« Pour Laurent Gbagbo, c’est la fin d’une terrible injustice »

les propos de Guy Labertit. C’était évidemment avant les rebondissements judiciaires…

ENTRETIEN. Visiteur régulier de l’ex-président ivoirien à la prison de la CPI, l’ancien responsable Afrique du Parti socialiste réagit à l’annonce de l’acquittement de son ami de 37 ans.
Propos recueillis par
Publié le | Le Point Afrique
Image associée
Ami personnel de l’ancien président Gbagbo, Guy Labertit l’a accueilli chez lui à Vitry-sur-Seine durant son exil dans les années 80.© AFP / Jean-Philippe Ksiazek

Le soulagement s’entend à travers la voix de Guy Labertit au téléphone. L’ancien responsable Afrique du Parti socialiste français proche du couple Gbagbo depuis les années 80 et la fondation en toute clandestinité du Front populaire ivoirien (membre de l’Internationale socialiste, NDLR) s’était entretenu à la mi-septembre avec l’ex-chef d’État ivoirien à la prison de Scheveningen, à La Haye. Au moment, où les juges de la Cour pénale internationale, emmenés par leur président Cuno Tarfusser, ont décidé « à la majorité » de « la libération de M. Gbagbo et de M. Blé Goudé », Guy Labertit s’est confié au Point Afrique.

Le Point Afrique : Comment réagissez-vous à la décision des juges de la CPI ?

Guy Labertit : Cette décision est un soulagement sur le plan humain et politique. Je crois que, depuis son élection en 2000, Laurent Gbagbo n’a cessé d’être en butte à de nombreuses difficultés de façon tout à fait injuste sur le plan politique. Tout a commencé en 2002 où une certaine pression s’est faite, surtout de la part de l’État français, sur cet homme, qui a finalement été acquitté par la CPI. C’est un cinglant démenti alors que, jusqu’au bout, cette pression s’exerçait à travers notamment le choix de l’État ivoirien d’être défendu par des avocats français.

N’est-ce pas nier le droit à la justice pour les 3 000 victimes des violences postélectorales répertoriées par l’ONU ?

Lorsque j’assistais aux audiences à La Haye, ce qui m’a le plus frappé, c’est cet amalgame fait autour des victimes. L’avocate des victimes ne parlait que d’une catégorie de victimes, celle des « Dioulas », selon ses propres termes. Ainsi, elle a totalement ignoré le fait qu’il y avait eu des victimes dans l’ensemble du peuple ivoirien. Je pense qu’il ne faut pas continuer à jouer ce jeu très malsain. C’est un jeu qui était jusque-là celui de la CPI. Je rappelle que cette institution n’a jamais attaqué ou enquêté sur l’autre bord politique. Il est peut-être temps, au lieu de relancer le débat sur telle ou telle victime, d’engager sincèrement une réconciliation au niveau de l’ensemble du pays, parce qu’il y a eu des victimes de tous les côtés. Donc, c’est triste d’entendre ce jour la FIDH parler des victimes, mais seulement d’un côté, et de parler d’impunité. Il faut reconnaître toutes les victimes, quels que soient leur bord politique, leur origine ethnique.

C’est aussi une mauvaise nouvelle pour les victimes du clan Gbagbo…

Quand on fait le bilan de cette affaire, on s’aperçoit que la charge du procureur qui était au départ Moreno-Ocampo avec Fatou Bensouda comme bras droit a été totalement politique. Il n’a pas fait un travail de procureur de justice, il a fait un travail strictement politique. Aujourd’hui, il est démenti parce qu’il y a eu au sein de la CPI des juges qui ont fait valoir le droit, et c’est la principale leçon.

Sur l’affaire Bemba, il y avait aussi une enquête insuffisante et bâclée. Donc, en conclusion, la CPI, qui a été créée pour être exemplaire, a accepté que des personnes présumées innocentes restent incarcérées pendant dix ans, pour Jean-Pierre Bemba, sept ans pour Laurent Gbagbo et quatre ans pour Charles Blé Goudé. Il n’y a aucune autre juridiction qui travaille avec des délais pareils. Ces délais, c’est la première forme d’injuste humaine.

Est-ce à dire que Laurent Gbagbo est innocent de tout…

En tant que citoyen français, j’avais déjà exprimé au moment de l’arrestation de Laurent Gbagbo en 2011 mon sentiment de honte. Parce que c’est l’État français qui a mis sa machine en branle à partir de 2002, et non pas seulement à partir de l’arrestation de Laurent Gbagbo. Dès 2002, l’État français s’est littéralement déchaîné contre un régime. L’explication, c’est que la droite française trouvait son élection de 2000 illégitime. Tout s’est enchaîné à partir de 2000 d’ailleurs, après la défaite de monsieur Jospin.

