Place au jeune Gon Coulibaly
Je l’ai vu manœuvrer ce jeudi 12 mars à l’hôtel Ivoire. Seuls les naïfs peuvent penser que cette cérémonie était improvisée. Elle était en direct sur la webTv maison. Pour parler à tout le monde à la fois. Communauté nationale et surtout, communauté internationale. Pour montrer qu’il part, en très bonne santé et que son successeur désigné était davantage le choix de son parti et non imposé par lui.
Une convention anticipée
Ton camarade a dirigé la réunion du conseil politique de son rassemblement élargi aux structures de base, de 17 h30 à 00h30 sans donner le moindre signe d’essoufflement.
À l’origine, il s’agissait pour ton camarade d’expliquer sa décision de ne pas s’aligner pour un troisième mandat à la tête du pays. Sa déclaration, le 5 mars 2020 devant le Congrès, à Yamoussoukro, avait dérouté ses proches, ses partisans comme ses opposants et ses détracteurs. Il a donc voulu rassurer les militants et membres de son parti. Mais il a fait coup double. La réunion a pris les allures d’une convention anticipée.
Ham’Back, le flingueur
Ton camarade a su choisir les mots pour émouvoir son assistance et convaincre les uns et les autres à comprendre sa décision. Dans son discours, il a tour à tour, porté le costume du président de la République, de la conscience de l’Etat, du chef de parti, du père de famille, du grand-père qui a beaucoup donné pour son pays, pour son parti et qui demande à se reposer. À passer la main. Il a donné l’image d’un chef qui n’est pas dévoré « par l’amour du pouvoir mais par le pouvoir de l’amour. ».
Il a su faire chavirer les cœurs et les émotions de ses partisans. « Laissez-moi partir… Quand je finis de dîner, je me couche et je me réveille à 4h30 du
Matin. Je travaille jusqu’à 7 h. Puis à 10 h, je suis au bureau… ». Ou alors, « il faut une nouvelle génération à la tête du pays… Des jeunes compétents, intelligents, travailleurs… ». Dans une Afrique du pouvoir absolu, un Chef qui supplie ainsi ses partisans pour abandonner les tabourets, fait couler des larmes.
Mais à aucun moment, il ne dit le moindre mot de son successeur. Sauf le portrait-robot. La tâche revient au flingueur de « La Case élargie », au fils spirituel…
Hamed Bakayoko ouvre le bal. Quoi de plus normal! Il est l’un des plus danseurs de la maison. En plus, il est de ceux à qui l’on prêtait une ambition présidentielle. Il s’efface devant « Le lion ». La messe est dite.
Le Festi-Gon
Ton Camarade est un alors dans le rôle parfait du maître de cérémonie. Yves Zogbo ne ferait pas mieux. « Je veux que tout le monde parle. Qu’au sortir de la salle, personne ne dise que le Président a imposé un candidat… ». Les uns et autres défilent. Stratège, ton camarade. Tous ceux qui ont en coulisses manifesté une quelconque envie de candidature en cas de primaires, sont invités à la tribune. Dans cette salle, devant le grand patron, distributeur en chef des tabourets, détenteur du bic, après le « N’domolo » de Ham’Bak, le culte de la personne. Le culte du président du Rassemblement des Houphouëtistes et le plébiscite de Amadou Gon Coulibaly comme candidat et successeur tout désigné. Sauf deux intervenants. Ahoussou-Kouadio Jeannot et surtout Mabri Touakeuss. Les deux glissent et dégagent en touche. L’un et l’autre déposent la balle dans le camp de ton camarade. Mabri Touakeuss est plus énigmatique: il n’est pas contre mais appelle au dialogue comme le ferait le père fondateur. Décodage: son soutien ne sera pas gratuit ou vaudra plus qu’un poste ou deux postes ministériels. Peut-être vise-t-il haut, la vice-présidence. Pourquoi pas?
Anne Ouloto, « Président, je vous aime. »
Dans le flots des discours lénifiants ce jeudi 5 mars à l’hôtel Ivoire, Anne Ouloto a enlevé la flamme de l’amour. « Président, je voudrais vous dire, ce que je n’ai jamais dit. Ce que je dis secrètement: je vous aime. ». Elle a vite compris l’étonnement de l’assistance et ajoute aussitôt « j’aime aussi la première Dame. ». C’était donc l’amour platonique. À vite transférer sur Amadou Gon Coulibaly…
Fernand Dédeh
Opinion: Amadou Gon, le retour de la fidélité
La première fois que j’ai interrogé Amadou Gon en tant que jeune journaliste, c’était en 1998. Alors rédacteur en chef de l’hebdomadaire l’Agora. Ce jour-là, rendez-vous au domicile de l’ancien directeur général adjoint du BNETD et membre de la direction du Rassemblement des Républicains (RDR). Cette année-là, Alassane Ouattara est au centre de tous les crispations en Côte d’Ivoire. Au temps de l’Ivoirité rayonnante. L’Ivoirité dévoyée. Ma question qui met mon interlocuteur dans tous ses états:
« Si ADO n’est pas autorisé à se présenter à l’élection présidentielle, vous allez faire quoi? »
La réponse est fulgurante. L’homme s’énerve. Il manque de peu de vider le contenu de sa tasse sur la table. Il bouillonne. Je l’observe. Et j’enfonce le clou: « après la colère, vous allez faire quoi »? « Qu’ils essaient… Qu’ils essaient… On verra… Qu’ils essaient… ». Mon chef Bamba Alex Souleymane qui m’accompagnait me demande de stopper l’interview. Je m’exécute. Mais je comprends tout.
L’homme est un inconditionnel de ADO et est prêt à faire don de sa vie pour lui. Il est engagé corps et âme pour lui.
Amadou Gon est de tous les combats pour la dignité de son chef. Je l’ai régulièrement rencontré au bureau de son président à la Rue des Jardins, entre 2000 et 2001. Je venais de rejoindre la télévision nationale et je souhaitais le recevoir sur le plateau de l’émission politique « 90 mn pour convaincre ». Il a toujours refusé de se prêter au jeu.
30 ans qu’il se bat aux côtés de celui qu’il a choisi comme référent. Ce dernier lui rend bien la monnaie. Il vient de lui faire ce que nous appelons en football, une passe décisive. La récompense de la fidélité, reconnaissance de son engagement à ses côtés.
Amadou Gon Coulibaly à la réputation d’un homme cassant. Au commerce et dialogue difficiles. « Il ne discute pas. Il soumet. Ou tu es avec lui ou tu es contre lui. ».
Il a aussi la réputation d’un homme replié sur sa communauté et qui ouvre peu, la main.
Désigné candidat à la présidence, il devra fondre une image qui dégage la peur. Huit mois pour convaincre et comme il le souhaite, « gagner au premier tour… »