Les conditions de la tenue d’un scrutin ne sont pas remplies !
« AUCUNE DES CONDITIONS REQUISES POUR LA TENUE D’UN SCRUTIN RELATIVEMENT NORMAL N’EST REMPLIE « .
DÉCRYPTAGE DE la SITUATION , À UN MOIS ET DEUX JOURS DU SCRUTIN, AVEC #Bernard_Houdin, LE CONSEILLER SPÉCIAL DE LAURENT GBAGBO DANS LE JOURNAL MARIANE
Le calendrier est connu, fixé et théoriquement intangible : le 31 octobre prochain, les électeurs ivoiriens devront choisir leur président pour les cinq années à venir. Le treizième depuis l’indépendance et l’accession au pouvoir du tout premier d’entre eux, Félix Houphouët-Boigny, « le père de la nation » resté en place jusqu’à son décès en 1993.
Si vingt-sept ans plus tard, le pays a connu nombre de soubresauts, notamment la terrible guerre civile de 2010, le parcours des principaux acteurs du scrutin est d’une manière ou d’une autre lié à l’ère Houphouët-Boigny : c’est le cas d’Alassane Ouattara, 78 ans le président sortant qui fût son Premier ministre pendant trois ans, c’est également celui de Henri Konan-Bédié, 86 ans, l’héritier du Vieux (le surnom d’Houphouët) à la tête du PDCI-RD, l’ancien parti unique et son successeur à son décès. Enfin, cette filiation concerne pareillement Laurent Gbagbo, 75 ans, l’opposant historique d’Houphouët-Boigny et lui-même ex-président de 2000 à sa chute en 2010.
Trois « séniors » présents depuis des décennies dans la vie politique ivoirienne et n’ayant jamais cessé de se disputer la fonction suprême.Rivaux du temps d’Houphouët puis alliés après 2010, les deux premiers ont rompu en 2018 et sont aujourd’hui les pires ennemis de la terre. Soutenu par l’ONU, et les forces militaires françaises, lors de la crise électorale de 2010-2011, Alassane Ouattara se retrouve aujourd’hui très isolé sur la scène internationale comme dans son propre pays. Initialement, il avait décidé de ne pas briguer un troisième mandat successif, entre autres parce que la plupart des experts ivoiriens, y compris ceux proches du régime, lui en avaient démontré l’inconstitutionnalité. Le décès brutal, cet été, de son Premier ministre et dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly, expliquerait son changement d’attitude, fort peu prisé par la plupart des chancelleries occidentales mais aussi dans plusieurs pays africains. L’annonce récente de son revirement a entraîné des manifestations sporadiques dans tout le pays, causant la mort d’une dizaine de personnes, et a réveillé le spectre de la guerre civile et des massacres commis par les rebelles nordistes dans l’ouest du pays en 2011.
QUATRE CANDIDATURES RETENUES
Les tensions sont d’autant plus fortes que sur la quarantaine de candidatures pour l’élection, le Conseil constitutionnel ivoirien n’en a retenu que quatre, éliminant entre autres celles de Guillaume Soro et Laurent Gbagbo au prétexte que l’un et l’autre font l’objet de condamnations. Ancien chef des rebelles du Nord devenu Premier ministre de Ouattara puis président de l’Assemblée nationale et désormais poursuivi pour tentative de « déstabilisation », Soro s’est réfugié successivement au Ghana et actuellement à Paris.
Acquitté définitivement par la CPI après sept années de détention à La Haye, libre de ses mouvements dans tous les pays membres de la Cour, dont la Côte d’Ivoire, Gbagbo, lui, demeure toujours à Bruxelles où il attend que les autorités ivoiriennes veuillent bien lui délivrer le passeport lui permettant de rentrer dans son pays. Dans une longue interview publiée par Paris-Match, Alassane Ouattara le qualifie de « frère » ayant commis des erreurs mais c’est pour aussitôt l’accabler en le présentant comme un comploteur et un danger pour la paix civile au même titre que Soro et Konan-Bédié.Remonté comme un coucou malgré son grand âge (et une candidature dissidente au sein du PDCI), ce dernier a lancé un appel à la désobéissance civile aussitôt appuyé par Soro et Gbagbo comme par une nébuleuse de syndicats, ONG et de mouvements divers. Mieux, ou pire pour le régime : par deux fois, la Cour africaine des droits de l’homme a exigé que Soro et Gbagbo soient réintégrés sur les listes électorales. Et pour le second que soit effacé la mention d’une condamnation à 20 ans de prison dans l’affaire dite du « braquage de la BCEAO », la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, lors de la crise post-électorale de 2010-2011. Face à l’intransigeance d’un Alassane Ouattara en passe de « manquer » sa sortie de la vie politique, les trois autres font provisoirement front commun. Avant peut-être de se déchirer à nouveau à belles dents.
Décryptage de la situation, à un mois et deux jours du scrutin, avec Bernard Houdin, le conseiller spécial de Laurent Gbagbo.
Marianne : Alassane Ouattara va partir, répétez-vous sur les réseaux sociaux. Vous croyez vraiment à votre prédiction ?
Bernard Houdin : Si je défends un camp symbolisé par un homme, Laurent Gbagbo, je suis aussi en mesure d’analyser et d’observer froidement la situation d’un pays que je crois très bien connaître. Nous avons une élection présidentielle dans un peu plus d’un mois et aucune des conditions requises pour la tenue d’un scrutin relativement normal n’est remplie. Si on se fie par exemple à la liste électorale des autorités nous serions passés de 6 à peine 7 millions d’électeurs. C’est très invraisemblable. Concernant la commission électorale, la Cour africaine des droits de l’homme a demandé à ce qu’elle soit réformée. Sans succès à ce jour. Sur quarante candidatures, seules quatre ont été retenues et c’est d’autant plus scandaleux que celle de M. Ouattara est parfaitement illégitime. Il ne peut candidater à un troisième mandat car la Constitution de ce pays n’autorise que deux mandats de cinq ans successifs. Il n’y a pas de débat sur le sujet.
