« Pardon à l’enfant de Samuel Paty : la France n’a pas su protéger votre père des fatwas criminelles »
Humeur
Par Nathalie Bianco
Publié le 18/10/2020 à 12:11
« Je ne veux plus d’accommodements raisonnables, de petits compromis et de prise en compte des sensibilités ». Nathalie Bianco, militante laïque et auteure des livres « Les printemps » et « Les courants d’air » exprime sa colère, après l’attentat islamiste qui a tué l’enseignant Samuel Paty.
Rien. Je n’ai plus rien. Plus de larmes, plus de bougies.
Plus d’envie de discuter, plus de compréhension.
Plus de patience, surtout.
Je n’ai plus que de la colère. Immense.
Il paraît que la colère est mauvaise conseillère. Mais moi aujourd’hui, je n’ai pas envie de la faire redescendre. Parce qu’il est légitime d’être en colère, d’être furieux quand, en France, en 2020, un professeur est décapité en pleine rue.
Moi aujourd’hui, j’ai juste envie d’hurler ma rage et aussi de demander pardon. « Pardon de n’avoir pas été assez en colère, pardon d’avoir allumé des bougies. »
Pardon à nos enfants. Pardon de ne pas avoir été plus en colère, jusqu’à maintenant. Pardon aux enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse, à Arié, Gabriel, tué la tétine dans la bouche, à la petite Myriam, traînée par les cheveux puis abattue à bout portant.
Pardon aux grands enfants, ceux qui pouffaient de rire dans la rédaction de Charlie Hebdo quand ils préparaient leurs bonnes blagues.
Pardon aux gamins de Nice, écrasés sous les roues d’un camion, un soir de feu d’artifice.
Pardon au petit garçon des policiers de Magnanville, qui a vu ses parents égorgés sous ses yeux.
Pardon à l’enfant de ce professeur, décapité en pleine rue. Nous n’avons pas su protéger votre père des fatwas criminelles de parents d’élèves qui ce soir, retrouveront tranquillement leurs familles, pendant que vous, vous vivrez à jamais avec l’image d’une tête coupée postée sur Twitter.
Pardon à mes enfants aussi, qui sont déjà grands et si peu préparés à cette société dans laquelle ils auront désormais le choix entre subir la loi de la violence wesh wesh des jungles urbaines ou se soumettre aux diktats des nouveaux ayatollahs.
Pardon de n’avoir pas été assez en colère, pardon d’avoir allumé des bougies, d’avoir dessiné des cœurs, pardon d’avoir prôné le débat, l’éducation et la pédagogie avec des gens tellement confits dans leur bêtise et leurs croyances qu’ils en sont incapables.
Pardon d’avoir cultivé la naïveté la plus coupable alors qu’il aurait fallu la fermeté la plus intraitable.
L’incessante culture de l’excuse
J’ai regardé les vidéos et lu les posts du père de la gamine par qui l’affaire est arrivée. J’ai lu les réponses, le harcèlement, les appels à la mobilisation relayés par des centaines de comptes privés, d’associations et par la mosquée de Pantin. Leurs discours puent la connerie, la débilité profonde, la misère intellectuelle : « On a montré à ma fille une image d’un homme nu en disant c’est notre prophète ». Le mec fait allusion à l’amusant dessin où Mahomet est représenté en Brigitte Bardot dans la célèbre scène du film Le mépris et où elle demande « Et mes fesses, tu les aimes, mes fesses ? » Comment voulez-vous discuter avec des gens incapables de comprendre la différence entre une photo et une caricature, des gens qui n’arrivent même pas à concevoir des concepts comme l’humour, l’altérité, le second degré ? Ces gens pour qui tout est offense, provocation, indignation ou oppression, tout le temps.
