Pourquoi il faut libérer le Président Laurent Gbagbo

J’ai publié la tribune qui suit dans le N° 17 de décembre 2016 du magazine LE PANAFRICAIN. Les évènements qui ont secoué la Côte d’Ivoire en janvier 2017, que ce soient les « mutineries » dans l’armée ou la longue et impressionnante grève des fonctionnaires, sont venu très vite illustrer mon diagnostic sur l’état de délabrement du pays sous la « gouvernance » d’ADO.
Les mesures de replâtrage concédées dans l’urgence, sinon la panique, ne suffiront sans doute pas à éteindre un feu qui couvait depuis longtemps et la Côte d’Ivoire va, à n’en pas douter, vivre une situation que l’Histoire qualifiera de « printemps ivoirien ». En effet le moment semble arrivé où le peuple ivoirien va mettre fin à une période sombre de sa jeune histoire qui lui a été imposée de l’extérieur et reprendre son chemin dans le respect mutuel des idées et des croyances qui est le socle fondateur de la vraie démocratie.

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POURQUOI IL FAUT LIBÉRER LAURENT GBAGBO

Le 30 novembre dernier cela a fait cinq ans que le président Laurent Gbagbo, proclamé élu à la Présidence de la République de Côte d’Ivoire par le Conseil Constitutionnel le 3 décembre 2010 après l’élection du 28 novembre 2010, a été transféré à la Cour Pénale Internationale (CPI) installée à La Haye, capitale des Pays-Bas.

J’ai vécu de l’intérieur, en qualité de Conseiller Spécial du président Gbagbo, toute la période électorale et la crise dite « post-électorale » qui a conduit à l’arrestation du président légitime par une force étrangère, la France, le 11 avril 2011. Laurent Gbagbo avait gagné cette élection et le trucage organisé sous l’égide de l’ancienne puissance coloniale commence à se révéler au fur et à mesure de la prise de conscience, par de nombreux dirigeants politiques et hommes de médias de tous horizons, de cette réalité.

A l’époque cette falsification de l’Histoire s’était drapée dans les plis du manteau de la « communauté internationale », que les dirigeants des Grandes Puissances revêtent périodiquement pour assouvir leurs désirs. Ainsi le représentant de l’ONU en Côte d’Ivoire, Choi Young-Jin, avait reçu la mission de proclamer un résultat au mépris des règles les plus élémentaires du Droit ivoirien. D’ailleurs un Chef d’Etat africain avait dénoncé, dès le 6 janvier 2011, cette manœuvre frauduleuse. Devant tout le Corps Diplomatique réuni au Palais Présidentiel à Luanda, le président angolais Eduardo Dos Santos avait fustigé le rôle de Choi qui, en outrepassant son mandat « avait trompé toute la communauté internationale ».

En déportant, au sens littéral du terme, Laurent Gbagbo à la CPI, les ordonnateurs d’un tel acte, à commencer par l’ex-président français Nicolas Sarkozy, avaient imaginé de le faire disparaître du paysage politique en Côte d’ivoire et de laisser ainsi le champ libre au personnage qu’ils s’étaient choisi pour maintenir le pays sous leur contrôle. En effet, ne nous méprenons pas : Alassane Dramane Ouattara (ADO) ne doit sa situation à la tête de l’Etat ivoirien qu’a sa capacité sans limite à se plier aux injonctions de ses « mandants » dans le seul but d’assouvir son vieux rêve de présidence quel qu’en soit le prix.

Propulsé au cœur du pouvoir ivoirien en 1993 par le président Felix Houphouët-Boigny, dans un processus que j’ai décrit dans un livre récent, « Les Ouattara, une imposture ivoirienne », ADO aura réussi, après dix huit ans consacrés à « mélanger le pays » selon sa propre expression, à s’asseoir dans le fauteuil présidentiel au prix d’innombrables souffrances subies par le peuple ivoirien.

Qu’en est-il aujourd’hui ?
ADO est « président » depuis bientôt six ans, après avoir été réélu en octobre 2015 au mépris souverain de la Constitution ivoirienne qu’il vient, d’ailleurs de fouler à nouveau au pied en organisant un referendum pour promulguer une « nouvelle » Constitution avec ce même mépris souverain qui est la « marque » de sa très personnelle gouvernance.

Sous sa mandature ADO aura fait la preuve absolue que son action politique se résume à assumer le pouvoir pour le pouvoir, faisant fi des aspirations populaires et sans la moindre compassion pour les difficultés que sa gestion des affaires de l’Etat aura fait subir aux ivoiriennes et aux ivoiriens. Plus grave pour l’avenir et l’unité nationale il aura commis une forfaiture inexcusable en instituant la notion de « rattrapage ethnique » pour placer, sans vergogne, des hommes-liges issus de la même région du pays à tous les postes-clés du pouvoir et de l’administration civile et militaire. Ce « rattrapage ethnique » n’est, en fait, que l’autre face du « nettoyage ethnique » dont il devra répondre un jour avec tous les autres crimes commis par ses affidés dans leur quête sanglante du pouvoir.

