Le 28 août 2017, le procès du président Laurent Gbagbo et du Ministre Charles  Blé Goudé a repris à la Cour pénale internationale (CPI). Mais auparavant, deux évènements importants sont intervenus dans le déroulement de la procédure visant la liberté provisoire du président Laurent Gbagbo. Ils pourraient, à terme, modifier les données de cette affaire au niveau de l’instance criminelle.

Le 10 mars 2017, la Chambre de première instance 1 de la CPI rendait la onzième décision de refus de la liberté provisoire au président Laurent Gbagbo. Mais, pour la première fois, cette décision n’avait pas été prise à l’unanimité, le président de ladite Chambre, Cuno Tarfusser, s’étant opposé aux deux autres juges.  Dans son« opinion dissidente », il s’était déclaré en faveur de la liberté provisoire du président Laurent Gbagbo, du fait de son âge avancé, et de l’atteinte de la limite du « délai raisonnable » dans lequel doit être jugé un accusé, celui-ci ayant déjà passé près de six ans en détention.

Plus tard, le 19 juillet 2017, sur appel de la défense du président Laurent Gbagbo, la Chambre d’appel de la CPI annulait la décision du 10 mars 2017. Elle lui ordonnait en conséquence de procéder à un nouvel examen concernant la question du maintien en détention de l’ancien président de la Côte d’Ivoire.

Pour justifier cette annulation, la Chambre d’appel, présidée par le juge Piotr Hofmański, avait estimé que « la Chambre de première instance aurait dû prendre en considération le temps passé par M. Gbagbo en détention, en même temps que les autres risques examinés et aurait dû déterminer si, pour tous ces facteurs, la détention de M. Gbagbo continuait d’être raisonnable ». La Chambre d’appel s’était en outre appuyée sur deux erreurs commises et qui « ont sérieusement affecté la décision de la Chambre de première instance » : la prise en compte de la négation de sa responsabilité par un accusé, comme facteur favorisant la détention, d’une part, et la considération de « l’âge avancé comme un facteur renforçant son désir de fuite, plutôt que comme facteur qui pourrait potentiellement atténuer la possibilité de fuir » d’autre part.

Il faut se féliciter de ce que la chambre d’appel ait reconnu enfin la présomption d’innocence au président Laurent Gbagbo et le droit pour tout détenu d’être jugé dans un délai raisonnable. Mais, en dépit de ces avancées significatives concédées par la Chambre d’appel, la liberté provisoire continue de buter sur une allégation bien curieuse : le risque de fuite du président Laurent Gbagbo du fait de l’existence d’un réseau de partisans prêt à le soustraire à la justice, et étant donné la gravité des charges qui pèsent contre lui.

En effet, les juges reprochent aux partisans du président Laurent Gbagbo le financement et l’organisation de manifestations en sa faveur, notamment une pétition qui a recueilli plus de 25 millions de signatures à travers le monde. Ils craignent que ses fidèles supporters au sein de la population ivoirienne ne lui offrent la possibilité de prendre la fuite s’il bénéficiait d’une liberté provisoire.

Mais, les juges ne produisent « pas d’indications spécifiques », ni d’élément objectif, montrant que les partisans de Laurent Gbagbo pourraient « enfreindre la loi ». Leur conviction se fonde plus sur des « supputations n’ayant aucune racine dans la réalité », des « impressions subjectives », bref sur l’« arbitraire », en lieu et place d’une « démonstration juridique », ainsi que le note, à juste titre, la défense du Président Laurent Gbagbo.

Un expert doit être nommé pour situer sur le bien-fondé du complot des pro-Gbagbo. Surtout, leurs positions sont forgées à partir des soumissions produites par madame la procureure de la CPI qui, elle-même, s’est toujours contentée de collecter et reproduire les documents fournis par le gouvernement ivoirien sans analyse critique et enquête préalable, en dépit des moyens colossaux mis à sa disposition. A titre d’exemple, et de l’aveu de Matt Wells, chercheur à Human Rights Watch, le document de notification des charges produit à l’occasion de l’audience de confirmation des charges avait été monté en étroite collaboration avec le régime Ouattara.

C’est pourquoi, à quelques semaines d’une audience importante sur le maintien en détention ou non du président Laurent Gbagbo, il faut se préoccuper du bien-fondé  de la dernière accusation de déstabilisation que vient de proférer le gouvernement ivoirien à l’endroit de « responsables politiques, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, plus particulièrement au Ghana », parmi lesquels figurent des pro-Gbagbo, et de l’exploitation qui pourrait en être faite à la CPI.

