«Plus d’une centaine d’exilés sont morts au Ghana» révèle Lia Bi Douayoua depuis son exil

Lia Bi Douayoua, ancien ministre de la Communication et des nouvelles technologies de l’Information, vit de nouveau en exil au Ghana depuis février 2016. Il explique pourquoi il est retourné au Ghana, explique les conditions de vie des exilés ivoiriens dans ce pays, et donne son avis sur plusieurs questions, dont le procès du Président Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé, les élections de 2020, la réconciliation et l’insécurité en Côte d’Ivoire.

Monsieur le ministre, depuis Février 2016, vous êtes retourné en exil. Que s’est-il passé pour que vous quittiez à nouveau la Côte d’Ivoire ?
Après trois ans et demi d’exil, j’étais rentré en Côte d’Ivoire le 10 novembre 2014. Soit un mois avant le congrès annoncé du FPI. Comme il fallait s’y attendre, j’ai aussitôt rejoint mes camarades pour continuer nos activités politiques. C’est ainsi qu’il m’a été demandé de conduire une délégation de la direction du parti auprès de nos camarades encore en exil au Ghana et au Bénin vers fin février 2016. A mon retour, une convocation du doyen du juge d’instruction du Tribunal d’Abidjan m’attendait. Elle était ainsi libellée : »…le doyen du juge d’instruction invite Mr LIA bi Douayoua pour être interrogé sur des faits qui lui sont imputés…Faute de comparution, il sera décerné contre lui un mandat de comparution, d’amener ou d’arrêt ». Connaissant les pratiques du milieu, et après consultation, j’ai refusé de me livrer en pâture. J’ai donc repris le chemin de l’exil que je connais bien.

Que vous reprochiez-vous pour ne pas vous rendre à la convocation du juge ? Bien de gens ont dit alors que vous avez manqué de courage…
Je ne me reprochais rien.Toute fois j’avais des informations concordantes qui circulaient sur mon activisme politique qui n’allait pas dans un certain sens. J’avais été informé que nom figurait sur une liste de personnes qui se réunissaient souvent à la résidence Présidentielle pendant la crise. J’étais donc pour eux potentiellement co-auteur du fameux Plan commun. Vous avez bien lu la convocation du juge ? Il veut m’interroger sur des faits qui me sont déjà «imputés». Pas « reprochés ». A votre avis qu’est ce qu’on reprochait à Assoa Adou, Hubert Oulaye, Danon Djedjé et les autres camarades? Ayant déjà fait la prison, j’ai décidé cette fois-ci de conserver une relative liberté pour continuer la lutte. On ne peut pas choisir de faire la politique au niveau où je le fais depuis la clandestinité, du temps du parti unique triomphant en prenant tous les risques et manquer de courage.

Quel sens donnez-vous au patriotisme ?
Pour moi, le patriotisme se définit et se mesure par l’engagement qu’un individu prend pour se battre pour la défense des intérêts de son pays, de sa patrie. Depuis 1986, jeune cadre, Je me suis engagé aux côtés de Laurent Gbagbo pour cette cause-là, qui, pour nous, doit déboucher, et ce n’est pas une illusion de l’esprit, sur l’avènement d’une Côte d’Ivoire libre, démocratique, prospère et solidaire. Tans pis, si comme Gbagbo, je continue d’en payer le prix.

Dans quelles conditions vivent les réfugiés ivoiriens au Ghana ?
Les exilés ivoiriens au Ghana environ 11 000 selon le recensement officiel du HCR, mais bien plus, sont repartis, dans trois camps de réfugiés, dans des villages et dans des villes. Ils sont dans des conditions déplorables puisque les aides humanitaires sont presque arrêtées. Ils survivent grâce aux appuis de parents et amis et de petits boulots. Pour eux, ils payent leur part du sacrifice comme ceux qui ont perdu la vie et ceux qui sont dans les fers comme Simone et Laurent Gbagbo.

Que pensez-vous de tous ces cercueils de réfugiés ivoiriens au Ghana et ailleurs qui rentrent en Côte d’Ivoire depuis 7 ans ?
C’est bien évidement dans la douleur extrême qu’il nous arrive d’accompagner dans des cercueils jusqu à la frontière ,nos amis et camarades décédés. Mais il y a pire. Plus d’une centaine d’ivoiriens en exil sont morts au Ghana depuis avril 2011. La grande majorité est enterrée sur le sol Ghanéen.

