CPI, charger l’accusé à tout prix
ALAIN CAPPEAU A ECRIT A LA CPI
Cher Monsieur le Président,
« Mon devoir est de parler, disait Emile Zola dans J’accuse. Je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis ».
Monsieur le Président, vous avez l’honneur de diriger les débats d’une éminente Cour de justice qui instruit la procédure, le Procureur contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.
Si à ce titre vos prérogatives et charges vous commandent en conscience de dire une vérité, sa recherche devra être inévitablement transversale à l’histoire riche et complexe de Laurent Gbagbo depuis sa première élection en 2000, et non pas circonscrite à la dimension que veut bien en donner l’accusation.
En effet, comment pourrait-on discourir sur la recherche d’une vérité, quand son champ d’investigation est volontairement tronqué aux fins d’orienter un jugement ! La tribune que vous offre la médiatisation de ce procès du siècle, vous confère une très lourde responsabilité, dont va dépendre, au-delà de l’honneur d’un homme et de la carrière d’un autre, le basculement ou pas de la Côte d’Ivoire dans un chaos inquisitoire, le rejet de votre institution par l’Union Africaine, et le risque de voir s’embraser un continent tout entier, car Laurent Gbagbo est devenu malgré lui une icône en Afrique au même titre que l’était Mandela en son temps, et en cela il y a bien des raisons.
Monsieur le Président, avant de juger Laurent Gbagbo, je vous demande, avec beaucoup de déférence de bien le connaître, et quand vous le connaîtrez, vous comprendrez et mesurerez l’immense disproportion qu’il existe dans cette affaire entre la gravité de l’accusation et la légèreté de ses bases.
Comprendre les événements, les choses et les personnes, c’est toujours les dépasser, les transcender. J’en appelle donc par la présente autant à votre objectivité pour évincer tous préjugés, qu’à votre sens moral, ce marqueur de civilisation des esprits libres, qui savent s’affranchir de la tyrannie d’une pression politico-médiatique qui sous-tend, en l’occurrence l’affaire en objet.
Il est inutile, monsieur le Président d’attendre le réquisitoire du bureau du procureur, qui sera à ne pas en douter, pathétique et qui cherchera un coupable pour donner un sens au désarroi qui l’étreint chaque jour un peu plus, pour décréter la fin d’une procédure.
Merci de ne pas vous tromper avec tout le monde, ayez raison seul, ne vous trompez pas de coupable, il en va, si vous me le permettez, de votre dignité personnelle comme de celle de l’institution que vous représentez. A quoi servirait-il de faire prêter serment aux autres de dire la vérité, toute la vérité rien que la vérité, si ce n’était pour ne pas se l’appliquer à soi-même ! La vérité, monsieur le Président n’est pas garantie par une seule réalité qui serait construite à dessein pour faire triompher le mensonge, et quand bien même ce mensonge serait répété mille fois répété, il ne ferait jamais une vérité.
La guerre en Côte d’Ivoire, initiée par les occidentaux, a fait des victimes, de tous bords, et nous le déplorons, mais est-ce pour autant qu’il nous faut chercher un coupable quand les responsabilités se perdent dans les limbes des compromissions, des uns et des autres. Alors, hasardez-vous de sauver un « coupable », qui a été, à ce titre, emmené dans vos murs, plutôt que de condamner un innocent. Depuis le début de ce procès monsieur le Président, jamais au grand jamais un soupçon de preuve quant aux actes d’accusation innommables attribués au Président Laurent Gbagbo, n’aura été démontré, ni même suggéré.
Jamais témoignages à charge n’auront été autant porteur d’évidences indubitables quant à la probité et à l’innocence de cet homme. Affirmer et asséner des contre-vérités ça n’est pas démontrer une culpabilité.
Peut-être eut-il mieux valu que ce ne fût point un chef d’Etat africain, différent de ceux qui l’on précédé, pour vous faciliter la tâche ! Cet homme impassible que vous avez en face de vous presque tous les jours, qui ne souffre d’aucune faute, endure cependant dans l’abnégation une peine et une injustice qui retournent de l’ordre universel du monde. Mais dans votre prétoire monsieur le Président, au vu et au su de ce même monde, la philologie n’a pas sa place, seule une vérité probante, transversale aux faits doit être dite, sans attendre la fin de la procédure.
Soyez celui par qui la noblesse d’âme s’exprime, soyez celui qui renverse les codes d’un droit qui pourrait être qualifié de liberticide, et rendez à Laurent Gbagbo sa dignité. Laurent Gbagbo est aujourd’hui l’honneur d’une Afrique muette, il est l’homme qui a prouvé que le multipartisme et la démocratie n’existaient pas par eux-mêmes, mais qui devaient naître et s’imposer par la force mentale d’un peuple. Il est ce défenseur des faibles, ce fils de pauvres qui s’est hissé aux plus hautes fonctions de l’Etat ivoirien grâce à une éducation parentale sans faille et à une formation universitaire en accord avec ses convictions. Il a enseigné dans un pastorat sacerdotal, la liberté de pensée autant que celle de s’opposer aux réfractaires de tous ordres, il est un humaniste par qui les choses arrivent et non un intrigant par qui les choses se trament. C’est ainsi monsieur le Président ! Il eut été plus confortable, j’en conviens, d’avoir à juger un bandit de grand chemin plutôt qu’un apôtre de la miséricorde qui vous oblige à raisonner sur une historicité de faits plutôt que sur leur interprétation fallacieusement bridée par l’accusation.
Monsieur le Président, il est impossible que cet homme qui a déjà été victime d’une justice armée puisse être aujourd’hui la cible d’une injustice désarmée, il n’est pas concevable qu’une accusation vide, puisse par effet de résurgence spontanée, disposer d’un trop plein d’arguments mensongers.
Quel intérêt puis-je trouver dans une preuve disait le philosophe, si je ne crois pas ferme qu’elle sera encore bonne demain ! Juger n’est pas vendre son âme, quel qu’en soit le prix. Monsieur le Président, demain on vous pardonnera votre courage si vous mettez un terme, par un artifice de droit à cette parodie de justice dont vous êtes le premier otage. Demain la Cour sera confrontée à sa conscience. Ne pensez-vous pas que la conscience c’est peut-être ce qui va nous rester quand on aura tout perdu ! Demain quand la postérité jugera votre décision d’abréger la procédure en cours, elle rendra à chacun l’honneur qui lui sera dû.
Monsieur le Président, comme je le disais déjà, en juillet 2012 à votre consoeur la juge De Gurmendi, qui avait alors des objectifs supérieurs à la saine considération du cas Laurent Gbagbo, « Ne pensez-vous pas qu’à force de répéter le meurtre de l’autre, on ne finisse par y croire » !
Je vous remercie de bien vouloir prendre en considération mes propos, avec toute la bienveillance et la profondeur nécessaire et vous prie d’accepter l’expression de mes très respectueuses salutations.
Alain Cappeau
Conseiller Spécial et ami du Président Laurent Gbagbo
In Le Nouveau Courrier N°1492 Mercredi 21 Septembre 2016