En effet, ce n’est pas la première fois que le gouvernement ivoirien recourt à un tel  stratagème. Son mode opératoire avait même fini par être connu : chaque fois qu’une décision importante devrait être prise concernant le président Laurent Gbagbo, le pouvoir ivoirien inventait un complot, pour ensuite rédiger un rapport qui était repris par diverses structures, comme le groupe des experts et le comité des sanctions de l’organisation des Nations Unies (Onu), ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG) des droits de l’homme. Quant au procureur de la CPI, il se servait alors de ces rapports pour étayer son argumentaire contre le président Laurent Gbagbo. Le cas emblématique aura été le rapport de mi-mandat du groupe des experts de l’ONU de mi-octobre 2012(S/2012/766, 15 octobre 2012), mais rendu public dès le début du mois par Radio France internationale (RFI) qui donnait écho à un faux complot inventé par le régime Ouattara suite à une « réunion des pro-Gbagbo au Ghana dans la ville de Takoradi, le 12 juillet 2012, visant à déstabiliser le régime Ouattara ». Il aura fallu les réserves officielles de certains pays (France, Ghana) et organismes concernés (ONUCI), des menaces de poursuites judiciaires des mis en cause et une intense campagne médiatique (articles de presse et ouvrage : « Laurent Gbagbo au centre d’un complot. Le rapport des experts de l’ONU mis à nu », avril 2013, l’Harmattan) pour tempérer les ardeurs de ce fameux groupe des experts et amoindrir les conséquences de cette accusation.

Malgré tout, déjà, le 30 octobre 2012, la juge unique de la CPI s’était empressée de maintenir le président Laurent Gbagbo en détention en se fondant sur les soumissions de la procureure de la CPI qui s’étaient inspirées largement du rapport de mi-mandat qu’elle avait d’ailleurs reproduit in extenso. Et pourtant, ce rapport, qui n’était qu’intérimaire, a été corrigé par un rapport définitif en avril 2013, qui a relativisé les affirmations du rapport de mi-mandat. Il n’a donc pas été étonnant de constater qu’au mois d’avril 2013, à la suite des discussions du Conseil de sécurité, la résolution 2101 du 25 avril 2013 du Conseil de sécurité n’a pas reflété les accusations de ce fameux rapport de mi-mandat. Tant et si bien que le comité de sanctions de l’Onu n’a pas jugé utile de prendre des sanctions sur la base des affirmations qui y étaient contenues.

Dès lors, connaissant les pratiques de la procureure de la CPI, il y a fort à parier que cette dernière accusation du gouvernement ivoirien, bien que vite démentie par les principaux concernés, constituera la trame essentielle de son argumentation à la toute prochaine audience sur le maintien ou non en détention du président Laurent Gbagbo. Elle glosera certainement sur le fameux réseau des pro-Gbagbo dont l’organisation, est tellement efficace, qu’elle peut même déstabiliser un Etat et, a fortiori, empêcher un accusé de se présenter aux audiences de la CPI.

Il serait alors souhaitable que, cette fois-ci, une expertise soit diligentée, afin de vérifier, en cas de besoin, la véracité de cette grave accusation de déstabilisation. Fort heureusement, parmi les mesures prévues par la CPI pour protéger les droits de l’accusé, figure, en bonne place, la possibilité de « nommer un expert » (art.56, Statut de Rome). La défense du président Laurent Gbagbo ne devrait pas s’en priver.

En tout état de cause, les arguments avancés par la CPI pour refuser la liberté provisoire laissent parfois perplexes.

Comment les partisans du président Laurent Gbagbo pourraient-ils l’empêcher de se présenter aux audiences à partir d’un pays comme la Côte d’Ivoire dont le régime leur est manifestement hostile et où ils sont emprisonnés par centaines depuis six ans ? D’ailleurs, tout en sachant que, du fait des contraintes du procès, cette liberté provisoire ne semble, dit-on,  envisageable que dans un pays proche de la Haye, peut-on imaginer un pays européen où l’organisation des partisans pourrait défier la police locale, au point de réussir à cacher un prisonnier aussi célèbre que le président Laurent Gbagbo ? Comment l’homme qui n’a pas fui les bombes françaises et autres frappes onusiennes en avril 2011 sur la résidence d’Etat, au risque évident de sa vie, de celle de sa famille et de ses proches collaborateurs, peut-il subitement craindre une détention prolongée ?

