Ouattara et Soro, divorce inévitable

La coupe est pleine. A la veille du dixième anniversaire (29 juin 2007 – 29 juin 2017) de l’attaque à la roquette à Bouaké, siège de la rébellion armée, du Fokker 100 de la République de Côte d’Ivoire transportant une délégation conduite par Soro Kigbafori Guillaume, alors secrétaire général des Forces nouvelles et Premier ministre de Laurent Gbagbo, Affoussiata Bamba-Lamine est sortie, ce 26 juin 2017, de la réserve qu’elle observait depuis sa défaite aux législatives du 18 décembre 2016 et sa sortie du gouvernement le 11 janvier 2017.
Elle bat le rappel des troupes pour la commémoration de cet événement où on a dénombré quatre morts et plusieurs blessés. En 2014, Soro prévenait sur sa page Facebook: «Nous ne devons pas oublier, nous ne devons pas accepter que le bourreau se déguise en victime». Mais l’ex-ministre de la Communication en a profité pour annoncer qu’elle ferait «bientôt une déclaration en qualité de porte-parole des Forces nouvelles». «Face à tous ces événements qui dénotent de tensions évidentes, je ne peux rester indifférente», assure-t-elle.

C’est un coup de tonnerre. Qui traduit les profondes divisions entre le RDR et les alliés de l’ex-rébellion armée qui veulent retrouver leur autonomie. Devant le choc des ambitions irréconciliables, le divorce s’annonce irréversible tout simplement parce qu’il ne peut y avoir deux capitaines dans le même navire.
A la chute du pouvoir Gbagbo en avril 2011, les Forces nouvelles qui avaient pris les armes depuis septembre 2002 pour cet objectif précis, ont organisé un conclave les 10 et 11 septembre 2011 à Bouaké. Cette assemblée n’a pas voulu mettre tous les œufs dans le même panier.
Elle a d’une part acté la dissolution des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN, la branche militaire de la rébellion armée) conduite par le général Soumaïla Bakayoko et son intégration aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, forces armées régulières). D’autre part, elle a maintenu en état de latence la branche politique qui n’a jamais officiellement été désagrégée. Un pied dehors, un pied dedans.
Car alors que la direction du RDR, comblée d’avoir les rênes du pouvoir d’État, voulait faire de cet ancien homme de gauche sa plus grosse prise du mercato politique, Soro a voulu temporiser. Dans son discours à ce conclave de septembre 2011 et de manière très subtile, Soro Guillaume a, en effet, écarté l’idée de créer un parti devant la pléthore de formations politiques, ou de se jeter automatiquement dans le RDR, mais il a suggéré à ses compagnons de la lutte armée, celle de maintenir les Forces Nouvelles en «mouvement politique» pour peser sur l’échiquier en restant une force inéluctable de la vie politique ivoirienne.
L’intégration des FAFN aux FRCI est un franc succès: le général Bakayoko a été le chef d’état-major général ou CEMAG des FRCI et tous les anciens seigneurs de guerre appelés commandants de zone ou com’zone sont des responsables de premier plan du dispositif sécuritaire ivoirien. Mais la gestion politique du pouvoir d’État, quant à elle, est l’objet de nombreux couacs; chacun, sur ses gardes, surveillant l’autre comme de l’huile sur le feu dans la guerre de succession à Ouattara.

Soro et le RDR, sans baisser la garde, se livrent alors à des tours de passe-passe. Reconduit comme Premier ministre dès 2010 dans la «République du Golf», Soro Guillaume cumulait le portefeuille ministériel de la Défense. Il était l’homme fort du régime Ouattara.
Au même moment, le RDR ne voulait pas être le parti de recyclage des ex-rebelles. S’il parrainait donc la candidature aux législatives du 11 décembre 2011 de Soro Guillaume dans la circonscription électorale de Ferkessédougou (région du Tchologo, au nord), il refusait l’investiture à d’autres lieutenants de l’ex-secrétaire général des Forces nouvelles dont Mme Traoré Fatoumata épouse Diop (circonscription électorale de Bouaké ville, région du Gbêkê au centre) et surtout Alain-Michel Lobognon Agnima alias adjudant Beugré (ex-porte-parole de la rébellion armée) dans la circonscription électorale de Dahiri, Fresco et Gbagbam (région du Gbôklè, au sud-ouest).
Présent dans la Case (symbole du RDR) où il compte de nombreux fidèles et où il a tissé des réseaux, Soro va alors lancer son dévolu sur le parti. Candidat déclaré à la succession d’Alassane Ouattara à la tête du parti et de l’État, ce « jeune et pressé » avait besoin d’une machine politique. L’ex-rébellion armée aurait ainsi la mainmise et sur l’armée et sur le parti au pouvoir, les deux pieds joints.

