Deux extraits du livre de François Mattéi et Laurent Gbgabo

LAURENT GBAGBO :  » SI LES SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES GAGNENT , IL FAUT QUE LA CÔTE D’IVOIRE GAGNE AUSSI »

« J’ai précisé en 2005, lors du renouvellement de son contrat, à Martin Bouygues via son fils Olivier, que l’Etat Ivoirien voulait désormais être présent dans le conseil d’administration de la société nationale d’électricité pour vérifier des chiffres déclarés à l’administration Ivoirienne.

Jusque-là personne n’avait jamais obtenu de chiffres crédibles et vérifiables de la société Bouygues. J’en avais assez vu avec le pétrole. Quand je suis arrivé au pouvoir, la Côte d’Ivoire ne percevait que 12% du prix de chaque baril.

Avec Bouygues, ça c’est bien résolu, même si leur directeur en Côte d’Ivoire, Zadi Kessy, prenait quand même ouvertement position contre moi. Je n’ai pas exclu l’idée que Bouygues ait voulu placer des gens au gouvernement. Zadi Kessy ne cachait pas qu’il voulait être Premier ministre.

Dire que j’étais, que je suis, que nous sommes anti-Français, c’est un abus sémantique. D’ailleurs, vous pensez bien, ça se saurait ! Je me contentais de défendre les intérêts de mon pays. Si les sociétés étrangères gagnent, il faut que la Côte d’Ivoire gagne aussi ».

Laurent Gbagbo in « Libre. Pour la vérité et la Justice »,
cité par Alexis Gnagno

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« …J’ai prêté serment le samedi 4 décembre 2010 au palais, après que le conseil constitutionnel eut statué sur les recours que nous avions déposés à la suite des fraudes massives constatées dans le Nord du pays et après qu’il eut pris acte de l’incapacité dans laquelle se trouvait la commission électorale indépendante de se prononcer dans le délai qui lui était imparti.

La veille, le vendredi 3, j’ai compris que tout pouvait se terminer très mal. Le Conseil constitutionnel venait de proclamer les résultats, et me désigner comme vainqueur de l’élection. J’ai reçu le jour même un coup de fil de Sarko.

Il était furieux:  » Il ne fallait pas que le Conseil constitutionnel fasse ça, non, non, il ne fallait pas ! »

C’est la démarche d’un fou, pas celle d’un chef d’Etat. Comment peut-on se permettre aujourd’hui, au XXIe siècle, d’appeler un autre chef d’Etat pour lui dire une chose pareille ? C’est à ce moment précis, quand j’ai raccroché, que j’ai eu le sentiment que tout pouvait déraper.

Je sais que les institutions des pays africains, ils s’en fichent ! Il ne ne s’agit après tout ce que de mettre leur homme sur le trône… mais s’asseoir sur le Conseil constitutionnel d’un pays souverain dont la Constitution est calquée sur celle de la France, avec autant de culot, comme ça, par téléphone, c’est une mauvaise blague. Ce n’est pas un chef d’Etat que j’ai eu au téléphone…

Quand j’ai demandé à Jean-Christophe Notin, proche des milieux officiels français de l’époque, à défaut d’être un grand connaisseur de l’Afrique, pourquoi on n’avait pas respecté la décision du Conseil constitutionnel, il m’a répondu : » Pour Paris, c’était un Conseil constitutionnel fantoche.

 » Précisant qu’il fonctionnait exactement comme le conseil constitutionnel français, je glisse :  » Par fantoche, vous voulez dire nègre ?  » Silence gêné.(…).

Le samedi, juste avant mon départ pour le palais, où doit se dérouler la prestation de serment devant le Conseil constitutionnel, mon chef du protocole vient me dire qu’un message nous est parvenu indiquant que Nicolas Sarkozy a demandé que l’on s’oppose physiquement à cette investiture.

J’ai décidé d’y aller quand même. Il agit comme voyou, me suis-je dit, je n’ai pas en tenir compte. C’était du bluff, ou un avertissement…

Le lundi 6 décembre, nous avons formé le gouvernement, un gouvernement de technocrates, et nous avons commencé à travailler. La France nous avait coupé les robinets de la BCEAO, en espérant que nous ne pourrions pas payer les salaires des fonctionnaires et honorer les factures de l’Etat, ce qui aurait eu pour effet de dresser la population contre nous.

Sarkozy m’a intimé l’ordre de partir dans un discours fait à Bruxelles, sur un ton proche de casse-toi de là, pauvre c., plus tôt que dans le langage maîtrisé d’un chef d’Etat.

Mais à la fin du mois, à partir du 22 décembre, nous avons payé tous les salaires, idem en janvier. Ils ont compris qu’ils ne nous auraient pas comme ça…

Laurent Gbagbo, mis en ligne par Ziazia Yema Eckla