En auscultant la CPI dans sa jurisprudence, l’incarcération du président Laurent Gbagbo devrait entraîner son oubli par ses partisans, dans la logique des déportations coloniales qui avaient affecté les résistants africains, transférés dans des contrées éloignées de leur pays d’origine, et inconnues de leurs partisans qui ne pouvaient pas s’y rendre  ou communiquer avec eux. Dans ce sens, si Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara avaient eu la possibilité de déporter le Président Laurent Gbagbo sur une autre planète (mars par exemple), ils ne s’en seraient pas privés, et cela aurait bien arrangé les décisions rendues par la CPI.

Mais, il ne faut pas s’y méprendre. En réalité, ce que la CPI reproche au président Laurent Gbagbo, c’est sa popularité, laquelle n’a cessé de croître avec sa longue détention et surtout, sa place  cardinale dans tout processus de réconciliation réclamée en Côte d’Ivoire et ailleurs dans le monde.

Ce ne sont pas les initiatives qui manquent. Une pétition appelant à la libération de Laurent Gbagbo a enregistré 25 millions de signatures à travers le monde. Les manifestations de soutien au détenu politique de la Haye n’ont fait que s’amplifier en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis. En 2012, la Présidente de la commission, Mme Dlamini Zuma avait écrit à la CPI pour solliciter la libération du Président Laurent Gbagbo. En septembre 2015, les anciens chefs d’Etat africains réunis au sein de Africa Forum  et conduits par les présidents John Jerry Rawlings, Thabo Mbeki, Joaquim Chissano, et Nicéphore Soglo, avaient rendu publique une lettre adressée à la CPI pour solliciter « de réexaminer l’affaire Laurent Gbagbo et entamer le processus de son retrait ou de son interruption ». Des chefs d’Etat en exercice des pays francophones, dont le Président guinéen Alpha Condé, actuel président en exercice de l’Union africaine, ont fait une démarche auprès de l’ex-président français, François Hollande, pour solliciter la libération du président Laurent Gbagbo. Plus récemment encore, ce sont les anciens rebelles (aujourd’hui réunis au sein de l’Amicale des « forces nouvelles ») qui ont demandé sa libération. Leur chef, Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée nationale, prône désormais la réconciliation nationale, et se dit prêt à aller demander pardon au président Laurent Gbagbo. Un député de cette législature, co-auteur d’une proposition de loi d’amnistie, s’est rendue à la prison de la CPI pour solliciter la caution du président Laurent Gbagbo à son initiative.

Comme il est loisible de le constater, la liberté provisoire, loin d’être une opportunité de fuite, offrirait plutôt une dynamique inespérée à la réconciliation en Côte d’Ivoire.

Quant au risque d’une « prison à vie », que pourrait entraîner la gravité des charges, et qui justifierait sa volonté de fuite, c’est l’évolution générale du procès qui fournit les arguments les plus pertinents pour montrer qu’il est presque nul.

Les témoignages disculpent le président Laurent Gbagbo

En effet, à la phase actuelle du procès qui a enregistré une quarantaine de témoins cités par l’accusation, aucun d’entre eux, n’a, jusqu’ici, réussi à  confirmer les charges contre le président Laurent Gbagbo. Au contraire, plusieurs témoignages l’ont clairement disculpé, contredisant l’accusation, y compris parmi ceux qu’elle considérait comme ses témoins les plus « à charge ».
Ainsi, à propos de « la marche sur la RTI » du 16 décembre 2010 organisée par des partisans pro-Ouattara, les témoignages ont contredit la version du procureur qui soutenait que les forces de l’ordre avaient tiré sur une « foule pacifique ». Le Général Djè Bi Poin et d’autres ont plutôt indiqué aux juges qu’elle était en réalité une « marche armée ». Des hommes armés se trouvaient parmi les participants et ont attaqué les forces de sécurité, tuant des policiers dès le début de la manifestation.

Dans l’affaire des 7 femmes déclarées tuées lors de la marche des femmes à Abobo du 3 mars 2011, la thèse du procureur Fatou Bensouda a volé en éclat à la suite du témoignage de deux experts commis par la CPI elle-même. Un premier d’origine néerlandaise, expert en ADN, le professeur AtéKloosterman, de l’Institut médico-légal des Pays Bas (NFI), interrogé à propos  « d’un tee-shirt d’une présumée victime de cette marche des femmes d’Abobo le 03 mars 2011, transmis …  par les enquêteurs de la CPI pour analyse et trouver des traces de sang », avait conclu que tous les tests étaient négatifs et qu’il n’y avait aucune trace de sang. Le professeur Kloosterman, a même ajouté que «…sur quinze (15) victimes, les Adn de douze (12) ne concordaient pas avec celui des familles supposées. Et les effets vestimentaires étaient trop neufs pour des corps supposés dater de 2010». Autrement dit, les tee-shirts transmis à l’institut médico-légal par la CPI ne seraient pas du tout ceux des victimes de la marche de ce 3 mars 2011. Pourquoi la CPI a-t-elle volontairement produit du faux ? Si à la fameuse marche du 3 mars 2011, il y a bien eu bombardement, pourquoi ne présente-t-on pas les vêtements des prétendues victimes ?