Marianne : Apparemment selon lui et ses partisans si et vous connaissez leur argument : la dernière Constitution date de 2016 et elle aurait instauré une nouvelle République de Côte d’Ivoire, remettant en quelque sorte les compteurs à zéro.
C’est faux. L’article 183 de la Constitution réformée indique clairement que les articles non abrogés de l’ancienne restent valables et ne sont pas suspendus, notamment celui relatif à la limitation des mandats à deux successifs. Les constitutionnalistes de Ouattara l’ont eux mêmes reconnu, le Conseil constitutionnel l’a reconnu en 2018 avant de se parjurer aujourd’hui.
Marianne : Et vous en concluez qu’il doit ou va partir …
Mais sa situation est intenable! Son mandat va bientôt se terminer, sa candidature est illégale et il a face à lui la quasi totalité de l’opposition-politique et syndicale-ainsi que la société civile, unie dans le principe de désobéissance civile : s’il n’y a pas consensus autour des conditions présidant à cette élection, il n’y aura pas d’élection, c’est tout.
Marianne : Que faudrait-il pour qu’il en aille autrement ?
Nous voulons que les règles de droit soient respectées comme dans tout régime démocratique. Il faut donc revoir le fonctionnement et la composition de la commission électorale et les règles du Conseil constitutionnel sinon cette élection ne se déroulera pas dans le climat apaisé dont le pays a besoin. Les choses sont pourtant claires : le mandat de M. Ouattara arrive bientôt à échéance, le constitution ne prévoit pas de prolongement pas plus qu’elle ne l’autorise à briguer un nouveau mandat. Qu’il en tire les conclusions qui s’imposent. Qu’il dise clairement : « Je ne suis pas candidat » et alors l’opposition pourrait engager des discussions avec le gouvernement pour qu’on sorte de l’impasse et préserve la stabilité de la Côte d’Ivoire. Nous ne pouvons nous permettre d’affronter une crise comparable à celle de 2010-2011.
Marianne : Des discussions dans quel but ?
Afin de préparer une élection digne de ce nom. Je ne veux pas m’exprimer à la place des intéressés mais un comité de transition pourrait s’en occuper, il serait composé d’arbitres non impliqués dans la future élection. S’il admet qu’il ne se présentera pas, M. Ouattara pourrait ainsi y figurer, pourquoi pas…
Marianne : Quel rôle Laurent Gbagbo peut-ils jouer dans cet hypothétique processus ?
La candidature de Laurent Gbagbo a été rejetée par le Conseil constitutionnel, lequel en revanche n’a pas hésité, je le répète à se parjurer en validant celle de M.Ouattara. Mais il reste le point focal de la vie politique ivoirienne et pour de nombreux Ivoiriens, le candidat naturel, l’homme à même de proposer une véritable réconciliation nationale, promise depuis des années et jamais réalisée. Si le régime consent enfin à lui donner le passeport qu’il a demandé en bonne et due forme, son retour je peux vous l’assurer sera triomphal.
Marianne : Dans une interview accordée à Paris Match Alassane Ouattara qualifie sa candidature comme celle de Guillaume Soro de provocation. Ils font l’objet de condamnations dans leur pays, explique-t-il et savaient donc parfaitement qu’ils ne pouvaient se présenter.
Ces propos sont hallucinants et insupportables et c’est tellement vrai que la Cour africaine des droits de l’homme a demandé la réintégration des deux sur les listes électorales dont ils ont été radiés tout comme l’exige Henri Konan Bédié. Pour ce qui est des provocations, c’est plutôt M. Ouattara qui en use et en abuse ainsi quand il suggère que s’il revenait au pouvoir Laurent Gbagbo s’en prendrait aux populations du nord et que lui est un rempart contre cette menace. Faut-il rappeler que le nordiste Issa Malick Coulibaly, l’oncle du défunt Premier ministre de Ouattara Amadou Gon Cloulibaly (décédé au mois de juillet dernier) a été le directeur de campagne de Laurent Gbagbo en 2010 et aujourd’hui un de ses proches conseillers. Les Coulibaly, je le rappelle sont une famille majeure du Nord, ayant fondé la ville de Korhogo au 18ème siècle. Les propos de M.Ouattara sont ineptes et visent à réveiller des divisions communautaires et religieuses qui n’ont pas lieu d’être.Marianne : Quelle doit être l’attitude de la France, selon vous ?De ne pas répéter les erreurs interventionnistes du passé et de se tenir à l’écart des débats ivoiriens. Le président Macron est l’héritier de soixante ans de Françafrique dans laquelle il a peu de responsabilités. Il a salué la décision initiale de M. Ouattara de ne pas briguer un troisième mandat. Il a l’occasion de dire que pour la France, si M.Ouattara s’entête à violer la constitution, il en va de sa responsabilité d’en assumer les conséquences. Laurent Gbagbo est un francophile historique, il a pu critiquer tel ou tel aspect de la politique française pendant son mandat mais n’a jamais rien entrepris contre notre pays. Même pendant son incarcération, il n’a jamais attaqué la France et il avait pourtant quelques motifs à le faire….
Dossier réalisé par Alain Léauthier, le 28/09/2020