J’ai vu la vidéo d’Abdelhakim Sefrioui, membre du Conseil des imams de France. Il parle du fait qu’on ait montré des caricatures dans un cours dédié à la liberté d’expression dans des termes édifiants : « Nos enfants sont agressés, humiliés (…) Nous les musulmans et les imams, on refuse ce genre de comportement irresponsable et qui ne respecte pas le droit des enfants à garder leur intégrité psychologique (…) On exige la suspension immédiate de ce voyou ». Ces gens qui cultivent l’incessante culture de l’excuse pour ceux qui mettent le feu au commissariatmais qui qualifient un prof engagé et courageux de « voyou » me font vomir.
Voilà. Pardon d’avoir cru qu’on peut discuter et négocier avec des cons pareils. Parce que bien sûr, il y a les barbares violents finis à la pisse, ceux qui passent aux actes, les « déséquilibrés » comme on nous dit la plupart du temps, mais des déséquilibrés qui s’appuient toujours sur un discours, une idéologie. Je ne veux plus d’accommodements raisonnables, de petits compromis et de prise en compte des « sensibilités ».
Parce que, bien avant l’acte, il y a la parole, il y a ceux qui cultivent et entretiennent le terreau de la violence avec ce genre de postures perpétuellement indignées et offensées.
Tous disent la même chose au fond : on ne veut pas vivre comme vous, selon vos règles et vos lois. On veut imposer les nôtres et si vous nous en empêchez, vous êtes coupables. Certains le disent en allant chouiner sur Twitter, dans des manifestations ou au CCIF, d’autres le disent en faisant pression sur les institutions, dans les tribunaux et d’autres encore le disent à coups de kalachnikov ou de hachoirs de boucher.
Les moyens sont différents, le niveau de violence n’a rien à voir mais le discours de fond est le même : ils ne veulent pas de ce que nous sommes.
Ils sont soutenus dans leur croisade par une belle armada de collabos gauchos, qui, pour exister, et avoir un peu de visibilité sont prêts à toutes les bassesses, toutes les compromissions. Il faut se soumettre, se laisser piétiner, et en plus, il faut baisser les yeux.
Il ne faut pas s’indigner trop fort. Il faudrait pleurer en silence. Mollo sur les plaques commémoratives à Arnaud Beltrame. Mollo sur les termes. « Incivilités » c’est bien suffisant. « Sentiment d’insécurité », ça passe mieux. Mollo sur la stigmatisation. Il ne s’agirait pas de faire le jeu de…
« Mollo » sur la réalité en fait.
Je ne sais plus qui disait : « Ils nous massacrent et ils viendront pisser sur nos tombes », la formule est cruelle, mais juste.
Les coups de menton ridicules, c’est terminé
Alors moi, aujourd’hui, je n’ai plus envie de discuter, de comprendre.
Je n’ai plus de patience. Je n’ai que ma colère.
Je ne veux plus lire les articles sur « l’enfance misérable des frères Kouachi » de Plenel, les déclarations d’amour de Despentes pour les tueurs de Charlie, les envolées lyriques de Houria Bouteldja : « Mohamed Merah c’est moi ».
Je ne veux plus d’accommodements raisonnables, de petits compromis et de prise en compte des « sensibilités », parce que ça ne sert à rien, ça n’a jamais de fin.
Les déclarations théâtrales, les gesticulations et les coups de menton ridicules, les « Ils ne passeront pas », les « la plus grande fermeté » de nos politiques lamentables, c’est terminé.
Les justifications tordues, les « ils n’auront pas ma haine », les appels à « s’aimer très forts » et à la cohésion, c’est terminé.
Je ne veux pas « cohésioner » avec des gens qui font de notre vie un enfer, depuis des années.
Je ne veux plus allumer de bougies, parce que je ne supporte plus de vivre dans cette obscurité à laquelle nous nous sommes habitués progressivement, mais qui nous tue.
Je ne veux plus alimenter ces petites flammes tremblotantes et tellement inutiles.
Je veux le feu. Celui qui n’aurait jamais dû cesser de nous animer, celui de l’attachement viscéral à nos valeurs, celui du courage et de la détermination à les défendre, celui de la révolte.
Celui qui, n’aurait jamais dû cesser de nous dévorer : celui de notre liberté.
Par Nathalie Bianco