Quant au second expert, Mario Wiz Mateos, de nationalité espagnole, travaillant dans un service criminalistique, il est venu en rajouter au doute. Commis pour examiner une vidéo qui retracerait le film de cette marche du 3 mars 2011,  il a reconnu une manipulation du film remis par le pouvoir ivoirien.

Un post fait à la suite du témoignage du prof néerlandais à la CPI, Me Ange Rodrigue Dadje, avocat de Mme Simone Gbagbo dans le procès en cours à Abidjan sur les mêmes faits, révèle qu’« aucun des corps des 7 femmes d’Abobo n’a été à ce jour retrouvé et n’a donc pu faire l’objet d’une quelconque autopsie ou analyse scientifique ». Ces faits ont été confirmés par le Professeur YAPO ETTE, Médecin Légiste en charge de la procédure, à l’occasion d’une audition par la gendarmerie nationale de Côte d’Ivoire. C’est d’ailleurs ce qui expliquerait que, plutôt que de produire les vêtements des supposées victimes, Mme le procureur de la CPI serait allée chercher des tee-shirts appartenant à des victimes décédées longtemps avant, ou dont l’ADN ne correspond pas à celui des parents supposés.

En attendant les témoignages relatifs aux deux autres évènements significatifs retenus par l’accusation, ces témoignages et les doutes qu’ils ont provoqués chez ceux qui suivent le procès, viennent confirmer la légèreté de l’accusation. En conséquence, une justice véritablement indépendante devrait, de toute évidence, plutôt acquitter le président Laurent Gbagbo. Il n’a donc pas à craindre  une quelconque lourde peine qui le motiverait à fuir.

Cette conviction est renforcée par le fait que, jusqu’à ce jour, tout porte à croire que ce procès n’aurait jamais dû avoir lieu. Rappelons qu’une première audience de confirmation des charges avait abouti à l’ajournement de la décision, faute de preuves suffisantes. Le procureur avait alors été sommé par les juges d’apporter de nouvelles preuves pour justifier le transfèrement du président Gbagbo à la CPI. Si, par la suite, la confirmation des charges a été obtenue, des zones d’ombre ont entouré la délibération qui a conduit à cette issue. En effet, l’un des deux juges (sur les trois) opposés à la confirmation des charges, le Juge Hans-Peter Kaul, est décédé «à la suite d’une grave maladie», selon un communiqué de la Cour,une quarantaine de jours seulement après la décision de confirmation des charges du 12 juin 2014, après qu’il eût présenté sa démission 13 jours à la suite de ladite décision, pour « raisons de santé ».
Le juge Hans-Peter Kaul a-t-il été affecté d’une manière quelconque par la maladie qui s’est déclenchée subitement quatre mois auparavant et (ou) les traitements qu’il recevait ? Était-il apte à travailler ? Etait-il en possession de toutes ses facultés ? A-t-il eu le temps, la force et la concentration nécessaires pour se pencher sur les documents qui ont été transmis dans cette période de grave maladie, surtout qu’il était engagé dans une autre affaire (Ntaganda) qui a connu son dénouement le 9 juin 2014, soit quatre jours avant la décision du 13 juin dans l’affaire Laurent Gbagbo ? A-t-il pu se prononcer en toute connaissance de cause ?Bref, ravagé par une maladie grave et la lourdeur des soins à lui administrés, la participation effective et sereine du juge Hans-Peter Kaul aux délibérations qui ont conduit à la confirmation des charges demeure, à ce jour, une énigme. Tant et si bien qu’aujourd’hui encore, les observateurs les plus attentifs continuent de suspecter ce basculement dans la position du juge Hans-Peter Kaul qui a permis la confirmation des charges et donc le procès.

En définitive, il n’y a aucune raison de craindre une lourde peine de la CPI parce que les témoignages ont suffisamment disculpé le président Laurent Gbagbo. Et ses partisans, qui existent effectivement par millions, attendent plutôt de lui qu’ils viennent jouer sa partition dans le processus de réconciliation nationale. Rendre sa liberté, provisoirement déjà, à un présumé innocent qui a atteint la limite du « délai raisonnable » pour être jugé, serait donc faire œuvre de justice.

Dr Kouakou Edmond, Juriste, Consultant
envoyé par Félix TANO
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