Mais c’est la déportation de Laurent Gbagbo à la CPI qui va constituer son erreur fatale. « Plus qu’un crime, une faute !» pour reprendre l’expression de Fouché apprenant l’exécution du Duc d’Enghien sur l’ordre de Napoléon le 21 mars 1804. Au lieu de le faire disparaître, comme imaginé, du paysage politique cet acte insensé a maintenu le président Gbagbo au cœur de la vie politique ivoirienne et, surtout, dans le cœur de l’immense majorité des ivoiriennes et des ivoiriens.

Les conditions dans lesquelles s’est déroulé ce transfert à la CPI et le déroulement « hallucinant » du procès depuis le 28 janvier dernier doivent interpeller tous les démocrates du monde entier.
Le transfert lui-même, d’abord, est entaché d’une violation des règles de la CPI, la Côte d’Ivoire n’étant pas, en novembre 2011, signataire du Statut de Rome et n’était donc pas Etat-partie, condition nécessaire pour qu’un citoyen d‘un pays soit déféré à la CPI. Le renvoi en procès par la Chambre préliminaire de la Cour, ensuite, n’a été acquis qu’au terme d’une longue procédure où le Procureur a dans un premier temps été sommé de revoir son accusation qualifiée de « copier-coller de rapports d’ONG et de coupures de presse sans valeur juridique » puis a fait l’objet d’une opinion dissidente d’un des juges, la belge Christine Van den Wyngaert qui y déclarait, entre autres, que, « s’il est clair que même en accordant aux éléments de preuves disponibles une valeur maximale, on doute encore sérieusement qu’ils suffiront à fonder une déclaration de culpabilité, il ne sert à rien de confirmer les charges » !

C’est dans ce contexte que le procès s’est ouvert le 28 janvier 2016, pratiquement cinquante mois après l’arrivée de Laurent Gbagbo à la CPI, ce qui en dit déjà long sur la volonté des mandants de cette procédure d’offrir au prévenu un procès juste et équitable dans des délais raisonnables. Le procès vient d’être suspendu jusqu’au 6 février 2017 pour des raisons budgétaires au dire même du juge-président de la Chambre, alors qu’en près d’un an seule une trentaine de témoins ont défilé à la barre (sur près de 140 annoncés par le Bureau du Procureur) et qu’aucun n’a apporté l’ombre d’un début de preuve sur les accusations formulées par le Procureur. Au contraire, en de nombreuses occasions, plusieurs témoins ont donné l’impression de témoigner à décharge, mettant en défaut l’argumentation du Procureur. Pire, certains témoins semblaient avoir été instrumentalisés par l’accusation, faisant planer un doute légitime sur la probité du Bureau du Procureur.

Au printemps 2016, un livre très critique a été publié sur le fonctionnement de la CPI :« L’Ordre et le Monde, critique de la CPI ». Son auteur, Juan Branco, jeune universitaire français, a travaillé un an comme assistant du Procureur Ocampo entre 2010 et 2011. Il y décrit sans détour la méthodologie du Procureur, allant jusqu’à dénoncer la « fabrication » de faux-témoins et faisant planer un doute sérieux sur la probité de la Cour. Dans le même ouvrage il considérait que le transfert de Laurent Gbagbo était pour la CPI « un cadeau empoisonné ».

Le temps, désormais, presse. La Côte d’Ivoire s’enfonce lentement mais surement dans un crise sociale et morale qui a fait dire récemment à un journaliste anglais « qu’elle était comparable à un volcan, car comme dans un volcan on sait qu’il y a le feu, mais on ne le voit pas ».

Dans les mois qui viennent le Monde va faire face a des défis majeurs : les Etats-Unis ont changé de président et, sans doute infléchir leur politique internationale. L’Europe va être confrontée au challenge imposé par le Brexit alors que la France va, surement, connaître une nouvelle majorité politique. Dans nombre de situations en Afrique le problème de l’alternance va se poser. La Côte d’Ivoire est une pièce maitresse de l’équilibre en Afrique de l’Ouest. On ne peut pas laisser la situation se dégrader en connaissance de cause. Le pays a besoin de réconciliation et toute l’action d’ADO depuis son installation a été ressentie par les ivoiriennes et les ivoiriens comme une entrave majeure à cette espérance.

Pour faire revivre cette espérance et rassembler à nouveau les ivoiriennes et les ivoiriens, dans le respect de leurs origines, de leurs opinions et de leurs croyances, la libération du président Laurent Gbagbo ,et du ministre Charles Blé Goudé, qui paye sa fidélité au président, s’imposent comme un préalable incontournable, quelques soient les arguments juridiques ou « légaux » que les opposants à une telle libération voudraient faire valoir car, comme l’a écrit un jour Nelson Mandela : « au bout du compte, nous devons nous souvenir qu’aucune loi ni qu‘aucun système ne peuvent venir à bout de ceux qui luttent avec la justice de leur coté ».

Paris le 11 décembre 2016

Bernard Houdin
Conseiller Spécial du président Laurent Gbagbo