Le chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, doit bien se frotter les mains. Il a sous son contrôle les deux tendances rivales du FPI qu’ils poussent à se déchirer sur le terrain et donc à s’affaiblir pour maintenir ouvert le boulevard au RDR, à travers le RHDP.
Le 29 avril 2018, à Gagnoa (chef-lieu de la région du Gôh), le Front populaire ivoirien (FPI, ex-parti au pouvoir) a organisé la fête de la Liberté, conformément à l’alinéa 3 de l’article 2 des Statuts du parti: «Le Front populaire ivoirien célèbre tous les ans, la fête de la liberté pour commémorer la réinstauration du multipartisme en Côte d’Ivoire».
Le 12 mai, dans la commune abidjanaise de Yopougon, bis repetita. Le FPI organise encore la fête de la Liberté. Il n’y a pas d’erreur sur l’objet, mais sur l’auteur. Comme le disait une célèbre réclame ivoirienne («pa-pa-pa, vraiment tôle, c’est pas tôle»), FPI n’est pas FPI. Le parti a perdu son unité, depuis 2015, et les deux tendances rivales utilisent les mêmes… nom, sigle et logo pour leurs manifestations, qui tournent uniquement à la surenchère et à la démonstration de force.
L’an dernier, par lettre d’information en date du 18 avril 2017, Pascal Affi N’Guessan, président…légal du FPI, saisissait le préfet du département d’Alépé, Nanou Benjamin, pour s’opposer à la fête de la liberté, «propriété de son parti», qui était prévue les 29 et 30 avril 2017 par ses adversaires internes à Akouré, village de la sous-préfecture d’Oghlwapo (département d’Alépé, région de la Mé). En vain.
A fond la carte de la confusion.
Le régime Ouattara joue, en effet, à fond la carte de la confusion et de la cacophonie au FPI, en soufflant, à dessein, le chaud et le froid. Objectif politique: accorder des marges de manœuvre aux uns et aux autres à l’effet de les tenir en laisse.
Car sur requête de Pascal Affi N’Guessan, président statutaire du FPI, le juge des référés, décidait, le 3 avril 2015 par ordonnance, d’interdire aux adversaires internes d’Affi conduits par Abou Drahamane Sangaré, de parler au nom du FPI et d’utiliser le sigle et le logo de ce parti sous peine d’astreinte financière de 10 millions de nos francs par infraction constatée.
Les «frondeurs» ou dissidents du FPI ne l’entendront pas de cette oreille. Ils vont battre en brèche ces décisions « politiques ».
Non seulement toute liberté s’arrache, mais ils se sont inspirés de cette déclaration tenue par Alassane Ouattara, le 24 mai 2011 à la prestation de serment de Koné Mamadou, président de la Cour suprême, appelant à la défiance.
Cerise sur le gâteau, Ahmed Coulibaly, président du tribunal de première instance d’Abidjan déclarait, ce même 3 avril, nulles et de nul effet les décisions du Comité central extraordinaire du 5 mars 2015. Cette instance du parti, a estimé le juge Coulibaly, n’avait pas de légitimité et par conséquent, la suspension prononcée de Pascal Affi N’Guessan de la présidence du parti et son remplacement par Abou Drahamane sont annulés. Affi restait ainsi le président légal du FPI.
L’équilibre de la terreur.
De ce fait, les premières activités de cette tendance ont été gazées et dispersées. Et au lendemain de son controversé 3è Congrès extraordinaire tenu le 30 avril 2015 à Mama, village de Laurent Gbagbo dans la région du Gôh, qui excluait Affi du parti, quatre personnes, membres de la dissidence, étaient arrêtées et placées sous mandat de dépôt: Sébastien Dano Djédjé, président de ce Congrès, Hubert Oulaye, président du Comité de contrôle du FPI, Koua Justin et Dahi Nestor, leaders des jeunes chargés des relations avec les syndicats et les organisations de masse.
Il entretient une sorte d’équilibre de la terreur entre les deux factions rivales. Alors qu’il maintient Affi comme le président légal du parti, il bâillonne le parquet, cette justice «debout» placée sous l’autorité du ministre de la Justice, qui est chargé de l’exécution des décisions de justice.
Et ainsi, en violation des décisions de justice, les activités de la tendance «dissidente» réhabilitée du FPI sont maintenant tolérées et même sécurisées. Sangaré Abou Drahamane est autorisé à continuer de se prévaloir du titre de président par intérim du FPI et à animer les réunions au nom et pour le compte du FPI.
Cette évolution a commencé le 14 mars 2016. Ce jour-là, le juge des référés infligeait un revers politique à Affi N’Guessan.
Le 29 février 2016, le président légal du FPI assignait ses «camarades de parti» (Abou Drahamane Sangaré, Akoun Laurent, Koné Aboubacar, Odette Lorougnon Gnabry…) en référé pour «usurpation de titre de président du parti» à l’effet de leur interdire «de poser des actes et d’intervenir au nom et pour le compte du FPI sans l’autorisation préalable de Monsieur Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, parti dont ils se réclament membres et ce sous astreinte de cinquante millions de francs Cfa».
Le juge des référés, prenant le parfait contre-pied de son collègue, s’est déclaré incompétent, renvoyant les adversaires au FPI dos à dos dans un statu quo abracadabrantesque et flou.
Un statu quo flou.
De ce fait, le pouvoir laisse le FPI se déchirer dans des combats de coq et s’affaiblir sur le terrain, pour son grand plaisir. En même temps, il joue la partition du mari polygame qui oppose la femme légale à la légitime afin que chacune se croie la dulcinée, en actionnant le sentiment de dépendance et suscitant le syndrome de Stockholm.
Le cafouillage entretenu expressément autour du statut réel de chaque tendance permet au manœuvrier Ouattara d’atteindre deux buts, en fixant des limites dont lui seul a le secret: d’un, la tendance Sangaré, majoritaire sur le terrain, mais sans stratégie lisible, ne se pose plus en victime du pouvoir et donc se croit, consciemment ou pas, redevable; de deux, la tendance Affi est certes frustrée mais elle ne peut que marmonner sans faire trop de tapages afin de ne pas griller les avantages dont elle jouit (subventions versées au parti, accès aux médias, privilèges diplomatiques, etc.).
FERRO M. Bally