce matin sur l’ensemble du pays. Les opérations observées hier (4 actions) sont restées, pour l’heure, uniquement aériennes et les objectifs visés semblent être exclusivement militaires. Les dégâts causés sont mineurs. Aucune action terrestre n’a été observée. A Abidjan, l’agitation relevée hier (incendie des locaux des journaux d’opposition, mouvements d’opposition, mouvements contre les ministres issus des forces nouvelles, occupation de carrefours routiers) a semblé bien coordonnée par la Présidence ivoirienne. Les intérêts et ressortissants français n’ont à aucun moment été visés de façon particulière ».
Le samedi 6 novembre 2004, rendant compte à son patron des opérations militaires menées par les FANCI la veille, c’est-à-dire le 05 Novembre, le Chef d’Etat-Major particulier de Chirac écrit : « La situation est calme ce matin, malgré une certaine tension dans la zone de confiance et dans certaines villes tenues par les Forces Nouvelles, proches de cette zone. Les trois actions aériennes observées hier, identiques à celles de la veille, se sont concentrées sur des objectifs militaires. Les mouvements d’unités FANCI effectués dans la zone de confiance laissent penser à des préparatifs d’une possible action terrestre aujourd’hui, d’envergure limitée, essentiellement sur Bouaké. Conformément à vos directives, nous procédons aujourd’hui à la mise en place de 3 Mirages F1 à Libreville, qui seront prêts à agir dès demain. ». Tout esprit critique ne peut que s’interroger sur la raison de la mobilisation à Libreville des avions de chasse de l’armée française dans un contexte où aucun intérêt français n’était menacé et qu’aucune population civile n’était prise pour cible par les raids de l’armée ivoirienne à Bouaké. A moins que le Président Chirac, qui se plaisait à se faire appeler « l’Africain », eût finalement adopté l’une des merveilleuses religions africaines qui lui pourvut le don de prédire bien longtemps que l’aviation aérienne frapperait l’une des positions de l’armée françaises basées à Bouaké.
Quand on met cette instruction de Chirac dans le contexte qui a précédé le début de l’opération dignité, l’intention maléfique d’une partie du pouvoir français de l’époque a du mal à se cacher. En effet, dans une autre note déclassifiée que le général Georgélin adresse au Président Chirac en vue le 2 novembre 2004, quelques passages suscitent beaucoup d’interrogations. Dans cette note, le général écrit ceci : « Pour autant une offensive des FANCI entraînerait des dégâts considérables pour la suite du processus de reconstruction du pays. Aussi il apparaît impératif de tenter de dissuader le président Gbagbo en lui soulignant les risques encourus par une telle aventure, condamnation de la communauté internationale et isolement sur le plan politique, riposte possible des Forces nouvelles et intervention possible du Burkina Faso et du Libéria sur le plan militaire ». Cette note, mise en rapport avec celle que Michel de Bonnecorse avait adressée au Président Chirac en guise de préparation du coup de fil que le celui-ci devait passer à son homologue ivoirien le 02 novembre 2004, établit clairement que les autorités françaises ne voulaient absolument pas de l’opération dignité et tenaient d’emblée le Président Laurent GBAGBO responsable pré-désigné de tout ce qui se passerait. Au point (d) de cette note, de Bonnecorse écrit « Si les Fanci cherchaient à prendre position au Nord, il est clair que les risques seraient grands pour la Côte d’Ivoire – Incidents graves avec l’ONUCI et la force Licorne, – isolement diplomatique, – risques de massacre dans les populations civiles, – effet boomerang à craindre: les Fanci peuvent peut être prendre des gages dans le Nord, mais pourront ils les conserver? Les rebelles ne se saisiront ils pas l’occasion pour prendre des gages au Sud? – en cas d’attaque, nous avons un mandat des Nations unies, nous serons obligés de le remplir. A cet égard le positionnement hier d’avions d’attaque au sol à Yamoussoukro nous paraît très risqué. ». Pourquoi le Burkina Faso et le Libéria devraient-ils intervenir dans un conflit militaire interne à la Côte d’Ivoire qui opposait l’armée ivoirienne aux rebelles. L’armée ivoirienne, conformément à sa mission régalienne tentait de récupérer une partie du territoire national occupée par une rébellion ?
Le moins que l’on puisse dire, aucune des prévisions de Michel de Bonnecorse ne s’était réalisée le 6 Avril 2004 comme l’attestent les différentes notes journalières que le chef d’Etat-Major particulier de Chirac lui faisait. Le succès de l’opération militaire dignité équivalait la fin des accords de Marcoussis et la déchéance totale de l’influence française en Côte d’Ivoire. Et les faucons proches de Chirac, certainement plus extrémistes (ils sont soupçonnés d’avoir quand même sacrifié des vies humaines de leurs propres militaires) que ceux qu’ils désignent comme tels du côté de Gbagbo, ne pouvaient pas accepter. L’on sait que le coup de fil du 2 novembre 2004 entre le Président français et le Président ivoirien, que l’ambassadeur Le Lidec, en poste à Abidjan, avait tenté en vain d’annuler afin de ne pas envenimer davantage la situation entre les deux Chefs d’Etat, s’est effectivement mal passé entre Chirac, arrogant dans la pure tradition gaulliste, et Gbagbo qui refusa le ton très martial du discours de son interlocuteur de ce jour. Ce coup de fil avait pour but de dissuader le Président Laurent GBAGBO de sursoir à l’opération dignité ; ce que, selon son propre témoignage, l’ambassadeur Le Lidec avait obtenu du Président ivoirien.
Dans ces conditions, dire que la présence nocturne d’une colonne de chars du colonel Destremeau, tout opercule ouvert ce 6 novembre 2004 devant la résidence du Président Laurent GBAGBO serait due à une erreur de repérage relève de l’humour français qui passe mal. Le Président Laurent GBAGBO sort entièrement blanchi de cette affaire, nous en sommes contents.
Mais la vérité sur cette affaire ne peut s’arrêter en si bon chemin. Parce que cette opération meurtrière du 6 novembre 2004 n’a pas coûté la vie à seulement 9 soldats français, mais aussi à plus de 80 citoyens ivoiriens, froidement tués par l’armée française le 9 novembre 2004. Tant que justice ne leur est pas rendue, nous chercherons toujours cette vérité, parce que ce sont des Ivoiriens comme nous ; et autant les Français aiment les leurs, nous aussi aimons les nôtres. Il faudra bien qu’un jour de Bonnecorse et Alliot Marie nous disent où est passé ce mystérieux télégramme de l’arrestation des présumés coupables au Togo, que Poncet et Destremeau, qui est devenu entre-temps général, nous disent où se trouvent les boites noires des avions qu’ils avaient détruits au sol. Les dizaines de nos compatriotes qui ont perdu la vie ou sont blessés pour la vie, du fait de l’armée française le 9 novembre 2004 devant l’hôtel Ivoire, ont besoin de la vérité même si, pour le moment, personne ne leur apporte le moindre bouquet de fleur, et qu’aucun média français n’en souffle mot.
Le ministre Justin Katinan KONE
Justin Koné Katinan Officiel