Que répondez-vous au Gouvernement ivoirien qui invite les exilés à rentrer au pays ?
Cette invitation n’a jamais été sincère. J’en suis la preuve. Rentré, j’ai du reprendre le chemin de l’exil pour échapper à une arrestation. Ce fut le cas pour Mme Elisabeth Kapet membre du secrétariat general du Fpi , de Mr Anoh Gilbert, Responsable dans l’ancienne filière Café- Cacao retourné in- extremis à Dubai. La loi d’Amnistie réclamée par tous est toujours refusée. Pourquoi ? La majorité des exilés encore dans les camps de réfugiés au Ghana sont des ressortissants de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Leurs terres, plantations,sont à ce jour occupées de force par une horde de gens venus de la sous région. Comment envisager dans ce cas un retour si cette question n’est pas réglée ? Que dire des cadres qui sont sous le coup des mandats d’arrêt internationaux toujours pendants ? quelle est la situation des responsables militaires et des soldats qui ont participé aux combat de la crise ? Voici autant de questions qui plombent le processus du retour ? Les incantations politiciennes ne rassurent pas.

Le 7 août 2017, la Diaspora africaine s’est mobilisée à La Haye, a défilé comme si c’était devant le Président Laurent Gbagbo au Palais présidentiel, comment expliquez-vous cette détermination ?
Je les soutiens et je les félicite. J’ai dis un jour à un journaliste américain qui interrogeait à Accra le ministre Assoa Adou sur la crise ivoirienne ceci : «. Ce qui se passe en Côte d’ivoire avec Ouattara et Soro Guillaume sur le tapis rouge du Pouvoir et Gbagbo dans les profondeurs de la prison à la Haye, fait partie des plus grandes impostures de ce siècle qui commence ». Aussi face à l’’imposture et la forfaiture il n’y a pas mille voies de sortie. Et c’est Martin Luther King qui indiquait la voie en ces termes : » celui qui accepte le mal sans lutter contre lui, coopère avec lui ». Eh bien, nos camarades en Côte d’Ivoire, nos Amis de la Diaspora et nous autres, contraints à l’exil, avons justement choisi avec détermination de lutter pour dénoncer partout cette imposture. Honneur et gloire à eux.

Comment avez-vous vécu la décision de la Cour d’Appel de la Cpi ordonnant à la Chambre préliminaire 1 de reconsidérer sa décision sur la demande de liberté provisoire de Laurent Gbagbo ?
C’est toujours avec de la peine mais surtout avec beaucoup de gêne que je suis depuis plusieurs années le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Si cette cour avait été instituée pour dire le droit et rendre justice, les charges n’auraient jamais été confirmées contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Et le procès, à travers ce que nous entendons des témoins dit à charge, aurait pris fin depuis. Les arguments développés chaque fois, -et c’est la onzième fois-, pour refuser la liberté provisoire à Gbagbo sont la preuve de l’imposture qui enveloppe ce procès. Comment Gbagbo qui en Mars–Avril 2011, sous les bombes meurtrières des forces internationales coalisées, avait refusé de quitter la résidence d’Etat alors que le risque d’y mourir était grand, peut-il être aujourd’hui soupçonné de fuir si la liberté provisoire, même assortie de conditions, dans un pays choisi par la Cpi elle-même, lui était accordée ? Où sont les soutiens plus puissants que les  » puissants  » du moment qui l’ont livré pieds et mains liés ? La cour d’appel demande de reconsidérer la décision. Il y a même eu une opinion dissidente d’un des juges. Nous attendons de voir… Dans l’attente comme Gbagbo nous a enseigné, » chacun fait son travail ». Au Procureur d’apporter les preuves qui n’ont jamais existées, d’un Plan commun d’extermination des populations par Gbagbo. Aux avocats de démontrer l’évidence et aux juges d’avoir l’audace de se soustraire des influences pour rester en harmonie avec leur conscience et honorer ainsi le serment prêté pour être juges. Pour nous autres, nous avons constamment en tête cette image, « Tant que celui qui te poursuit ne s’arrête pas … tu n’as pas le droit de marquer le pas ».

Comment expliquez-vous les remous, les mutineries, les attaques répétés en Côte d’Ivoire, et même le braquage qui vient de se produire au Palais de justice d’Abidjan qui a libéré des détenus en plein jour ?
La Côte d’Ivoire souffre depuis 17 ans des métastases du cancer de la rébellion Ouattara-Soro. C’est ce qui explique les mutineries, attaques, et autres braquages à répétition partout dans le pays. On ne peut pas « ramasser » tous les mercenaires de la sous-région, distribuer des armes aux populations civiles pour s’emparer du pouvoir d’état et espérer gouverner tranquillement sans s’attendre à un retour de bâton. Le hic dans l’affaire est que toute la Côte d’Ivoire, à son corps défendant, est appelée à payer la rançon.

