Maintien en détention d’un accusé acquitté – la performance de la CPI

L’image contient peut-être : 1 personne, gros planLe sens commun, en ceci relayé par la plupart des systèmes juridiques, implique qu’un accusé bénéficiant d’une décision d’acquittement recouvre sa liberté. La Cour pénale internationale fait-elle exception à cette règle de bon sens ou la Chambre des appels a-t-elle fait une mauvaise application des règles qui la régissent?

Le 15 janvier 2019, la Cour pénale internationale a prononcé l’acquittement pour insuffisance de charges de deux accusés de graves atteintes au droits humains. Cet « acquittement » prononcé avant la fin de la procédure d’instruction du procès et motivé par l’insuffisance des preuves présentées par le Procureur n’est pas une première dans l’histoire de la Cour. En introduisant la notion de « no case to answer » dans le système pénal international, la CPI a fait preuve de rigueur juridique ainsi que l’on déjà dit de nombreux commentateurs.

Les précédents n’ont pas été sans surprise pour les accusés concernés, puisque lorsqu’ils n’étaient pas libres, ils ont été techniquement libérés pour rejoindre un centre de rétention et demeurer plus de 6 mois dans l’attente d’une libération effective.

Dans l’affaire qui nous occupe, le déroulé de la suite de la procédure est une innovation des plus critiquables et dont les implications politiques semblent faire oublier aux techniciens du droit les graves irrégularités qu’elle comporte.

Le Statut de Rome prévoit – en toute logique – la libération immédiate d’un accusé acquitté (article 81 3 c)) tout en offrant au Procureur la possibilité de demander le maintien en détention de la personne acquittée, dans des circonstances exceptionnelles, durant la procédure d’appel de la décision d’acquittement (article 81 3 c i)).

Ce 15 janvier 2019, après que le procureur ait fait savoir son intention de faire appel de la décision d’acquittement, il a demandé à présenter sa demande de maintien en détention. Son droit lui a été accordé, conformément aux textes applicables.

Mais, reportant le débat au lendemain, la Chambre de première instance a suspendu la libération immédiate des acquittés en contradiction totale avec les textes.

En effet, le prononcé d’une décision sur le fond, même à mi-procès, a pour effet de faire disparaître le titre de détention qui permettait de maintenir l’accusé en prison durant la procédure. La mise en liberté immédiate s’imposait, sauf à envisager un débat contradictoire et le prononcé d’un nouveau titre de détention, ce qui n’est pas prévu par les textes, et pour cause.

La demande du Procureur, doit donc, c’est implicite dans le texte de l’article 81 3 c du Statut de Rome, être jugée immédiatement.

Après une nuit supplémentaire en détention (irrégulière!), les acquittés voyaient leur sort confirmé le 16 janvier 2019, quand, à l’issue d’un débat contradictoire la requête du Procureur a été rejetée en l’absence d’éléments justifiant le maintien en détention des intéressés.

A ce stade de la procédure, le Parquet interjette immédiatement appel de cette décision de rejet et accompagne son appel d’une requête en effet suspensif, s’apparentant ici au référé détention prévu par l’article 148-1 1 du code de procédure pénale français.

Le même jour, dans la soirée, et alors que les acquittés attendent « en hommes libres » dans une salle de réunion de la Cour, un des Présidents de la Chambre des appels fixe le calendrier du débat de la requête en effet suspensif, ordonnant par ailleurs leur maintien en détention sur le fondement de l’article 64 f du Statut de Rome.

Sans débat, sans même motiver sa décision, un juge unique va donc ici créer un nouveau titre de détention qui retarde la libération immédiate pourtant expressément prévue par la loi.

Le lendemain, tandis que la Cour fait sa rentrée solennelle, la Chambre des appels va ordonner la suspension des effets de la décision dont appel par cette seule formule « la requête en effet suspensif du Procureur est accordée », jusqu’à ce qu’elle évoque le 1er février, la question de savoir si les acquittés devront être maintenus en détention le temps de l’examen de l’appel interjeté sur la décision d’acquittement.

Ainsi que vont le souligner les deux Juges dissidents de la Chambre des appels, dont sans ironie l’un avait maintenu les acquittés en détention la veille en fixant le calendrier de l’audience, la Chambre des appels a donc suspendu les effets de la décision de première instance qui a rejeté la demande de maintien en détention des acquittés avec pour conséquence que les acquittés demeurent actuellement détenus.

Pourtant, rappelons encore une fois que, depuis le 15 janvier, il n’existe plus aucune décision fondant la détention des intéressés. Même en donnant à la décision du juge unique la qualité de titre de détention (en tirant le diable par la queue donc!) la décision de la Chambre des appels met fin aux effets de cette décision.

                 Faut-il en conclure que les acquittés sont désormais détenus arbitrairement ?

En suspendant les effets d’une décision de rejet de demande de maintien en détention, la Chambre ne donne effet à aucune décision « positive » de placement/maintien en détention. Une requête en effet suspensif a en effet, vocation à suspendre les effets d’une décision qui peut être mise en oeuvre/appliquée/exécutée.

Comment mettre à exécution une décision de rejet, décision « négative »?

Dès lors, comment suspendre les effets d’une décision de rejet? Quelles sont les conséquences d’une telle suspension?

En présence d’un titre de détention préexistant, il aurait toujours pu être argué par des juristes tentant par tout moyen de « faire tenir » la décision de la CPI, que la suspension des effets de la décision de rejet revenait à maintenir en vigueur la décision préalable.

Soit! Mais ici, dès le prononcé de l’acquittement, les décisions relatives à la détention étaient obsolètes. Suspendre les effets d’une décision de rejet revient à ne RIEN suspendre du tout et donner pleine vigueur à la mise en liberté immédiate prévue par la loi.

Faut-il ajouter qu’en toute logique le Statut de Rome écarte expressément la possibilité de demander la suspension des effets d’une décision post acquittement qui ne crée par de nouveau titre de détention? Faut-il donc rappeler à la mémoire des magistrats en charge de l’affaire que l’article 82 du Statut de Rome écarte de son champ d’application les décisions prises dans le cadre de l’article 81? Ce que les rédacteurs du Statut considéraient comme de bon sens a donc été ignoré par les juges au profit d’on ne sait quelle autre considération.

Il faut en conclure qu’ayant suspendu les effets de la décision de rejet de la demande de maintien en détention des accusés, la Chambre des appels ne les a pour autant pas maintenu en détention.

Que la demande du Procureur ait été recevable ou pas, il faut, en effet, explorer les effets de la décision qui fait droit à sa requête.

Qu’un individu détenu de longue date puisse être maintenu en détention après avoir été acquitté est déjà, en soi, une situation difficilement acceptable pour un avocat de la défense.

Lorsque cet individu est détenu sans qu’une décision motivée ne soit intervenue à l’issue d’un débat contradictoire sur la question, il faut s’en émouvoir.

Lorsque, a fortiori, un individu acquitté est maintenu en détention durant 3 jours par le jeu de décisions prises en violation de la loi qui prévoit sa libération immédiate, l’émotion devient opposition.

Mais lorsque contre toute logique juridique, contre le sens commun, contre la loi et tous les droits reconnus à un individu acquitté, l’on croit pouvoir le détenir sur la base d’une décision qui ne peut pas constituer un titre de détention, il semble légitime d’affirmer que l’intéressé est détenu de manière irrégulière, sinon arbitraire.
Maud Marian, avocat au bareau de Paris