Quel a été justement le rôle de la France dans cette affaire ?

Je dirai simplement que la droite est donc arrivée à ses fins au moment de l’opération militaire à la résidence présidentielle ivoirienne, ce qui est absolument scandaleux. C’est une honte infinie, et aujourd’hui, c’est un énorme camouflet. Pour en rajouter encore, nous avons deux avocats français, maîtres Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoît, qui représentent l’État ivoirien, dont un qui défend souvent la veuve et l’orphelin en France, mais joue un rôle assez trouble en Afrique, notamment auprès du Tchad, du Cameroun et aujourd’hui de la Côte d’Ivoire. Le fait de les voir ainsi battus en brèche par un jugement de la CPI, c’est une leçon qui est très dure et cruelle, mais, finalement, comme je l’ai souvent dit : l’histoire soldera ses comptes, eh bien, elle commence à les solder avec cette décision. Je crois que c’est la fin quand même pour Laurent Gbagbo d’une terrible injustice qui est née d’un certain aveuglement à son encontre.

Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

Je lui ai parlé à la fin décembre pour les vœux traditionnels. Il y a quelque chose d’assez émouvant, car, quand je suis allé le voir le 19 septembre dernier, sans doute avait-il une intuition, car il m’a dit : « Guy, je crois que c’est la der que tu viens ici à La Haye. » J’y suis ensuite retourné pour l’audience du mois d’octobre, mais sans lui parler, à travers les vitres. Finalement, c’est une intuition qui se trouve aujourd’hui devenue réalité.

Mais il n’est pas encore sorti d’affaires… En Côte d’Ivoire, il a été condamné à une peine de prison de 20 ans pour le braquage de la BCEAO durant la crise postélectorale ?

Je peux vous dire que la justice ivoirienne savait très bien pourquoi elle a statué dans ce sens. Cette même justice ivoirienne qui s’était déclarée incompétente pour juger monsieur Gbagbo et l’avait envoyé à la CPI le condamne à une peine de prison de 20 ans pour un soi-disant braquage. Je me rappelle qu’en 2002, il y a eu un vrai braquage de la BCEAO (Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest) où les malfaiteurs sont repartis avec deux milliards de francs CFA (3 millions d’euros) et si les auteurs n’ont jamais été punis, ils n’étaient pas très très loin des futurs rebelles qui allaient fomenter le coup d’État un mois et demi plus tard. Moi, je n’ai pas oublié cet épisode, tout le monde semble l’avoir oublié. Je peux vous affirmer que Laurent Gbagbo n’a jamais voulu braquer la BCEAO. Il a voulu assurer les salaires des fonctionnaires jusqu’à la fin, c’est-à-dire jusqu’au mois de février 2010 inclus pendant la crise postélectorale de 2010-11. Pour cela, il avait simplement besoin d’utiliser les fonds de l’État ivoirien et c’est cela qu’on a appelé de façon très abusive : un braquage. Je pense qu’après ce verdict, on reviendra à des choses plus rationnelles, car au fond la justice ivoirienne peut parfois louvoyer au gré des convenances politiques. Le président Ouattara qui considérait que la CPI était une chambre de convenance a eu aujourd’hui une réponse très cinglante.

S’il rentre en Côte d’Ivoire, pensez-vous que Laurent Gbagbo ait encore un avenir politique avec le FPI

Le Front populaire ivoirien est fortement ancré dans l’histoire du peuple ivoirien. Ce parti a connu des difficultés liées aux différents contextes dans lesquels il a évolué. Mais c’est l’un des partis qui comptera pour la réconciliation nationale. D’ailleurs, cette réconciliation débutera en interne, pour réconcilier toutes les forces qui ont participé à l’histoire du FPI. Je suis assez optimiste sur son redressement et il est toujours resté une force considérable aux yeux du peuple ivoirien. Quand il s’est présenté en 1990, Laurent Gbagbo n’a fait que 18 % des voix et le FPI n’avait que 9 députés, mais on savait que ça ne correspondait pas à la réalité. Après, il y a eu une autre période où il a quand même exercé le pouvoir, souvenez-vous que ça a été une lutte pour continuer d’exister. Les coups d’État et les interventions extérieures se sont multipliés sans pour autant rien arranger pour qu’il puisse gérer le pouvoir de façon sereine. Et puis, il y a eu les dernières élections auxquelles il n’a pas participé. Simone Gbagbo est vraiment une personnalité politique à part entière, elle aura les vertus politiques pour participer à cette réconciliation, les leçons d’un passé douloureux sont bien tirées.
LePoint.fr