Dans ce jeu du chat et de la souris, le RDR manœuvre, lui, pour deux objectifs: le premier, le pouvoir Ouattara n’est ni de près ni de loin impliqué dans la rébellion armée que le chef de l’État qui veut apparaître blanc comme neige, n’a d’ailleurs jamais voulu assumer. Le second objectif est de réduire, à défaut de neutraliser, les capacités de nuisance de Soro Guillaume afin de le laisser à la périphérie et ne pas faire ombrage à Alassane Ouattara, le monarque républicain.
Car l’ex-chef de la rébellion armée s’est mis dans la position de l’objecteur de conscience du chef de l’Etat. Avec un brin de chantage, il a rappelé à Ouattara qu’il est celui à qui il doit sa prise de pouvoir, le 11 avril 2011. «Je crois que la confiance que m’accorde le président (Alassane Ouattara) repose sur deux choses. Le 28 novembre (2010, second tour de la présidentielle ivoirienne entre Gbagbo et Ouattara), après avoir confisqué le pouvoir, Gbagbo a voulu passer un deal avec moi. Si j’avais accepté, l’histoire aurait été différente. Or, j’ai refusé. Puis j’ai engagé les Forces nouvelles, mes troupes, dans la bataille. Nous avons gagné, nous avons pris Yamoussoukro puis Abidjan et j’aurais bien pu, dans la foulée, ramasser la mise pour moi. Or, je ne l’ai pas fait», s’est-il confié pour laisser planer l’épée de Damoclès sur la tête de Ouattara (Cf. Jeune Afrique n°2671 du 18 au 24 mars 2012).

Dans cette même veine, Soro Kanigui Mamadou, président du Réseau des Amis de la Côte d’Ivoire (RACI) vient de monter au créneau pour dire ses quatre vérités à Ouattara et au RDR, les mettant sévèrement en garde. Ce candidat indépendant, élu député de Sirasso contre le candidat du parti au pouvoir qui a rejeté sa candidature alors qu’il était député sortant, en a gros sur le cœur.
Il estime que les Forces nouvelles sont payées en monnaie de singe. En rappelant tous les faits de guerre de l’ex-rébellion armée à la présidentielle de 2010 (meilleurs scores du RDR sont venus de la zone tenue par les ex-rebelles, CEI noyautée par l’ex-rébellion sous la primature de Soro Guillaume, parti-pris pour Ouattara dans le litige électoral, etc.) pour dérouler le tapis rouge à Alassane Ouattara, il a conclu, menaçant: «Alors question: Qui a pissé qui?’Si Guillaume Soro s’amuse, on va le briser’. Brisez-le on va voir ! Ou bien c’est parce qu’on veut de la modération pour sauver les meubles!»
Ceci expliquant cela, des cadres au RDR, avec la bénédiction du chef de l’État et président du parti qui tacle ses adversaires, ne cachent plus leur aversion pour le président de l’Assemblée nationale et ses camarades. Traité de tous les noms d’oiseaux, Soro que l’on soupçonne ouvertement d’entretenir des milices dormantes, n’est plus le bon allié.
Surtout que se démarquant désormais de la politique jusqu’au-boutiste du pouvoir Ouattara qui veut casser du FPI et faisant créer un mouvement baptisé l’Alliance du 3 avril, Soro fait ouvertement campagne pour la réconciliation nationale. «Il n’y a aucun intérêt à garder des gens en prison», revendique-t-il pour exiger la libération des prisonniers politiques de la crise post-électorale, et embarrasser le RDR.

De ce fait, les ennuis ont commencé à se multiplier dans un mouchoir de poche: Koné Kamaraté Souleymane dit Soul To Soul, directeur du protocole du président de l’Assemblée nationale, est l’objet d’une enquête judiciaire pour des tonnes d’armes lourdes et légères découvertes chez lui à Bouaké le 16 mai 2017; Alphonse Soro Tiorna a été prié de rendre le tablier de ses fonctions de conseiller en charge du Travail et du Dialogue social à la Primature le 14 juin 2017, etc.
Et Soro Guillaume lui-même n’est pas en odeur de sainteté auprès du pouvoir. Le Conseil des ministres du 07 juin 2017 a ouvert le feu. Son imposante résidence au quartier Zone industrielle de Bouaké, bâtie sur un espace dit d’utilité publique et qu’il a acquis avant 2011 «à des prix dérisoires et dans des conditions jugées opaques», va être détruite.
Mieux, «le Conseil, sur instruction du Président de la République, a décidé, au-delà des sanctions administratives qu’encourent les intéressés, de saisir la Justice afin que soient engagées des poursuites judiciaires à l’encontre des responsables qui, usant des prérogatives de leur fonction, posent des actes illégaux au détriment de l’État et de l’intérêt public».
Tout le monde se regarde ainsi en chiens de faïence. Et tout le monde joue à se faire peur. Jusqu’à quand? Car, dans ce bras de fer à fleuret moucheté, il suffit de la moindre étincelle pour que le fragile édifice explose et parte en fumées.
FERRO M. Bally
Bally Ferro