Troisième mandat: l’incroyable déni de Ouattara

TROISIÈME MANDAT. L’INCROYABLE DÉNI DE OUATTARA

Le président ivoirien a accordé une interview à Jeune Afrique que le confrère a publiée au début de cette semaine. Alassane Ouattara y passe en revue de nombreux sujets tels que la réconciliation nationale, la violence politique, le retour de Laurent Gbagbo, singulièrement la rencontre du 27 juillet, et la démocratie sujet sur lequel son déni est à nul autre pareil.

Alassane Ouattara aime parler de démocratie, surtout dans les colonnes de Jeune Afrique où il sait qu’il ne sera jamais bousculé. D’ailleurs, l’interview publiée en ce début de semaine ne déroge guère à la règle puisque le président ivoirien se présente, malgré un troisième mandat sanglant qui a fait 80 morts et plus de 300 blessés parmi les manifestants, comme un démocrate incarné.En revanche, ce sont ses adversaires qui seraient à plaindre et, surtout, ceux qui ont appelé à la désobéissance civile alors qu’ils savaient pertinemment, dit-il, qu’il avait le droit d’être candidat en 2020. Révisionniste à souhait, le chef de l’Etat va au surplus considérer la triste scénarisation de l’appel de son parti à le voir se représenter comme la preuve que tout le processus de sa candidature à un troisième mandat anticonstitutionnel a été démocratique de bout en bout.

Déni de la réalité
Alors quand, par complaisance plutôt qu’autre chose, le journal lui demande s’il regrette d’être revenu sur sa décision de ne plus se représenter, sa réponse reste conforme à son déni habituel. « Non. Avec le recul, je suis plutôt soulagé aujourd’hui de l’avoir prise (décision de se présenter pour un troisième mandat anticonstitutionnel, ndlr). Mon seul regret, et il est de taille, c’est la folie de quelques-uns, qui sont prêts à tout, même au pire, pour le pouvoir », dénonce le chef de l’Etat, le ton moralisateur.
En effet pour jouer les martyrs, Alassane Ouattara sait s’y faire. Ainsi, quid de la répression mise en place par son régime et qui a impliqué des centaines de supplétifs appelés « microbes », du nom des adolescents tueurs transportés dans des gbakas pour attaquer les manifestations de l’opposition partout dans le pays.
N’ayant jamais rien à se reprocher dans toutes les tragédies qu’a traversées le pays, le chef de l’Etat trouve même démocratique son refus de nommer un vice-président contrairement à ce que prévoit la Constitution. « Il n’y a donc pas de vide juridique comme veulent le faire croire certains », se défend-il. « La priorité, après le renouvellement de l’Assemblée nationale, était de former une nouvelle équipe gouvernementale afin de poursuivre et accélérer le développement économique et social du pays. Le vice-président, lui, agit sur délégation du chef de l’État, qui le nomme. Il n’y a donc pas de vide juridique comme veulent le faire croire certaines personnes. Chaque chose en son temps », assure le chef de l’Etat, sûr de son interprétation.

Bacongo : « il connait le droit plus que nous tous »
Pour rappel en 2020, en pleine polémique sur l’inconstitutionnalité du troisième mandat, Cissé Bacongo lâchait que le chef de l’Etat sait mieux lire le droit que nous tous. Le maire de Koumassi qui a co-rédigé la nouvelle constitution trouvait surtout là un remède à ses propres tourments puisqu’il avait répété partout que ladite constitution ne permettait pas à M. Ouattara d’être candidat.
Mais cette posture était aussi le signe que, sur cette question, le chef de l’Etat n’a jamais voulu entendre raison parce qu’il se prend lui-même pour le législateur qu’il n’est pas et le démocrate qu’il ne saurait incarner pour des raisons assez évidentes.« Ces personnes savaient pertinemment que j’étais éligible à un nouveau mandat et que j’avais initialement décidé de me retirer. Cette malhonnêteté intellectuelle m’a profondément déçu. Comment de hauts responsables, dont certains ont géré la Côte d’Ivoire, peuvent-ils décider d’organiser le boycott des élections et appeler à des actions qui ont conduit à des violences et à des morts ? Une commission d’enquête a été mise en place. Les résultats seront rendus publics et des sanctions seront prises », dit-il, menaçant indirectement le président du PDCI.

Pourtant en dépit des appels répétés d’Amnesty international pressant le gouvernement de mettre en place une commission d’enquête indépendante, celui-ci n’a jamais répondu à cette requête, probablement pour ne pas avoir à s’expliquer au sujet de l’implication des supplétifs envoyés un peu partout pour casser les mouvements de protestation de l’opposition. Même l’un d’entre eux qu’on voit sur les médias sociaux couper la tête d’un manifestant, à Daoukro, puis la shoote comme un ballon de football n’a jamais été arrêté. Alors, de quelle enquête et de quelles sanctions parle le chef de l’Etat, un an après ces événements ?

Retour à la case mensonge
Bref, il est difficile de s’accommoder de la logique d’Alassane Ouattara, contrairement à Jeune Afrique bien qui l’a également interrogé sur l’alliance entre Bédié et Laurent Gbagbo. Sur cette question, Ouattara a répondu ne pas comprendre sur quoi les deux hommes peuvent s’entendre. « Disons que c’est effectivement surprenant, car ils n’ont pas la même idéologie politique : Laurent Gbagbo est un socialiste et Henri Konan Bédié, un libéral centriste… Je peine à imaginer les contours du programme qu’ils pourraient proposer ensemble aux Ivoiriens ! »
Au moins, le chef de l’Etat a avoué avoir désormais de bons rapports avec ses deux prédécesseurs dont il ignore pourtant royalement les appels à la réconciliation nationale. Or pour le président du PDCI, celle-ci passe par l’organisation d’un dialogue national inclusif avec l’ensemble de la société civile. Mais Ouattara le sait-il ?
Difficile d’être optimiste.
SÉVÉRINE BLÉ Aujourd’hui