Que pensez-vous de l’idée de la présence du camp Gbagbo aux élections présidentielles de 2020 ?
C’est de bon droit dès lors que nous avons écarté depuis toujours les armes comme moyen d’accession au Pouvoir. C’est un challenge de plus que le Fpi, parti de défis, prend avec la Côte d’Ivoire. Il invite de ce fait, les ivoiriens qui depuis six ans, avec confiance, respectent tous les mots d’ordre qu’il a lancés, à s’engager pour restaurer la Côte d’Ivoire. Ce qui se passe dans le pays en matière de destruction de la cohésion sociale, de recul des libertés primaires chèrement acquises, de bradage de l’économie nationale, des terres et du patrimoine forestier, de préférence ethnique est insoutenable. Il faut donc s’engager. Pour le FPI qui, dans cette grisaille, incarne tant d’espoirs, le moment est venu de se donner tous les moyens légaux pour y parvenir.

Voulez-vous aller aux élections sans conditions ? Qu’est-ce qui aura changé ?
Quand le Fpi déclare qu’il ira aux élections de 2020, c’est un objectif politique majeur. C’est un appel et une réponse aux attentes des populations avec lesquelles nous sommes régulièrement en contact. C’est avec cette population que nous devons nous donner les moyens d’exiger la satisfaction des conditions pour des élections justes, transparentes, libres et démocratiques. Pour ne pas revivre une autre crise. Dans ce noble combat, je constate que le FPI n’est plus seul puisque depuis quelque temps nous entendons le Pdci et d’autres alliés d’hier du RHDP, en parler avec clarté. Aussi selon DOM Helder « lorsqu’on rêve tout seul, ce n’est qu’un rêve alors que lorsqu’on rêve à plusieurs c’est déjà une réalité. L’utopie partagée, c’est le ressort de l’histoire ». Nous y sommes.

On voit Soro Guillaume en campagne de réconciliation. Il veut même rencontrer Laurent Gbagbo pour un pardon. Que vous inspire cette démarche du président de l’Assemblée nationale ?
La question de la réconciliation en Côte d’Ivoire est trop cruciale pour la distraire dans ce qui apparait à mes yeux comme un cynique divertissement de mauvais goût de Guillaume Soro. Soro n’a pas un problème personnel et spécifique avec Gbagbo à régler dans sa cellule de prison à La Haye. Il a dirigé une rébellion qui est devenue un cancer dont souffre toute la Côte d’Ivoire. Il doit donc chercher à se réconcilier avec la Côte d’Ivoire.

Quand on veut la réconciliation, -nous la voulons tous-, et qu’on est sincère il y a une posture, un regard, un pas, un geste, une démarche, un ton qu’on emprunte nécessairement. En d’autre termes, comme l’indique par un subtil jeu de mots, l’auteur conférencier à succès Zig Ziglar : «. C’est votre attitude, bien plus que votre aptitude qui détermine l’altitude ».

Depuis quelque temps, le torchon brûle au RHDP entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, parce que l’alternance 2020 promise par l’Appel de Daoukro est compromise. Qu’en pensez-vous ?
Je n’en pense rien. Chez nous, on indique cela par une image :  » deux serpents du même trou se mordent les queues ». Lequel aura le venin mortel ?L’appel dit de Daoukro engage Ouattara et Bedié. Même pas leurs partis encore moins la Côte d’ivoire. Peut-être qu’ils se retrouveront cette fois à Kong, Gbéléban ou ailleurs pour se lancer un nouvel appel !

Alassane Ouattara vient de déclarer dans son message à la nation du 6 Août 2017 que tout le monde peut être candidat en 2020. Serez-vous étonné de le voir sur la liste des candidats à sa succession en 2020 ?
En plusieurs décennies d’engagement politique soutenu, je n’ai pas appris à m’étonner aussi platement. C’est bien pour être présent aux élections de 2020 que Ouattara a fait voter, dans les conditions que l’on sait, une nouvelle constitution en faisant sauter tous les verrous. Mais rassurez-vous. Le sort de la Côte d’Ivoire ne dépend pas de Ouattara. Mais du niveau de conscience et d’engagement des ivoiriens face aux enjeux. Souvenez-vous de ce qui s’est passé ces dernières années au Burkina, au Bénin et au Gabon. Pourquoi Gilbert Diendjéré, Lionel Zinsou et Jean Ping n’ont pu être imposés aux populations ? Il y a eu dans ces pays respectifs, le formatage de consciences nationales et patriotiques sur lesquelles se sont fracassées toutes les velléités de pratiques impérialistes que j’ai envie de qualifier de surannées.

Interview réalisée sur internet par Germain Séhoué
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(IN Le temps N ° 4167 du mardi 29 août 2017 ,Pages 5-6)
repris sur connectionivoirienne

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